Capitulation

19 mars 2022 à 23:50

Huit ans après le début d’une guerre civile qui a coupé l’Amérique en deux, avec d’un côté les Etats-Unis et de l’autre les Etats Libres, indépendantistes, un cessez-le-feu a été trouvé. Il est fragile, et repose en grande partie sur la paix hésitante à l’intérieur de la zone démilitarisée que constitue l’île de Manhattan. C’est dans ce futur apocalyptique que se déroule DMZ (c’est le terme anglophone pour « zone démilitarisée »), adaptation d’un comics éponyme…

…Ou bien ? Parce que, je viens un peu à vous avec une bonne et une mauvaise nouvelles. Commençons par la mauvaise : DMZ n’est que de très loin inspirée par l’oeuvre originale, ne retenant qu’une poignée de ses ingrédients pour en faire un peu ce qu’elle veut. La bonne ? Eh bien, fort heureusement, DMZ ne dure que 4 heures.
Oui non je sais, dit comme ça, ça donne pas envie de lire la review. Si ça peut vous consoler, je l’écris moi-même un peu à reculons. D’ailleurs je vous préviens, cette review inclut des spoilers, même si j’ai essayé de les limiter ; c’est difficile de faire autrement pour une série en 4 épisodes.

La série suit Alma Ortega, une urgentiste qui a traversé toute l’Amérique au péril de sa vie dans l’espoir de retrouver son fils, Christian, dont elle a perdu la trace huit années plus tôt. A l’époque elle vivait à New York avec lui, mais lorsque la guerre civile est arrivée aux portes de la ville, tout a changé ; pendant l’évacuation de Manhattan, afin d’échapper aux bombes, elle a perdu Christian, alors un adolescent, dans la foule. Après avoir eu l’espoir de le trouver sur les territoire des Etats-Unis (soit ce qu’il reste des United States of America) aussi bien que dans les Free States (plusieurs Etats sécessionnistes qui se sont dotés de leur propre armée), son seul espoir est de retourner à Manhattan, à la frontière entre les deux armées, et de le chercher là, où il a peut-être toujours été.
Ce n’est pas facile. L’île, quasiment dépeuplée, est devenue une zone démilitarisée dont l’accès est impossible. En franchir les limites dans un sens comme dans l’autre, c’est la mort assurée. En outre, les personnes restées sur l’île newyorkaise comptent parmi les populations les plus défavorisées, celles qui n’ont pas pu la quitter à temps pendant la guerre ; et les conditions de vie ne se sont pas améliorées depuis. Tout y manque. Au péril de sa vie, Alma trouve donc le moyen de passer la fameuse limite qui lui permet d’entrer dans la zone démilitarisée, mais elle n’est pas préparée à la brutalité de la vie à l’intérieur. Lorsqu’elle arrive, le microcosme de la DMZ est en outre en pleine ébullition, se préparant à organiser ses toutes premières élections démocratiques afin de se choisir un gouverneur.

DMZ a pioché plusieurs de ces éléments dans le comics d’origine : la zone démilitarisée y existe en bien, en revanche dans la version papier, le protagoniste de l’histoire est un journaliste du nom de Matty Roth, un reporter qui s’infiltre dans la zone et commence à y faire un reportage, dont il ne sera ici absolument pas question. Même le personnage d’Alma Ortega, qui à mesure que la série va se dérouler va également prendre le nom de Zee, n’existe pas en l’état dans l’oeuvre d’origine (il y a une Zee Hernandez, mais elle n’a jamais quitté la zone démilitarisée).
Mais le plus désœuvrant est que DMZ, la série, ne s’intéresse absolument pas à explorer les tensions qui animent le reste du pays et qui s’expriment à travers cette petite bande de terre sur l’Hudson. La série ne va pas une seule fois nous évoquer, même pas en passant, pourquoi il y a eu une guerre huit ans plus tôt, quelles sont les parties en présence, ni les enjeux. En un sens, cela fait partie de son discours (j’y reviens), mais de l’autre, cela limite infiniment la compréhension que l’on a de ce qui se passe, de l’univers de la série, ou même du contexte de guerre. La zone démilitarisée devient alors une simple enclave où l’on va observer des personnages faire des choses qui apparaissent comment quasiment déconnectées de la situation géo-politique plus large.

Le futur de DMZ, la série, c’est un peu Lord of the Flies, mais avec des adultes : l’insularité de la zone démilitarisée l’a conduite à développer ses propres leaders.
En fait l’île ressemble désormais à une guerre de gangs gigantesque, en grande partie dessinée selon des lignes raciales, à plus forte raison parce que la série s’attache plus particulièrement décrire deux groupes : les hispaniques qui forment les Spanish Harlem Kings, et les asiatiques de Chinatown. Au cours de l’intrigue, on entendra parler de plusieurs autres groupes centrés autour d’intérêts plus larges ; il y a par exemple une communauté artistique quelque part dans la zone, ainsi qu’une coopérative agricole. On ne les verra absolument pas à l’écran cependant. Un peu plus notable, il existe un groupe formé autour d’une personnalité emblématique : la communauté exclusivement féminine formée autour d’Oona (l’une des rares femmes blanches de la série), qui contrôle l’accès et l’approvisionnement en eau). Mais ce qui intéresse DMZ, c’est vraiment cette recréation d’une guerre entre deux gangs, chacun dirigé par un homme emblématique.
Il s’avère que notre héroïne, Alma/Zee, connaissait ces deux hommes avant la guerre ; c’est d’ailleurs un problème parce que du coup, elle a une histoire complexe avec eux. A la tête de Chinatown, il y a Wilson Lin ; cet ancien ambulancier a eu la présence d’esprit, pendant le bombardement de New York, d’aller s’emparer de l’or d’une banque, dont il a pu ensuite utiliser les coffres pour asseoir son autorité ainsi que s’assurer de la tranquillité de son quartier. Du côté des Spanish Harlem Kings, le chef incontesté est Parco Delgado… le père de Christian, et l’ex d’Alma/Zee.

Dans DMZ tourne toujours au tour d’Alma/Zee. Lorsque l’héroïne débarque, elle est en quête de son fils, mais il s’avère très rapidement qu’on sait très bien qui est son fils : Christian est, avec les années, devenu « Skel », et travaille pour son père. En huit ans, le frêle ado a bien changé, est devenu une montagne de muscles dont tout le monde connaît le nom ainsi que la propension à tuer ; cette force, Parco l’utilise à son avantage, ainsi que sa grande popularité auprès des quelques centaines de milliers de survivantes de New York. Il semble d’ailleurs tout désigné pour être élu gouverneur dans quelques jours.
Et c’est vraiment de quelques jours qu’il s’agit : entre le début et la fin de la série, il s’est déroulé environ une semaine, mais Alma/Zee aura eu le temps de prendre partie pour l’un des deux candidats, de bouleverser l’élection, de conduire à l’assassinat de l’un des deux candidats, et finalement de devenir, elle-même, candidate, bien que légèrement à son insu. Elle trouve encore le temps de pourchasser Skel en essayant de lui faire entendre raison… alors que, à sa plus grande stupeur, le jeune homme lui est devenu très hostile, et ça ne date pas de l’évacuation.
DMZ voudrait, voudrait vraiment, dire plein de trucs. Le problème c’est qu’elle les dit mal. Tout faire tourner autour d’Alma/Zee, par exemple, devient rapidement une excuse pour tourner au mélodrame ridicule, Rosario Dawson se lançant en plus dans des monologues grandiloquents à intervalles réguliers. On finit par s’apercevoir qu’elle connaît plein de monde dans la zone démilitarisée, en fait : non seulement Wilson, Parco et Skel, ou encore Carmen, la compagne de Parco, ou encore Cesar, son bras droit. Ca fini par devenir soapesque.

Une fois de temps en temps, cependant, la série arrive à se concentrer sur un truc un peu plus solide que les émois d’Alma/Zee. A l’occasion, DMZ va essayer de développer ses idées sur le chaos, et la politique dans le chaos. Quel est le meilleur gouverneur pour la zone ? Celui qui veut l’unifier sous son commandement, ou celui qui veut laisser chaque groupe être libre de ses décisions ? Il apparaît cepenndant que, sentant les enjeux de l’élection devenir serrés, et lancés dans une rivalité de plus en plus violente, Wilson comme Parco ont commencé à chercher des soutiens en-dehors de la zone démilitarisée…
La réponse de DMZ à ces interrogations semble à l’occasion osciller, mais ne laisse plus aucun doute sur sa position à l’approche de la fin de la mini-série. A plusieurs reprises, on a presque l’impression qu’elle a quelque chose d’intelligent à dire sur la politique et/ou la masculinité toxique, dont elle se cache assez peu de les trouver indissociables. C’est certainement le discours que tient l’un de ses personnages à la pensée la plus développée, Susie. Il y a une ambiance de « tous pourris » qui plane un long moment sur cette élection (à noter que la série a été mise en projet avant les élections américaines, et ce n’est probablement pas un hasard), pour finir par conclure un truc du genre « girl power » et « les femmes sont l’avenir de l’Humanité », ou quelque chose dans cette idée. C’est toutefois trop peu développé pour qu’on en tire grand’chose ; même Alma/Zee n’est pas très intéressée par tout cela. Du moins pas avant la toute fin, quand soudainement pendant l’élection elle réalise qu’en fait, elle a l’âme d’une grande figure historique, sans vraiment nous expliquer comment elle en est venue à cette conclusion après avoir passé les quatre épisodes précédant cette épiphanie à rappeler que tout ça, c’était pas sa guerre, et que tout ce qu’elle voulait c’était repartir comme elle est venue. A ce stade vous me voyez obligée de hausser les épaules d’un air blasé.

DMZ essaie aussi vaguement de tenir un discours sur l’art, ou plutôt sur l’art par temps de chaos. Cela se sent à la fois de par les centres d’intérêt de Skel/Christian (qui se destinait à une carrière d’artiste avant la guerre), de la jeune Tenny (une chanteuse dans l’un des bars de la zone démilitarisée), ou d’un personnage de second plan qui s’avèrera être amateur d’art, que dans la façon dont Wilson et Parco collectent les beaux objets pour leur statut, non par appréciation pour leur beauté. Même si ce thème est bel et bien présent, il est trop peu exploré pour qu’on puisse dire que DMZ a quelque chose de tangible à nous en dire, en-dehors du fait que l’art c’est de la beauté, et la beauté c’est ce qui manque à la zone démilitarisée. Bah, j’ai envie de dire, oui, c’est un endroit post-apocalyptique, donc euh, ça va, on se foule pas trop sur la symbolique quand même.

Si j’ai l’air négative et déçue… c’est que je le suis. Je m’étais mis DMZ de côté pour mon samedi (la série vient de sortir sur HBO Max) en me disant, chouette, cette histoire de guerre civile, c’est intéressant. Mais non, DMZ n’est pas intéressante. Elle est trop occupée à suivre les tribulations de son héroïne plutôt qu’à chroniquer vraiment la survie de citoyennes essayant de se relever de la guerre et de choisir leur gouvernement. En outre, mais j’admets que ce n’est pas de sa faute, DMZ traite de façon extrêmement cavalière la guerre elle-même, dont ni les raisons, ni le déroulé, ni même le coût humain, ne sont développées… et en ce moment, c’est à peu près le contraire de ce que j’attends d’une série de guerre, actualité oblige.
Parfois, pendant ce visionnage, je me suis dit que peut-être des choses m’échappaient. Et c’est très possible ! J’ai lu sur les comics, mais je n’ai pas lu les comics, pour commencer. Et puis, il y a peut-être des subtilités sur l’Histoire et/ou la politique étasuniennes qui m’ont échappé. Je doutais régulièrement… et puis je voyais dans la scène suivante Rosario Dawson se mettre dans tous ses états en répétant pour la 712e fois qu’elle voulait sauver son fils. Non, je ne crois pas que ça vienne de moi, ou pas que. DMZ est vraiment un pari raté.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

2 commentaires

  1. Tiadeets dit :

    Ah dommage, encore une série que je ne mettrais pas sur la liste des séries que je veux voir sur HBO Max.

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