A beautiful moment

3 mars 2022 à 22:37

Au juste, qu’attend-on d’un biopic ? Il y a autant de réponses que de spectatrices pour en regarder. En ce qui me concerne, ça dépend de la personnalité concernée : le domaine dans lequel elle s’est rendue célèbre (politique ou art ?) a de l’importance, par exemple, mais pas seulement. Il est des figures historiques pour lesquelles il est important d’avoir un portrait équilibré, peut-être même expressément conçu comme critique ; pour d’autres, je n’ai aucun problème avec une fiction écrite avec peu de soucis pour « l’objectivité », pleine d’admiration.
Mui Yim Fong, le biopic sur la star hongkongaise éponyme mais également connue sous son nom anglophone Anita Mui (c’est également sous le titre d’Anita qu’il est sorti à l’international), est un monument érigé à la gloire de la chanteuse. Avec des étoiles dans les yeux, on y découvre ou redécouvre un parcours incroyable… et parfois, je suis d’avis qu’il n’en faut guère plus. Etant bien moins bien versée en Cantopop que dans ses équivalents japonais ou sud-coréen, de toute façon, je n’avais pas vraiment envie d’autre chose.

Trigger warning : suicide.

Pour vous situer Anita Mui, la presse anglosaxonne l’avait surnommée « Madonna of the East »… bon, en termes d’image publique, je n’irai pas jusque là, mais en matière d’impact populaire et commercial, ce n’est pas la pire comparaison qui soit.
Note : j’avais du mal à choisir, alors toutes les illustrations de cette review sont différentes affiches de la série.

Mui Yim Fong a décidé de démarrer son premier épisode à la fin des années 60, alors que son héroïne n’a que 4 ans. Avec sa grande sœur (« Ann » de son nom anglais), elle se produit dans des cabarets où elle chante des titres populaires, et peine à joindre les deux bouts. On ne va pas trop s’étendre sur le pourquoi de cette situation financière, et dans l’ensemble c’est assez symptomatiques de l’équilibre que tente de trouver la série : on veut y décrire les différentes étapes de la vie de la chanteuse (et actrice, d’ailleurs ; l’intrigue mentionne quelques uns de ses rôles), mais ne pas entrer dans les détails. En un sens, tant mieux : on ne nous sort pas les violons pendant une heure sur une petite fille qui pleure parce que son père est mort ou qu’elle doit travailler pour aider à faire vivre sa famille. On nous présente, juste, objectivement, que la chanson a toujours fait partie de sa vie et qu’elle a grandi en coulisses. Toujours est-il que ce démarrage pose bien les bases de ce que veut faire le biopic.

…Ce n’est pas que la biographie soit superficielle, pas exactement. Il y a une telle impression d’adoration et de révérence qui en ressort, qu’à plusieurs moments, je me suis fait la réflexion que Mui Yim Fong respectait trop son sujet pour lui inventer des émotions et des tourments intimes.
Ainsi, lorsqu’à l’adolescence elle apprend qu’elle a des nodules dans la gorge, on ne s’apesantira pas sur l’opération, ni même le fait qu’elle a cessé de chanter pendant un an. Quel peut avoir été l’impact de pareille étape dans la vie de quelqu’un qui chante depuis toujours ? On ne le saura pas. C’est limite pas nos oignons. Non, ce qui compte, c’est qu’ensuite, la jeune fille prenne l’initiative d’elle-même d’apprendre à chanter une octave plus grave, ce qui deviendra ensuite sa marque de fabrique. Ou bien, lorsqu’on lui demandera à quel âge elle a connu son premier amour, Anita répondra… alors qu’on ne nous proposera jamais de voir à quoi ces émotions ont pu ressembler.
Il y a une forme de pudeur dans la façon dont nous est présentée cette vie (ou en tout cas la majeure partie). Une pudeur que l’on garde pour quelqu’un qu’on respecte trop pour prendre le risque de parler en son nom ; la vocation de Mui Yim Fong est de partager avec les spectatrices cette adoration polie. Si cela vous gêne, je le conçois ; mais j’y vois aussi une garantie de ne pas se vautrer dans le sensationnalisme. Mui Yim Fong s’envisage comme une communion autour d’un amour partagé, pas la version filmée d’un tell-all racoleur ; une intention affirmée dés sa première scène, un montage du concert final de la chanteuse avec, en voix-off, ses mots à son public : « Je vous aime aussi. Le temps est sans pitié. Il passe à côté de nous minute après minute. Ma vie sur scène s’achève. Ce qui reste est un souvenir, mais avoir la possibilité de passer ce moment magnifique avec vous ce soir est ce qui m’a réellement comblée ».
Combinée à l’extrême beauté de la série, cette délicatesse est plus touchante que tous les mélodrames du monde.

Ce n’est pas la première fois que la chanteuse fait l’objet d’une série ou d’un film.
Dés 1998, Kuk Jung Ching Mei Liu s’y essaie… indirectement : pour ne pas trop se mouiller, la série change le nom de son personnage principal en « Monica Mui ». Ce qui évidemment rend les emprunts à la biographie d’Anita Mui totalement invisibles, c’est comme ça que ça marche. Les 30 épisodes de la série sont en outre moins intéressés par le parcours de la chanteuse, que par ses amours plus ou moins avérées. Nouvelle tentative en 2007, cette fois du côté du mainland chinois, avec Mei Yan Fang Fei. La série revient, cette fois en 38 épisodes, sur la fin de la vie de la star : sa participation active dans le financement de la lutte contre le SRAS, ses derniers concerts, la découverte du cancer du col de l’utérus… Les noms ont été changés ici aussi, mais le nombre de références ostensibles à d’autres célébrités (dont Leslie Cheung, l’ami de toujours) et la spécificité des évènements, font qu’on est plus dans une biographie que dans une oeuvre de fiction « inspirée de ». Enfin, en 2019, le film Shi Fang s’est attelé à la tâche de mélanger en moins d’1h30 reconstitution dramatique, images d’archives, et documentaire suivant plusieurs fans de la chanteuse alors qu’elles essaient de sauver de la destruction des objets qui lui avaient été offerts par son public. A noter que je n’ai pu voir aucune de ces versions, mais je devrais pouvoir jeter un oeil à Shi Fang prochainement…
De toutes ces tentatives, aucune n’a jusque là retracé la totalité de la vie d’Anita Mui : Kuk Jung Ching Mei Liu parce qu’elle se focalisait sur la romance (et parce qu’elle a été produite alors que la chanteuse était encore en vie), Mei Yan Fang Fei parce qu’elle s’intéresse presqu’exclusivement à la fin de sa vie (et qu’elle écarte soigneusement tout l’activisme politique de Mui, notamment son soutien pour les manifestations de Tienanmen), et Shi Fang parce que le film est plus conçu comme un hommage à l’héritage symbolique de la chanteuse, qu’à sa vie elle-même (en outre son format de docudrama n’en fait pas vraiment un biopic).
Mui Yim Fong est donc dans une position unique. D’autant plus unique qu’à l’origine, ce projet est un film qui, après les inévitables aléas causés par la pandémie, est sorti à Hong Kong en novembre dernier. Toutefois, la version dont je parle dans cette review est celle proposée dans plusieurs pays par Disney+, qui a mis en ligne à partir du mois de février dernier une version remontée de 5 épisodes, avec plus d’une heure de scènes inédites par rapport au film ; le dernier épisode a ainsi été mis en ligne hier. Disney+ est, accessoirement, l’une des plateformes proposant Shi Fang dans certaines régions.

Ce qui ne veut pas dire que Mui Yim Fong compense tous les points aveugles des autres séries ou films qui la précèdent, mais elle a au moins quelques avantages : celui du recul, celui de l’angle, et celui de la durée.
Je ne sais pas à quoi ressemble la structure du film, mais la série est très joliment découpée en 5 épisodes, chacun sur un thème autant qu’une phase de la vie de la chanteuse : l’ascension, le sacrifice, le doute, le deuil, l’adieu. Cela fonctionne même étonnamment bien pour une fiction initialement conçue comme un long métrage ! Une raison de plus de ne plus jamais entendre parler de « film de 10 heures » pour des séries… Interrogeant des aspects très spécifiques de la vie privée comme publique de Mui, l’intrigue passe pudiquement sur certaines choses, mais s’arrête longuement sur d’autres.
Y a-t-il des… « omissions » ? Sans aucun doute. Ne serait-ce qu’à cause du ton que la série s’est choisi, mais aussi parce que d’autres thèmes, même en passant, lui semblaient trop polémiques.
Ainsi Mui Yim Fong, pas plus que ses aînées, ne va parler du soutien de son héroïne aux manifestations de Tiananmen (cela donne l’impression que son engagement ne lui est apparu que sur la fin de sa vie, d’ailleurs). Ou va, l’air de rien, complètement omettre l’enfance tumultueuse de son héroïne (seule sa soeur va apparaître dans l’intrigue). Ou bien, on va gommer la bisexualité de son ami Leslie Cheung, même pas sur la fin de sa vie (alors qu’il était out et qu’il avait un compagnon au moment de sa mort), ce qui serait un peu plus excusable si son décès n’occupait pas les trois quarts d’un des épisodes… Ou alors, on va généreusement faire passer « Yuuki Gotou », le premier amour d’Anita Mui, pour un homme victime de sa hiérarchie, alors qu’il est de notoriété publique que le réel amant de la chanteuse, le Japonais Masahiko Kondou, était un coureur de jupons (il est d’ailleurs la seule célébrité dont le véritable nom n’est pas utilisé). Ou carrément, on va gommer les liens entre l’industrie du divertissement et celle du crime organisé en blanchissant totalement les faits les plus sordides de l’affaire de la « gifle », dans laquelle deux personnes ont trouvé la mort, mais vous ne le tenez certainement pas de la série.
On ne vient clairement pas à Mui Yim Fong pour l’exactitude historique. Et donc ?

Est-ce que ça fait de Mui Yim Fong un exercice futile ? Etrangement pas, à condition de bien comprendre ce qu’il faut venir y trouver : une communion entre gens qui aiment toujours Anita Mui avec sincérité, près de deux décennies après sa mort. La vie de Mui Yim Fong n’était pas un vaste scandale qu’on nous cacherait dans ce biopic, de toute façon. La chanteuse n’avait, pour autant que je puisse en juger, pas vraiment de vice particulier ou de méfait atroce à se reprocher. L’embellissement de la série, en grande partie (bon à part ce qui concerne Leslie Cheung, et qui me chagrine), tient en fait à ne pas déshonorer les personnes qui lui ont survécu ; et très franchement, dans une oeuvre à la gloire d’Anita Mui, ce n’est pas le pire compromis qui soit. Mui Yim Fong est là pour s’entendre sur l’essentiel.
Alors bien-sûr, vous allez me dire : « lady, euh, pardon hein, mais si tu n’avais pas mis ce lien vers Wikipedia comme tu sais si bien le faire, moi je n’aurais eu aucune idée de qui était Anita Mui… alors, la communion, bon… », ce qui s’entend. Mais je vous assure qu’il est impossible de ne pas partager cet amour en regardant la mini-série, même en tant que néophyte. J’ai fini chaque épisode le cœur battant, et le dernier, en larmes, même ; et j’en savais à peine plus que vous sur Anita avant de commencer.

Peut-être que c’est parce que la mini-série est réussie ; elle l’est, l’explication est donc plus que probable. Mais peut-être que c’est parce que nous avons tous des célébrités chères à notre cœur, que nous voulons aimer de toute notre âme et dont, si par malheur elles venaient à nous quitter, nous voudrions garder ce genre de souvenir. Celui d’un amour réciproque et intemporel, d’années voire de décennies passées à les voir, sous les feux des projecteurs, accompagner indirectement nos hauts et nos bas. Ce que nous voulons emporter avec nous de leur passage dans nos vies, c’est la certitude d’avoir connu, même si bien entendu c’était de loin, quelqu’un de grand.
A ce compte-là, comment refuser de faire de la place dans nos cœurs pour une autre grande dame ?


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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