No fun in funerals

11 septembre 2021 à 19:22

Même les gens détestables ont une famille. C’est en tout cas vrai pour le héros de Jarðarförin mín (proposée par arte sous le titre Mes Funérailles, une traduction littérale, depuis la semaine dernière), Benedikt, un employé du cadastre qui prend sa retraite lorsque commence la série. Au boulot, tout le monde est ravi de le voir partir, à part un ami avec lequel il joue parfois au golf ; et à la maison, tout le monde appréhende de l’avoir dans les pattes.
Il n’y a pas beaucoup de monde qui souhaite faire partie de la vie de Benni… à part, comme il s’apprête à le découvrir, son cancer.
Attention, cette review de saison n’est pas exempte de spoilers !

Benni (c’est donc le surnom de Benedikt) est un homme très seul, très sévère, très sinistre. Il ne va manquer à personne à son boulot : considéré comme avare (une caractéristique qui ne rend pas vraiment un comptable très populaire avec ses collègues), grincheux et antipathique, il n’y a qu’un seul ami, Hjalti, avec qui il joue parfois au golf ou part à l’occasion en vacances. Cependant les deux hommes ne sont pas particulièrement proches, Benni n’étant pas d’un tempérament particulièrement sociable.
Benni vit seul, mais à proximité du reste de sa famille : son ex-femme Sigríður, laquelle est désormais en couple avec un homme plus jeune, Luis ; ainsi que leur fils Björn, qui avec sa compagne Ösp est déjà bien occupé à éduquer leur fille Sísí et à payer tant bien que mal les factures courantes. On va cependant découvrir que Benedikt n’est pas plus qu’au travail en odeur de sainteté auprès de sa famille : il méprise Sigríður et Luis pour souscrire à toutes sortes de croissance New Age, il est convaincu que Björn et Ösp sont des gamins qui ne savent pas gérer leur argent et pensent que tout leur est dû… et il n’a rien à reprocher à Sísí vu qu’il ne passe jamais de temps avec elle.

Après un pot de départ à la retraite célébré avec un certain soulagement par ses collègues, voilà donc notre Benni qui se rend à un dîner de famille… où sa mauvaise humeur légendaire vient évidemment gâcher la soirée. Pendant les jours qui suivent, il n’adresse plus la parole à personne, mais des maux de crâne et des saignements de nez persistants le poussent à consulter un médecin… et il découvre ainsi qu’une tumeur maligne s’est logée dans un recoin vraiment peu accessible de son cerveau. A partir de là, il a deux options : soit tenter une chimio hardcore pour gagner quelques mois, soit risquer une opération qui pourrait considérablement réduire la tumeur… mais à laquelle il a seulement 1 chance sur 5 de survivre.
Il devient assez clair que Benedikt n’a plus beaucoup de temps devant lui. Même en choisissant l’opération (qui doit se produire deux semaines plus tard), ses espoirs sont minces. Alors que faire du temps qu’il lui reste ?
C’est là que Benni se met en tête d’organiser ses propres funérailles… de son vivant.
Le ton de Jarðarförin mín est un peu étrange : on n’est pas tout-à-fait dans la comédie ou dramédie macabre (d’autant qu’il n’y a, en définitive, pas beaucoup de raisons de rire ou sourire, même si certaines choses sont un peu absurdes), mais on ne s’aventure jamais totalement dans le drame non plus, quand bien même il est question de mort… et de vieux dossiers.

L’un des crédos de la mini-série est en effet, comme pas mal d’autres avant elle, d’utiliser cette mort plus ou moins imminente comme une façon d’explorer la vie qui l’a précédée.
Jarðarförin mín se donne beaucoup de mal pour détailler son portrait de Benni… qui très franchement n’avait pas besoin de tant : il apparaît très rapidement qu’il est intransigeant, égocentrique et obstiné. L’exposition, plutôt efficace, avait bien fait son boulot, et le complément d’information apparaît vite comme superflu. Il a toujours un jugement négatif sur tout, et en particulier sur celles qui lui sont proches, puisqu’il s’est convaincu d’être entouré d’incapables et/ou d’irresponsables. En outre, sa réputation de radin est loin d’être usurpée, en particulier lorsqu’il s’agit de dépenser de l’argent pour quelqu’un d’autre que lui-même.
Au fil des épisodes, ce portrait est complété d’assez peu de nuances, en dépit du fait que la série suive presqu’uniquement sa perspective et offre un très petit nombre de scènes sans lui. On aura tout juste un peu l’occasion d’apprendre à connaître son entourage, et, à travers ses interactions avec ledit entourage, d’obtenir quelques détails nouveaux sur Benedikt. Jamais rien de révolutionnaire, pour être honnête. Il s’avère que Benni est le genre d’oignon dont le cœur ressemble exactement à la peau : aucune surprise à le peler.

Il ne vous étonnera nullement qu’avec une personnalité aussi solaire, Benni n’a pas forgé de liens très étroits avec sa famille. On découvrira au fur et à mesure des épisodes à quel point les choses sont tendues.
Cela fait par exemple 15 ans que Benedikt et Sigríður ont divorcé… et Benedikt en garde toujours une certaine rancune. Le fait qu’elle soit maintenant en couple avec un homme plus jeune (et étranger ; Luis ne parle quasiment qu’en anglais d’ailleurs) l’agace au plus haut point. Le fait qu’elle donne des cours de yoga, qu’elle parle d’aura ou de méditation, aussi. Qu’elle soit heureuse, globalement. Au fil de la série on apprendra vaguement que Benni et Siggy ont eu une fille aînée, mais on ne comprendra les exacts tenants et aboutissants de tout cela que dans le tout dernier épisode. Cela ne semble, pendant un long moment, pas avoir eu d’influence directe sur leur séparation d’alors, ni leurs rapports présents.
Entre Björn et Benedikt en revanche, les choses ne pourraient être plus claires. Il y a une rancœur vieille de plusieurs décennies entre les deux hommes, due en grande (totale ?) partie au fait que Benedikt n’a jamais été un père très chaleureux, c’est le moins qu’on puisse dire. De façon intéressante, Jarðarförin mín en profite pour aussi glisser un conflit de générations dans cette dynamique, qui n’était pas absolument nécessaire pour expliquer les problèmes entre le père et le fils, mais qui vient les renforcer. Björn est un Millennial désabusé et épuisé, un « simple » infirmier avec une paie modeste ; sa compagne Öst s’est lancée récemment dans une carrière d’influenceuse lifestyle, et la petite famille ne peut que se permettre de louer une petite maison mitoyenne. Or, il apparaît que depuis des décennies, Benni se met un petit pactole de côté… et qu’il commence à le dépenser pour ses fameuses funérailles. Une grande partie de l’intrigue va s’arrêter sur le fait que Björn et Öst voudraient devenir propriétaires (et il apparaît progressivement qu’elles n’ont pas beaucoup le choix, en fait). Or l’accession à la propriété étant ce qu’elle est, le couple demande de l’aide au paternel… qui les traite de tous les noms et dépense son pognon d’encore plus belle dans des conneries. N’avait-on pas prévenu qu’il était charmant ? La mini-série insiste sur les arguments des unes et de l’autre ; mais Benedikt, se sentant seul contre tous et avec le mépris qui le caractérise, ne fait que persister dans son attitude et son projet.

Même Ólöf, une amie de jeunesse qui par hasard réapparaît dans sa vie, ne parvient pas à lui faire comprendre que son obstination cause plus de dommages qu’autre chose.
Ólöf, c’est le premier amour de Benedikt, une femme incroyable qui a fait les 400 coups dans les années 60, est partie faire sa vie ailleurs, et que Benni pensait morte depuis des années. Sauf qu’en assistant (par curiosité) à des funérailles, il apprend qu’elle est récemment revenue en ville, et qu’elle est aujourd’hui pasteure. Elle va devenir rapidement sa meilleure confidente (sa seule confidente, honnêtement), sa conseillère, et… bon, sans vouloir vous spoiler, on devine quoi d’autre. Pour être tout-à-fait sincère avec vous, cette relation n’a rien de très intéressant dans la pratique, et surtout à part un peu de nostalgie, Ólöf n’a absolument rien à y gagner. La pauvre a l’air d’avoir eu mille vies, et elle passe une partie de son troisième âge à faire visiter un funérarium ou à écouter un vieux con se plaindre de tout… ya pas de justice.

A bien y regarder, Jarðarförin mín est en fait assez décevante. On n’y suit pas vraiment l’évolution du personnage central. Benedikt va trouver, en fin de saison, une rédemption un peu brutale, en révélant que c’est le décès de sa fille aînée qui l’aurait poussé à devenir distant. Tout le monde pleure un bon coup et il est comme pardonné !
Une grande partie des informations données, des échanges montrés, et des défauts révélés dans les épisodes n’aura donc servi à rien : ni à lui faire prendre conscience de la façon dont il blesse ses proches, ni à influencer le comportement de Benni (dont le seul changement d’attitude notable est qu’il passe plus de temps avec sa petite-fille, bien que sans trop se soucier de l’impact de certaines de ses actions sur elle). Dépeint du début à la fin comme nombriliste, aigri et méprisant, Benedikt va finir la série exactement comme il l’avait commencée, mais comme il a été triste à cause de la mort de sa fille, alors ça va, passons l’éponge.

Si le but de Jarðarförin mín avait été de nous dire des choses sur la remise en question que suscite la maladie et/ou l’âge ; ou sur les leçons que l’on peut apprendre de ses proches, et notamment ce que l’on peut découvrir sur soi dans leur regard… la série n’en montre rien. Il faudra venir à ces conclusions avec un peu d’effort d’imagination.
Les seuls changements de Benedikt sont envers lui-même : il apprend à se faire plaisir, à ne rien se refuser pour son propre bien-être, à lâcher un peu de sa précieuse fortune. Mais personne, strictement personne d’autre, ne profite de la soi-disant épiphanie. Lorsque finalement, malgré les conseils, craintes et suppliques de son entourage, Benni maintient son projet de funérailles de son vivant, la moitié du dernier épisode en observe le déroulé. C’est comme si la série attendait de nous d’être émues, poussant pour une raison inconnue ses proches à toutes s’y présenter sans exception (en dépit de leurs multiples objections), une larmouchette à l’oeil.
J’aurais absolument accepté que le sujet de Jarðarförin mín soit que… ma foi, il n’est pas rare que des funérailles poussent l’entourage à se montrer plus complaisant avec le défunt que ce qu’il mérite. J’aurais été prête à entendre ce genre de conclusion : que tout le monde fait la paix avec Benedikt parce que le deuil est une chose complexe, qu’on peut parfois pardonner avec le recul parce que cela aide à passer une étape douloureuse, et/ou qu’on est dans un état émotionnel qui fait oublier, au moins temporairement, les mauvais souvenirs. Un décès peut avoir, paradoxalement, un effet « lunettes roses ». C’est absolument quelque chose qui aurait pu se produire avec les éléments mis en place.
Le problème c’est que Jarðarförin mín est si peu intéressée par les émotions des personnages autres que Benni, que leur ressenti est très peu détaillé pendant cette conclusion. Pourquoi la famille de Benedikt est-elle venue à l’enterrement ? Pourquoi lui passer ce caprice après avoir réagi si vertement aux précédents (…à raison, si vous voulez mon avis) ? Je ne dis pas que le héros devait nécessairement être puni (je dis juste que je l’aurais souhaité, nuance !). Mais au moins expliquer ce qui lui vaut, au final, d’être couvert d’amour et de bonne volonté quand à aucun moment il n’a rien fait pour en arriver là, ni karmiquement ni narrativement.

Alors écoutez, on va être claires : de toute évidence, je n’étais pas le bon public pour cette série. Moi, vous me donnez un personnage de parent verbalement maltraitant, eh bien vous aurez beau faire rien ne me fera l’apprécier. On partait du mauvais pied, Jarðarförin mín et moi. C’est sûrement ce qui a conduit à un énorme malentendu. La série avançait et je me massais les tempes devant mon écran : est-il possible que ce connard soit un tel connard ? Spoiler : totalement possible. Mais pas satisfaisant pour un sou, parce que ce connard reste un connard. Même pas un connard drôle, juste un connard.
Lorsque le dernier épisode s’est conclu (non sans m’évoquer brièvement Scrubs), j’étais sciée. Pourquoi offrir une rédemption à ce gros connard sans qu’il ne la mérite un seul instant ? Parce qu’il a dû faire le deuil de sa fille ? Bah… Siggy aussi et c’est pas une grosse connasse. Qu’est-ce que c’est que cette morale de merde ? A quoi ont servi ces 3 heures de fiction si au final la seule chose qui a changé c’est que tout le monde fait des câlins à Benni ? Pourquoi je n’arrête pas de reviewer des séries frustrantes pour aller élever des chèvres dans le Larzac, au juste ?

Non, je n’étais pas le meilleur public pour la conclusion de Jarðarförin mín, mais je reconnais que même si celle-ci m’a plus que laissée sur ma faim, je n’ai pas détesté une grande partie de son déroulement. Il y a quelques fascinantes protagonistes, même si elles vivent dans l’ombre du héros : Ólöf mérite un spin-off sur les 50 dernières années incroyables qu’elle a vécue, Björn devrait avoir toute une saison dédiée à son rapport complexe à la famille (par exemple comment a-t-il vécu d’apprendre qu’il avait eu une sœur qu’il n’avait pas connue), et ce pauvre Hjalti mérite qu’une fois de temps en temps, on le laisse parler de lui, parce qu’il a l’air d’être la gentillesse et la patience incarnées.
Par moments les situations rocambolesques de Jarðarförin mín (ou l’ultime plan de cette première saison) nous rappellent qu’il s’agit d’une dramédie… mais je crois qu’en fait, j’étais bien trop crispée par tout le reste pour en profiter. Hey, ça vous dit pas une saison 2 dans laquelle Benni est mort sur la table d’opération, et tout le monde organise de vraies funérailles post-mortem ? Je suis partante pour ça.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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