Still waters run deep

25 décembre 2021 à 20:43

Balhae, une station scientifique sur la Lune. Plongée dans le noir, le froid, le silence. Mais de la tranquillité, cette mer n’a que le nom : une tragédie s’y est en effet jouée voilà 5 ans. La centaine d’habitantes de la station sont mortes dans une catastrophe radiologique, laissant une coquille vide en orbite de la Terre. Après tout ce temps, pourtant, les autorités décident d’envoyer une groupe d’astronautes composé de militaires et de scientifiques pour y récupérer un « échantillon ». Quelle est la nature de cet échantillon ? On ne sait pas. Mais si seulement c’était la seule chose qu’on ne sait pas…

Goyoui Bada, lancée à la veille de Noël par Netflix (sous le titre The Silent Sea dans les pays non-coréanophones), est un huis clos étouffant au cœur de cette station lunaire. C’est aussi l’une des rares séries se déroulant dans l’espace produites en Asie. Je me devais donc évidemment d’y jeter un oeil, et au final, j’ai fait un peu plus que ça… puisque ceci est une review de saison.

Le futur dépeint par Goyoui Bada n’a rien de glorieux mais, sans vouloir vous déprimer, on commence à avoir l’habitude : dans la fiction comme ailleurs, les choses semblent de plus en plus mal barrées. On ne sait pas quand se déroule précisément l’intrigue, mais selon elle, dans un avenir relativement proche, la Terre se dessèche ; ses oceans et ses cours d’eau se vident, ses rares sources restantes sont souvent polluées, et sa population aquatique se meurt… et du coup, l’Humanité aussi.
La série s’ouvre sur une séquence (devenue assez classique dans le domaine des séries d’anticipation) nous présentant un montage de reportages et de scènes du quotidien nous expliquant que d’ici 10 ans, même en procédant à une utilisation méticuleuse de l’eau, la Terre bleue n’aura plus aucune raison de porter ce nom. Et elle est gérée avec plus que parcimonie, cette eau, alors qu’il est devenu interdit d’avoir un animal (ça coûte trop d’eau de le garder en vie), et surtout, que des rations drastiques sont accordées à la population selon son statut, ce qui vient en plus du reste créer d’immenses inégalités d’accès à une ressource pourtant vitale. Si vous n’êtes pas encore totalement déprimée, alors apprenez qu’en plus, le taux de mortalité infantile est d’environ 10%, à cause à la fois de l’accès à l’eau, de la pollution, et des maladies se développant dans ces conditions.
La situation est donc dramatique, pour ne pas dire désespérée. Le tableau que peint Goyoui Bada n’est pas exactement l’idée que je me faisais d’une série de Noël, mais il est en tout cas suffisamment complet (et régulièrement agrémenté de compléments au fil de la saison) pour servir de motivation à la fois globale et individuelle pour le reste de l’intrigue. J’ai d’ailleurs eu plus d’une pensée pour la première saison d’Another Life (c’est dommage parce que je voulais vraiment réussir à l’oublier, cette grosse merde), commise par la même plateforme, notamment parce qu’elle n’arrivait pas à donner à son futur glauque une quelconque raison d’être, à part pour faire genre. Et encore. Dans Goyoui Bada, il est certain que ce futur est toute la raison d’être de l’intrigue, les destinées personnelles finissant toujours à revenir à ce manque d’eau et les conséquences de celui-ci.
Parce que Netflix n’est pas tombée de la dernière pluie (pardon), l’héroïne de la série Dr. Song Ji An est incarnée par Bae Doona, sûrement l’actrice sud-coréenne la plus connue de son public vu qu’elle était au générique de Sense8, Kingdom et Persona précédemment. Bien que la série s’intéresse ponctuellement à la perspective d’autres personnages, c’est à travers ses yeux que nous allons vivre l’intrigue, et lentement lever le voile sur ce qui se trame sur Balhae.

Tout commence pour Dr. Song lorsque le gouvernement la recrute pour rejoindre l’équipe chargée de se rendre sur Balhae pour récupérer le fameux échantillon. Dés le départ, Goyoui Bada instaure un climat de méfiance envers les autorités ; il va progressivement s’avérer que cette méfiance est justifiée. L’administration spatiale et aéronautique, et en particulier la directrice Choi, se gardent bien de partager les informations en leur possession, notamment (ce qui vous l’admettrez n’est pas mineur) sur la nature de l’échantillon. Parce que Dr. Song est une astrobiologiste (même si quelques années plus tôt elle s’est reconvertie dans l’éthologie ; quelque chose d’ailleurs dont je pensais que la série se servirait un peu plus qu’elle ne le fait), elle est sollicitée pour apporter son expertise, qui permettrait de ramener la substance de l’échantillon sur Terre en toute sécurité.
Sauf que Dr. Song n’est pas n’importe qui : elle est aussi la sœur de la scientifique qui dirigeait les opérations sur Balhae, et elle fait donc ce voyage le cœur lourd. Goyoui Bada ne veut pas transformer son intrigue, loin s’en faut, en prétexte à une exploration du deuil ; mais la série insiste aussi pour pousser son héroïne à faire face à des émotions qui n’ont jamais été totalement digérées, aussi bien sur les circonstances du décès que sur l’après. Car en 5 années, on pourrait penser que l’eau a coulé sous les ponts (sorry), mais tout n’a pas été réglé.
Sur place, aux côtés de l’escadron dirigé par le capitaine Han, elle va s’apercevoir qu’on ne lui a pas dit la vérité sur la mort de sa sœur, et que d’ailleurs personne sur Terre n’a eu autre chose qu’une version très édulcorée des événements. La voilà donc lancée dans une quête de vérité, alors que, dans le même temps, l’équipage doit gérer d’autres dangers, à commencer par un alunissage en catastrophe qui le prive bien vite de sa navette, et donc d’un moyen de rentrer sur Terre. Les ennuis ne font que commencer, et le premier des morts parmi le groupe ne sera pas le dernier. Eleven little astronauts went out to the moon ; one broke his ribs and then there were ten…

Je vais être franche avec vous : il y a des moments pendant lesquels Goyoui Bada est assez conventionnelle dans ses thèmes ou même son déroulement… et pourtant j’ai biberonné ses épisodes comme d’autres en cette saison leur vin de Noël.
L’écofuturisme de la série n’est franchement pas révolutionnaire (et d’ailleurs la série le sent, puisqu’elle ne perd pas son temps à en détailler les causes), quand bien même il est détaillé de façon à donner une compréhension très complète des enjeux de cette mission sur la Lune. Quant à l’action elle-même, elle emprunte au thriller voire à l’horreur, plongeant certes ses personnages dans une terreur communicative, mais ne surprenant pas vraiment. Plein de fictions (séries, mais aussi films) ont eu l’idée bien avant Goyoui Bada d’enfermer des gens dans une station spatiale ou un quelconque vaisseau, et de les voir tomber comme des mouches progressivement (…je vous l’ai dit : à mon corps défendant j’ai pensé plusieurs fois à Another Life) au nom d’une mission opaque.

Alors qu’est-ce qui fait que j’ai de bonnes choses à dire sur celle-là plus que pour d’autres ?

Plein de raisons, en fait, à condition d’être capable de mettre de côté l’impression de déjà vu qui découle des aspects le plus conventionnels de la série.

D’abord, je vous le dis tout net, j’ai énormément accroché à l’esthétique de la série. Bon, certes, il y fait souvent très sombre (le mal du siècle des séries, franchement), mais ici ça semble bien participer à l’univers dans lequel elle se déroule, et ce n’est pas systématique heureusement. Il y a une certaine poésie, en fait, dans son absence de lumière et/ou de couleur, qui ne fait que renforcer l’effet de scènes ou plans dans lesquels soudain la lumière et/ou la couleur deviennent capitales. Et puis, à l’image de son générique, Goyoui Bada se plaît à s’abimer dans des moments plus contemplatifs, presque poétiques, pendant lesquels les émotions des personnages se trouvent sublimées, ce qui signifie qu’on ressent des émotions parfois très intenses devant une série qui pourrait, de l’extérieur, paraître assez quelconque.

Plus encore, je crois que la qualité première de cette saison de Goyoui Bada, c’est de faire systématiquement avancer son intrigue à chaque épisode. Vous me direz, ça devrait couler de source (…pardon), mais par les temps qui courent rien n’est moins sûr, et beaucoup de séries aiment nous faire mariner (désolée) en attendant des réponses qui ne viennent pas. Ici c’est le contraire ; chaque épisode fournit une réponse à une question importante, et ça donne une impression de satisfaction quand bien même, à plusieurs reprises, j’ai eu le sentiment d’obtenir cette réponse bien avant que les personnages ne la trouvent. Au moins, on ne se retrouve pas à hurler devant son écran pendant des heures : « MAIS ARRÊTE D’ÊTRE CONNE C’EST UN ESPION LUI LÀ », et c’est déjà ça de pris.
La façon dont l’intrigue avance permet en outre de s’assurer que les conséquences dramatiques de ces réponses seront abordées, et que les morts qui jalonnent ces 8 épisodes ne seront pas dénuées de sens. On prend un peu de temps (pas tout le temps, mais suffisamment) pour dire : punaise, on a perdu quelqu’un là, c’est grave, c’est triste, c’est angoissant. Encore une fois ça devrait sûrement tomber sous le sens pour une série digne de ce nom, mais les faits prouvent bien que ce n’est pas une évidence pour beaucoup d’entre elles, et que Goyoui Bada a quand même le mérite de bien faire le taff.

Je crois qu’en outre, le thème-même de Goyoui Bada m’a envoûtée. Le manque d’eau sur Terre, c’est à la fois le problème est aussi la solution de la série. Quels que soient les monstres que l’intrigue fait passer dans son intrigue (le spectre de la mort lente de la planète, bien-sûr, mais aussi des monstres autrement plus humains, et bien-sûr les dangers à bord de la station lunaire), il y a une unité thématique qui permet de dire que Balhae n’est pas qu’une parenthèse horrifique, elle fait partie d’un tout. Ce qui évidemment est souligné par la mythologie à mesure qu’elle nous est révélée, mais prend à plusieurs reprises une tournure imprévisible.

Evidemment, il faudrait aussi souligner la qualité de la distribution, même si Bae Doona n’a plus vraiment besoin de faire ses preuves et Gong Yoo à peine plus. Il y a de très bons éléments au générique, même si plusieurs ont signé pour une présence à l’écran brève couronnée par une fin un peu abrupte, et on est clairement dans ce qui appartient à la catégorie du haut du panier sud-coréen. Netflix aurait tort de se priver de commander des séries comme ça en ce moment (même avant d’avoir vu le succès que remporterait Ojingeo Game).
Il y a une impression générale d’effort qui se dégage de la série (et pas qu’une impression de budget, même si ça aussi), en dépit de certaines facilités ou de sa fin un peu déconcertante. D’ailleurs, sans y croire, j’espère que la série se verra offrir une deuxième saison, parce que je suis en train de finir The Expanse et je vais avoir besoin d’un nouveau space opera… Je peux comprendre sans aucune difficulté qu’on ne trouve pas Goyoui Bada révolutionnaire ; elle ne l’est pas, et elle ne prétend pas l’être (ou alors sa seule existence, vu son pays d’origine, est une révolution ; ça dépend du point de vue). Toutefois je trouve difficile de ne pas la trouver prenante, et de ne pas avoir envie de voir les retombées de ce qui s’est déroulé sous nos yeux pendant cette (première ?) saison, qui en outre forcerait la série à repousser encore les limites de ce qu’une série de science-fiction asiatique peut offrir.

Mais bon, j’ai un peu le sentiment que je peux toujours croire cela et boire de l’eau.
Vous n’imaginez pas combien de ces jeux de mots j’ai RETIRÉS de cette review, alors ne vous plaignez pas de ceux qui restent.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

1 commentaire

  1. Tiadeets dit :

    Lorsque la série est sortie, on en avait parlé avec des amies (grosses fans de Gong Yoo depuis des années, forcément) et je voulais la montrer à ma mère. Au final, je n’avais pas eu le temps avant de repartir, mais elle l’a regardé il y a quelques semaines et a bien aimé, comme quoi toute série arrive à trouver son public si on lui en donne le temps.

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