Le fantasme de l’Opéra

29 août 2021 à 21:56

N’étant pas en mesure de me déplacer à Lille pour assister à Series Mania, j’étais bien contente d’apprendre que plusieurs séries de la sélection cette année allaient atterrir sur une plateforme dédiée. Comme il faut hélas faire des choix (d’autant que la fonction de visionnage n’est activée que pour un temps restreint), on n’aura certainement pas l’occasion de parler de tout, et d’ailleurs quand bien même je le voudrais que je ne le pourrais pas : j’ai déjà raté des séances en essayant d’apprendre à utiliser le site correctement (mais bon, ne nous éternisons pas sur le sujet, je me flagellerai plutôt sur mon temps libre).
On va quand même faire un effort pour parler d’une série de la compétition française pas mal du tout, sobrement intitulée L’Opéra, qui arrivera début septembre sur OCS.

Parfaitement : ce weekend, je lapide une série québécoise et je loue les qualités d’une série française. Comme quoi tout peut arriver !

Avant que vous n’imaginiez le pire (« elle a complètement pété une durite, cette pov’ lady »… oui, mais pas dans ce cas précis), laissez-moi tempérer mon introduction : L’Opéra est une série intéressante. Pas un coup de cœur. Et le déroulé du premier épisode souligne bien pourquoi.

On commence par suivre une jeune femme lors d’une soirée au cours de laquelle elle cumule les clichés : club super bruyant, alcool, drogue, coup d’un soir… évidemment pour le lendemain se réveiller en panique parce qu’elle est en retard au boulot. Saurez-vous deviner où elle travaille ? A l’Opéra de Paris bien-sûr, c’est dans le titre. Ce soir-là (oui parce qu’elle a évidemment émergé vers six heures du soir) Zoë ne doit pas danser un ballet complet, et c’est fort heureux, mais simplement participer au Défilé. C’est un rituel qui présente les différentes danseuses de la troupe aux mécènes grâce auxquelles l’Opéra peut continuer de tourner. Inutile de dire que le grand jeu est sorti et que, même s’il ne s’agit pas d’une vraie représentation, elle a son importance. C’est d’autant plus vrai pour Sébastien, ancien danseur (et ami de longue date de Zoë), qui vient d’être engagé sur le poste de Directeur de la Danse. Sa fonction couvre non seulement des aspects artistiques, mais surtout administratifs pour ne pas dire politiques. L’Opéra nous présentera par la suite une troisième protagoniste, Flora. C’est la toute première danseuse noire de l’Opéra de Paris, elle vient de la banlieue et ne connaît personne, ce qui forcément rend son arrivée d’autant plus difficile.

Il n’y a rien de follement original dans cette mise en place. Zoë, qui est vieillissante et a en plus souffert de nombreux problèmes de santé ces dernières années, est une héroïne dysfonctionnelle comme beaucoup d’autres. Elle a des sautes d’humeur et des réactions qu’on ne comprend pas toujours (son coup d’un soir l’insulte, elle s’énerve, il s’excuse, dans la réplique suivante elle lui propose de baiser… ooooo-kay ?), mais en même temps on nous fait bien sentir qu’elle tient un rôle d’underdog dans l’intrigue, parce qu’elle est tellement attachée à l’Opéra qu’elle refuse de laisser sa place, redoublant en dépit d’elle-même d’efforts pour mériter sa place.
Elles ne se sont pas encore croisées, mais implicitement Flora est présentée comme la relève de Zoë. Elle va collectionner les expériences racistes, en plus de l’ambiance déjà si chaleureuse de ce milieu compétitif. C’est un absolu festival, à partir du moment où elle est prise pour la nouvelle femme de ménage à l’accueil, et jusqu’à la fin de l’épisode. L’Opéra voudrait essayer de nous mettre à sa place dans ses chaussons, pour nous faire comprendre la série de microaggressions qu’elle rencontre en l’espace de quelques heures. Mais c’est fait assez maladroitement, la première scène où elle apparaît la montrant déjà en train de s’énerver, ce qui finalement valide des clichés (le fait qu’elle soit noire ET issue de la banlieue en est un autre dont on aurait aussi pu se passer, mais bon). Evidemment plus les saloperies vont se succéder, plus Flora va être dépeinte comme étant fondée à être ulcérée, mais la réalisation ne prend pas le temps de montrer cette montée en frustration et au final, certaines de ses réactions peuvent être interprétées comme disproportionnées sur le moment. Du coup, on ne sait pas trop ce que la série a décidé de faire de ce personnage pour le moment ; ce qui est sûr c’est que le trauma porn est pour le moment la seule chose qui ressorte de ses scènes. Il faut espérer qu’à un moment, à défaut que ce soit le cas des autres personnages, la série essaie de voir Flora comme autre chose qu’une danseuse noire.
Les galères de Sébastien sont enfin assez tièdes, d’autant qu’on en sait assez peu de lui sur un plan personnel (il est possible qu’il soit un peu codé gay ? j’ai peut-être surinterprété). Du coup c’est un peu difficile de s’intéresser au fait que sa supérieure hiérarchique ne voulait pas de lui à ce poste, et… et c’est à peu près tout pour le moment. Pour le reste, il est essentiellement l’outil par lequel nous apprenons comment fonctionne l’institution. C’est d’ailleurs intéressant que ce soit un personnage masculin qui apparaisse comme le plus objectif et raisonnable dans l’intrigue.

Vous l’aurez compris, on n’est pas ici dans l’époustoufflant. Mais c’est pas grave, ce n’est pas la vocation de toutes les séries de rebattre les cartes.

Même si cette exposition ne coupe pas le souffle par son innovation, elle a d’abord le mérite d’être dotée de dialogues solides. Des dialogues comme franchement j’aimerais en entendre plus souvent à la télévision française ! Eh bah oui, c’est une review de série française, vous savez que je suis légalement obligée de faire une remarque généraliste sur toute la production nationale. La plupart des échanges sonnent « vrai », sont presque totalement dénués des tics de language si courants chez les scénaristes écrivant dans la langue de Molière (pour leur défense, ce n’était pas trop un auteur de télévision), et je n’ai pas noté de scène pendant laquelle les personnages parleraient de façon trop écrite. Si j’avais 1€ chaque fois que je fais cette simple constatation devant une série française, je n’aurais même pas de quoi acheter une baguette de pain. Cela a sans nul doute demandé un effort considérable, mais je vais vous dire : ça en valait la peine. Rien dans L’Opéra ne sonne à côté de la plaque.

Toutefois je vous rassure, j’ai aussi gardé une bonne impression de ce premier épisode sur le fond.
L’Opéra ambitionne de décrire, au-delà de ses personnages, l’univers très fermé de la danse classique à un tel niveau. Il y a un fantasme derrière cet Opéra, ses petits rats et ses grandes étoiles (comme le souligne le fameux dialogue entre Zoë et son coup d’un soir). Un fantasme de beauté classique et d’excellence plusieurs fois centenaire.
L’Opéra veut disséquer ce fantasme pour mieux en exposer les tripes. Pas pour faire dans le sensationnel, et c’est heureux. Plutôt pour en extraire quelque chose qu’on sent poindre discrètement à plusieurs reprises dans cet épisode d’introduction : la plupart d’entre nous n’ira jamais voir un ballet entre ces murs. Certaines privilégiée iront assister à une représentation, peut-être plusieurs à la rigueur… En revanche, pour ces danseuses, cette institution représente toute leur vie. Or, ce fantasme a prix, et ce prix, il ne se paie pas qu’en sueur. Celles qui rêvent de danser sur cette scène y laissent beaucoup au nom d’un idéal difficile à atteindre, et jamais atteint pour longtemps. C’est une existence cruelle et éphémère.
Faire partie d’une institution, c’est prendre le risque de disparaître en elle. Peut-on espérer la changer ou dévore-t-elle tout ?

Les protagonistes de L’Opéra s’infligent tout cela, et il est permis de se demander pourquoi. Parce qu’elles sont habitées par le fantasme de l’Opéra ? Peut-être. Mais sans lui, où seraient-elles ? Qui seraient-elles ?
Il est des questions auxquelles on préfèrerait n’avoir jamais à répondre.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

1 commentaire

  1. Tiadeets dit :

    « Si j’avais 1€ chaque fois que je fais cette simple constatation devant une série française, je n’aurais même pas de quoi acheter une baguette de pain. » – En même temps, tu as raison. Enfin, réjouissons-nous qu’il y ait plus de séries qui nous ramène ses euros maintenant.

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