Oh how the mighty have fallen

6 juin 2021 à 19:16

Il se passe quelque chose de très intéressant au Québec en ce moment : une nouvelle génération de séries pour adolescentes. Après Je voudrais qu’on m’efface, et son ton cruellement réaliste sur des réalités sociales peu montrées dans des séries (y compris canadiennes), une nouvelle série au moins aussi audacieuse, mais à l’approche radicalement différente, a démarré la semaine dernière. Hasard ou coïncidence, les deux séries sont des fictions originales d’ICI TOU.TV, la plateforme de streaming rattachée à l’audiovisuel public francophone.
Bienvenue dans Les petits rois, la série qui reprend les codes du teen drama moderne pour mieux les tordre.

Regardez-moi ce matériel promotionnel plein de couleurs, ces éclairages dramatiques, et ces actrices plus stylées qu’un tapis rouge du Met Gala. Osez me dire que vous n’avez pas l’impression de voir une affiche de Riverdale.
C’est fait exprès.

Les petits rois se déroule dans un prestigieux lycée proposant un sport-études aux gloires montantes de diverses disciplines. Les deux stars de l’établissement sont « Adaboy » et « Julep », deux amis inséparables. Le premier, qui se distingue pour son amour des fringues et de la mode, est également un patineur artistique de talent ; le second est le meilleur joueur de hockey de l’école et obsédé par son physique. Leur entourage est constitué d’autres protagonistes hautes en couleur : « Pom », le petit-ami de Julep, qui dans le premier épisode se présente à la présidence de la vie scolaire ; « Basta », l’influenceuse qui ne pense qu’à sa vie amoureuse ; « Bee », la lesbienne volage ; « Prank », le rigolo fort en gueule ; « Mac », la première de la classe ambitieuse ; « Wizz », le geek qui négocie ses talents au prix fort ; ou encore « Liz », la militante souvent renvoyée à sa foi musulmane.
Tout ce petit monde, vous l’aurez compris, emploie des surnoms… et toute une palette de stéréotypes qu’on a déjà plus ou moins vus ailleurs.

Sauf que. Les petits rois les suit, mais sans nous donner envie de les aimer. Le début du premier épisode est même très clair sur l’attitude que nous sommes supposées adopter : dans l’ombre, quelqu’un observe tout ce petit monde, les filme même, et promet de se venger. Qui est cette personne et qu’est-ce qui l’a poussée à vouloir prendre sa revanche ? C’est ce que l’on ne sait pas encore, mais à mesure que l’épisode inaugural va avancer, on va comprendre que son plan est déjà à l’oeuvre.
Et pour être honnête il est difficile de ne pas abonder dans son sens. Adaboy et Julep sont imbuvables, et n’hésitent pas à se montrer cruels pourvu de servir leurs propres intérêts. Plus nous passons de temps avec eux, plus nous découvrons qu’ils ont tout dans la vie, sauf une once de moralité. Pour beaucoup de séries adolescentes, leur succès ferait d’eux des personnages aspirationnels, ou à tout le moins, divertissants de par leurs excès ; mais dans Les petits rois, le dégoût est omniprésent. A-t-on besoin, au final, de savoir ce qu’ils ont fait pour s’attirer les foudres de la personne qui nous promet vengeance ? A mesure que l’épisode avance, on comprend que tout le monde pourrait avoir une bonne raison de les détester, et leur souhaiter tout le mal du monde.
Le pire, c’est qu’ils s’apprêtent probablement à causer leur propre chute. Tout ce qu’il y avait besoin de faire, c’était les prendre sur le fait.

Les petits rois en a sa claque, des séries qui portent aux nues ces comportements. Elle part également du principe que ses spectatrices sont en mesure d’apprécier les questions morales soulevées par son intrigue, et les invite à prendre du recul sur les aspects soapesques qui, dans un autre contexte, relèveraient uniquement du guilty pleasure. Il y a, d’une certaine façon, un peu de 13 Reasons Why dans son intrigue (sans le côté high concept), mais pour le moment avec une conscience plus aiguisée de la responsabilité de la série quant à ce qu’elle décrit à  ses spectatrices. Je hais 13 Reasons Why, je sais pas si je l’ai mentionné récemment ? En tout cas ça mérite d’être répété.
Non, en fait, vous savez quoi ? Tant qu’on en est à dresser des comparaisons, l’ambition de l’intrigue rageuse de Les petits rois, ainsi que son esthétique léchée, évoque en fait surtout Sweet/Vicious : au lieu de s’adresser au plus petit dénominateur commun, la série mise sur l’appétit de son audience pour la justice. Ce n’est (…en tout cas, a priori) pas le même motif exactement qui pousse les vengeuses masquées des deux séries à agir, mais l’idée est proche. Toute la question sera de déterminer comment cette justice peut s’obtenir, et quelles en sont les limites. Pour le moment, Les petits rois donne l’impression (surtout dans le dernier tournant de ce premier épisode) de n’en avoir aucune, de limite. Je soupçonne que ça ne puisse pas durer…

Dans tous les cas c’est de la belle ouvrage, aussi bien sur le fond que sur la forme. Les petits rois est clairement une réussite, et j’ai hâte de découvrir où sa première (courte) saison va mener. Et si vous en avez marre des teen shows qui prennent les adolescentes qui les regardent pour des écervelées, vous devriez probablement aussi.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

3 commentaires

  1. Julien Hurteau dit :

    Je suis le réalisateur et je te remercie profondément pour ton analyse 🙂

  2. Tiadeets dit :

    Ça me rend tellement en joie de voir ce genre de concepts arriver dans des séries francophones, les jeunes de nos pays ont le droit aussi d’avoir des séries intéressantes et autres que plan plan (comme on en avait encore trop quand j’étais plus jeune *soupire*). Je me demande si la série va être diffusée de notre côté de l’Atlantique, tiens.

    • ladyteruki dit :

      Vu le sort de la plupart des séries québécoises de notre côté de l’Atlantique (Plan B, Pour Sarah, Fugueuse, 30 Vies, etc.), je pense que les chances sont plus élevées d’obtenir un remake français. Mais je ne demande qu’à me tromper.

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