Art de vivre

3 septembre 2021 à 23:53

Ce soir, je vous propose de parler d’une série sur le ballet. Sauf qu’évidemment il ne s’agit pas d’une rediffusion de la review de L’Opéra que je vous proposais il y a quelques jours, mais bien d’une autre série, COMPANY.
Diffusée au début de l’année par NHK BS Premium (la chaîne du satellite de l’audiovisuel public japonais), COMPANY est, sur la forme comme sur le fond, dans une démarche très différente de la série française qui démarrera la semaine prochaine OCS. Je me suis dit que ce serait une expérience intéressante que d’observer comment, sur la base d’éléments similaires, on obtient deux séries qui n’ont absolument rien à voir !

COMPANY est, comme son titre le sous-entend, une série qui se déroule au sein de la Shikishima Ballet Company. Fondée par une ancienne danseuse, Mizuho Shikishima, qui en assure la direction artistique, on y monte plusieurs spectacles par an, et le public semble au rendez-vous. « Semble » étant le maître-mot… parce qu’en réalité, la compagnie Shikishima est en train de prendre l’eau. Elle ne parvient plus à vendre des places pour ses représentations, et ne doit ses salles remplies qu’à une situation inédite : la première danseuse de la troupe est la fille du président d’une grande entreprise pharmaceutique, Ariake. Celui-ci achète systématiquement les places invendues et les proposes à ses employées, ce qui permet artificiellement de faire salle comble. Mais ce fragile équilibre est rompu lorsqu’une fusion est organisée entre deux géants pharmaceutiques pour créer le conglomérat Ariake Health ; les affaires étant les affaires, il va devenir nécessaire de faire des coupes budgétaires, et le budget ballet en fait partie ! La compagnie Shikishima s’apprête-t-elle à tirer le rideau ?

Eh bien, ce sera bien-sûr l’enjeu de COMPANY, mais avec un twist intéressant : le personnage principal n’a rien à voir avec la danse classique.
Quand démarre la série, Seiichi Aoyagi est même en train d’assister, à l’âge de quarante ans et des poussières, à son tout premier ballet. Et pour tout vous dire ça l’endort mieux qu’un épisode de Derrick. Il a récupéré ces places par son travail, chez Ariake, mais sans grande conviction ; en outre, ni sa femme ni sa fille n’ont voulu l’accompagner à la représentation.
Toutefois, il apprend le lendemain par son patron que… eh bien, avec la fusion qui arrive, Ariake Health ne va plus avoir besoin de lui. Il y a plein de postes en double, et puis, de toute façon, il n’est pas un très bon employé, il fait juste ce qu’on lui dit sans prendre aucune initiative, ça n’a pas beaucoup de valeur pour le future géant pharmaceutique Ariake Health.
Il se voit néanmoins octroyé une dernière opportunité. Enfin, du point de vue de son patron, c’est plutôt une mise au placard, mais il y a une infime chance qu’il puisse tourner ça en sa faveur. Aoyagi est en effet affecté à la co-gestion de la compagnie Shikishima, et s’il parvient à vendre toutes les places de la prochaine production de la troupe (…qui sera, évidemment, Le Lac des Cygnes), son emploi sera sauvé.
Hélas pour lui, ce n’est pas la seule chose en jeu : alors même qu’il apprend être sur un siège éjectable au travail, il rentre dans une maison déserte… sa femme l’a quitté, sans aucun signe avant-coureur.

Vous l’avez compris, COMPANY approche un même sujet (un corps de ballet) avec un angle totalement différent de L’Opéra. Ici, c’est ouvertement le regard des non-initiées sur la danse classique qui prime, les personnages impliquées dans la danse ayant, in fine, assez peu l’occasion de montrer leurs émotions dans ce premier épisode. La directrice Shikishima, le danseur Haruka Takano, ou même la collègue de fortune de Seiichi, une entraineuse sportive du nom de Yui Segawa, ne sont pas vraiment là pour nous faire ressentir ce que c’est que de se consacrer corps et âme à l’excellence. A contrario, Seiichi va abondamment nous communiquer son ressenti vis-à-vis de cet art ; et ce ressenti se prépare à évoluer considérablement, quand bien même au début il y est très indifférent. Cela n’est d’ailleurs pas totalement étonnant de la part d’une série proposée par un diffuseur comme NHK, dont la mission de service public inclut d’essayer de faire transmettre à ses spectatrices l’intérêt pour une certaine idée du mieux-disant culturel.

Cependant, cela va plus loin que ça. Le premier épisode de COMPANY établit une feuille de route assez claire du character development qu’on peut attendre de Seiichi (dans L’Opéra, au contraire, il n’était pas toujours très clair dés l’exposition de ce vers quoi la série veut aller). Ce n’est pas par manque de chance qu’il a été décidé que notre homme devrait travailler avec la compagnie Shikishima, mais bien parce que son poste est en péril. Et si sa situation professionnelle est fragile, ce n’est pas purement circonstanciel, mais bien parce qu’il est incapable de faire preuve d’initiative… voire même incapable d’être quelqu’un, tout court. Rien ne l’intéresse vraiment, en fait. Il est convaincu que la solution à tous ses problèmes dans la vie, c’est de docilement faire ce qu’on attend de lui, si possible en lui explicitant précisément ce qui est attendu. Sauf que dans le monde du travail, ça ne marche plus comme ça… et en fait, nulle part ailleurs. Plus tard dans l’épisode, lors d’une confrontation avec son épouse (qui est venue lui présenter des papiers de divorces), Seiichi entendra de sa part les mêmes reproches que venant de son supérieur hiérarchique : son manque d’initiative témoigne d’une forme de vide intérieur. Il ne se demande pas ce qui ferait plaisir à sa femme, ou même… ce qu’elle fait de ses journées quand il est au travail.
Or, il va découvrir par hasard qu’en fait, voilà deux ans, elle s’est passionnée pour… le ballet.

On voit bien comment la plupart des ingrédients posés dans le premier épisode de COMPANY ambitionnent de se combiner, d’autant que son ton de dramédie n’entretient aucune ambiguïté.
L’idée est au contraire d’inviter les spectatrices dans un monde familier, très familier, trop familier : celui d’un quotidien maussade, où la routine a tout phagocyté, et où rien ne suscite la passion. On n’est certainement pas là devant une série sur ce que coûte le ballet, comme L’Opéra qui en montre les coulisses peu attrayantes ; au contraire, c’est une série sur ce que le ballet procure.

Est-il parfois difficile de comprendre certaines formes artistiques ? Oui, bien-sûr, au premier abord. Mais si l’on se laisse toucher, elles peuvent nous bouleverser, et nous inspirer à tout changer. COMPANY veut éveiller son personnage quelconque (donc nous) à quelque chose de sublime, lui insuffler le choc suffisant pour faire battre son cœur, pour qu’il se mette à vivre, enfin.
Je ne vais certainement pas la contredire.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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