Tomboy

30 décembre 2021 à 21:15

Tentant de faire ce que je prêche, j’ai décidé d’essayer de reviewer des soaps un peu plus souvent, et mon choix s’est quasi-immédiatement tourné vers Meet, un soap indien en hindi lancé fin août par Zee TV, qui affiche l’ambition de bousculer un peu les normes de genre. Et quand on est un soap, c’est une intention vraiment intéressante !

En réalité, Meet est l’adaptation d’un autre serial indien, Sindura Bindu, tourné lui en odia pour une chaîne régionale et remontant à 2017. Cette série a déjà donné naissance à de nombreuses versions pour diverses chaînes spécialisées du groupe Zee, en bengali ou tamoul par exemple. Ce qui fait d’elle une série un peu différente, c’est qu’outre ses dialogues en hindi, Meet est produite pour la chaîne nationale Zee TV, et même mise à disposition au-delà, sur la plateforme Zee5. Elle est donc destinée à un public très large (ce qui inclut aussi une grande partie de la diaspora indienne).

Meet est le nom de l’héroïne de la série, une jeune femme de vingt ans qui est la cadette de deux filles élevées par leur mère et leur grand’mère. On apprendra au cours de ce premier épisode que leur père était un officier de police et qu’il est décédé, bien qu’on n’explore pas dans quelles circonstances pour le moment.
Manushi, sa grande sœur, est très féminine, fait attention à son apparence, et se montre à l’occasion superficielle. Elle n’est pas fondamentalement méchante, mais elle a une moins grande considération pour sa petite sœur que pour d’autres membres de sa famille, en particulier la grand’mère dont elle est la petite favorite. Meet par comparaison est plutôt masculine, quelque chose souligné à la fois par ses cheveux courts mais aussi par le fait qu’elle a un travail en tant que coursière. Sa grand’mère considère qu’une femme ne devrait pas travailler hors de la maison, et n’éprouve que du mépris pour son travail ; une attitude que Manushi a également adoptée. L’héroïne subvient pourtant, grâce à ce job, aux besoins de la totalité des femmes de sa famille.

Le premier épisode commence justement alors qu’elle est en train de livrer un paquet. La femme qui lui ouvre la porte la prend (évidemment) pour un homme au début, puis Meet ôte son casque de moto pour la détromper, et finit par l’aider à monter le meuble pour bébé que la cliente avait commandé. C’est par ce genre de scènes que Meet veut nous indiquer que sa protagoniste centrale n’est pas une femme comme les autres. Chaque fois qu’elle est prise pour un homme, Meet met un point d’honneur à détromper son interlocutrice, mais en rappelant que ce qu’elle fait n’est pas masculin. A la cliente, par exemple, elle indiquera que pour faire son travail il n’y a pas besoin d’être un homme, juste d’être passionnée. La démonstration n’est pas absolument fine, mais la subtilité n’est pas l’enjeu ici puisqu’on est dans un épisode d’exposition de moins d’une demi-heure. Or, on a d’autres éléments de la série à introduire.
En particulier, ce premier épisode de Meet commence à laisser entendre que ce n’est pas un hasard si son héroïne éponyme endosse un rôle plutôt masculin. Après le décès de son père, la jeune femme a en effet pris sur elle de s’assurer du bien-être de sa famille, celle-ci n’ayant plus de membre masculin pouvant être « l’homme de la maison ». Dans une brève scène de flashback, on la verra même avec des cheveux longs tressés, ce qui tend à indiquer que son apparence a commencé à adopter une présentation plus masculine après que Meet ait pris de nouvelles responsabilités considérées comme masculines.

Un autre aspect de l’intrigue de cet épisode inaugural vient encore souligner combien les rôles genrés ont basculé dans cette famille. L’épisode se déroule en effet le jour de Raksha Bandhan, une fête pendant laquelle, traditionnellement, les sœurs offrent un symbole de leur attachement aux frères (en particulier un rakhi noué autour du poignet), et les frères en échange leur offrent des petits cadeaux. La mère de Manushi et Meet insiste (apparemment pas pour la première fois) pour que cette année, Manu offre à Meet un rakhi et suive la cérémonie traditionnelle à la lettre, quand bien même, normalement, elle n’a pas lieu entre deux sœurs. Manu, qui ne pense qu’à aller voir ses amies, comme sa grand’mère qui est très traditionnelle (ce qui est illustré par sa méconnaissance de l’anglais au début de l’épisode), tentent d’échapper à cette tradition… mais rien à faire, la mère insiste.
Finalement après quelques péripéties, le rakhi est bien noué autour du poignet de Meet par Manushi, et vient l’heure des cadeaux ; à la surprise générale, Meet va en profiter pour offrir des présents en or massif, prouvant qu’elle est à même à la fois de prendre soin de toute sa famille, et de tenir une lointaine promesse autrefois faite par son père.

Le premier épisode de Meet insiste donc sur l’entre-deux dans lequel existe son héroïne : elle est une femme, et personne ne le nie (ou jamais longtemps lorsqu’il y a malentendu). Elle se comporte « comme un garçon », et sa mère la traite comme le chef de la famille, mais n’en est pas un.
C’est important pour la série de le souligner pour deux raisons, qui montrent que malgré son pitch légèrement original, Meet n’a aucune intention de rompre avec deux puissants tropes de la télévision quotidienne, notamment indienne.

D’abord, parce que Meet va commencer très vite à mettre en place un enjeu amoureux et il est hors de question que cet enjeu ne soit pas masculin. On veut bien rigoler avec les normes de genre mais pas avec avec l’hétérocentrisme ! On est quand même à la télévision traditionnelle… L’épisode introduit un personnage masculin (dans ce qui était, en-dehors de ça, un fabuleux gynécée), fils d’un entrepreneur. Plein d’ambition, il espère lui aussi faire fortune un jour. Entre outre, il se distingue dans cette introduction en sauvant la vie d’un petit garçon sur un chantier de son père. Cet homme généreux et musclé porte le nom de… Meet ! Hélas il est aussi plutôt colérique, et lorsque sa voiture percute la moto de notre héroïne (…Meet, vous suivez ?), une altercation publique va suivre. Evidemment, à l’issue de leur dispute sur la voie publique, Meet et Meet (aucune chance que ça prête à confusion) se jurent d’en rester là et espèrent ne jamais recroiser l’une le chemin de l’autre, mais ça va, on sait. A partir de là il est assez net que Meet et Meet vont devoir apprendre (à leur corps défendant) à s’apprécier, une chamaillerie à la fois ; une brève lecture des résumés d’épisodes suivants me le confirme d’ailleurs. En fait, malgré ces clichés, je trouve assez intéressant que Meet semble faire le choix de prouver qu’une femme exhibant peu de caractéristiques considérées comme féminines puisse faire un enjeu amoureux enviable. En tout cas, à terme.
L’autre passage obligé de tout soap indien (à quelques exceptions près), c’est la thématique selon laquelle toute héroïne a forcément le ciel qui lui tombe sur la tête et fait face à toutes les galères du monde, contre lesquelles elle est supposée faire preuve d’encore plus d’innocence, de gentillesse et de patience. Le culte de la « victime perpétuelle » parfaite est ici entretenu par les échanges entre Meet et sa grand’mère. Au cours de cette première demi-heure, on apprendra pourquoi le décès de son père n’est pas la seule explication au traitement un peu à part que sa famille fait de Meet : la jeune femme a en effet commis une sorte de « péché originel » au moment de sa naissance, en survivant à son frère jumeau (lequel était trop faible et n’a pas survécu plus de quelques minutes après l’accouchement). L’explication « médicale » donnée il y a 20 ans à la grand’mère est que l’un des bébés ayant pris trop de place pendant la grossesse, l’autre n’a pas pu devenir fort et a péri. C’est ce qui vaut à Meet d’être détestée par sa grand’mère, qui aurait préféré qu’à choisir, des deux jumeaux, ce soit le frère qui survive. Quoi que fasse Meet depuis, en dépit des efforts qu’elle fournit pour survenir aux besoins de sa famille, de l’attention dont elle fait preuve à tout moment, et de sa bonne humeur constante, sa grand’mère va perpétuellement la traiter comme une moins que rien et la cause de tous les malheurs du monde. Ce ne sera sûrement pas la seule. Donc bon, pour le moment Meet s’en prend plein les dents malgré toute sa bonne volonté, mais il y a une chance pour que, au bout d’un moment, l’intrigue de Meet finisse par exemple par faire comprendre à la grand’mère que Meet ne vaut pas moins qu’un petit-fils…

En soi, Meet n’est donc pas révolutionnaire : elle coche à peu près tous les critères d’un soap indien classique comme on en diffuse depuis des décennies. Il ne faut pas s’attendre à un discours novateur, ou même à des intrigues très différentes de l’habituelle dynamique saas-bahu (soit belle-mère et bru, où le personnage féminin plus jeune est maltraité par le personnage féminin plus âgé), mais seulement à une justification différente de cette dynamique. Ici c’est à la fois son genre et la façon dont elle l’exprime qui portent préjudice à la protagoniste de Meet, dans d’autres séries ce serait son âge (Balika Vadhu), son poids (Dhhai Kilo Prem), sa couleur de peau (Saat Phere) ou son origine sociale (…à peu près toutes les séries du genre).
Toutefois je n’irai pas jusqu’à dire qu’il s’agit purement d’un gimmick, vu l’importance que cette exposition place à prouver ostensiblement les qualités morales de son héroïne sans, pour le moment, insinuer une seule fois qu’elle devrait changer son apparence ou son style de vie. La rançon probable de tout cela étant qu’à un moment, loin, loin dans le futur de la série sûrement, Meet nous dira que n’être pas une femme féminine n’empêche pas d’être une femme normale, voire même une femme aimable.
Et si c’est le cas, c’est déjà pas mal, pour une « simple » série quotidienne d’une demi-heure.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

1 commentaire

  1. Tiadeets dit :

    « Et si c’est le cas, c’est déjà pas mal, pour une « simple » série quotidienne d’une demi-heure. » – Comme dirait l’autre THIS! Pas la peine d’être révolutionnaire si elle arrive petit à petit, à force de séries, à changer les mentalités.

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