Tout compris

27 mars 2022 à 21:57

Une chambre d’hôtel, quelque part et nulle part. La chambre 7, précisément. Une chambre défraîchie aux murs d’un vert fluctuant et à la moquette tâchée. Pourtant, la meilleure chambre de tout l’hôtel, la plus chère aussi. C’est entre ces quatre murs que la bien nommée 4 Mure se déroule.

Trigger warning : tentative de suicide, suicideS, mentions d’abus sexuels de mineures.

Diffusée début 2021 par la chaîne payante kykNET, et tournée en 2020 pendant le confinement en Afrique du Sud (c’est en partie ce qui lui vaut sa formule), la série a depuis été achetée par l’audiovisuel public australien, pour sa plateforme SBS On Demand qui s’est fait une mission, au fil des années, d’importer des séries de toute la planète. Et c’est, en bout de course, ce qui m’a permis de dénicher les épisodes de sa première saison, dont nous allons parler ce soir.

Le principe de 4 Mure est simple, et très certainement inspiré par Room 104 : l’intégralité de cette série anthologique se déroule à l’intérieur de cette chambre d’hôtel, par extension de sa salle-de-bains, ainsi que dans le couloir conduisant à la chambre, généralement observé depuis l’oeilleton dans la porte d’entrée. Outre cette porte vers l’extérieur, la chambre inclut également une porte donnant sur la salle-de-bains, deux fenêtres (on apprendra au cours d’un épisode qu’elles donnent sur le palais de Justice de la ville), et la trappe permettant l’accès à un monte-plats. La chambre 7 se situe au premier étage de l’hôtel, et on sait qu’elle a au moins une chambre mitoyenne.
Bref, c’est une chambre en apparence parfaitement banale. Et peut-être qu’elle l’est, qui peut dire ?

Le seul visage familier qui va apparaître dans toute la saison est celui de Marcelina, la femme de chambre. C’est une femme âgée (ou plus…) qui est un peu blasée. Des clientes, elle en a vu d’autres. La plupart du temps, on la verra briser le quatrième mur pour s’adresser à nous, et nous livrer ses impressions sur ce que font les occupantes de la chambre 7 ; Marcelina est, pour tout dire, quelqu’un qui a le jugement facile, mais il lui arrive aussi de venir en aide aux clientes qui en ont besoin. Elle a également l’habitude de frapper à la porte puis d’entrée sans attendre d’invitation, généralement parce qu’elle apporte un complément à la commande généralement incomplète que vient de délivrer le monte-plats. Il faut croire que l’hôtel a d’autres employées moins compétentes qu’elle (on verra brièvement un garçon d’étage dans un épisode), même s’il n’y paraît pas vraiment puisqu’elle s’occupe également de répondre au téléphone à la réception.
4 Mure fait d’elle un personnage à vrai dire un peu changeant, selon les circonstances des épisodes ; dans l’un d’entre eux on en apprendra d’ailleurs beaucoup sur son passé. Cela tranche à la fois avec le ton des autres épisodes, et avec les règles implicites de l’anthologie, dans laquelle en général un personnage servant de lien entre les intrigues et les spectatrices a tendance à rester mystérieux. Mais Marcelina, si elle est parfois indéchiffrable, n’hésite pas au contraire à faire preuve d’une certaine vulnérabilité, que ce soit lorsqu’elle révèle un pan très douloureux de son enfance, ou qu’elle se prend d’affection pour des pensionnaires.

Ce genre de série me déstabilise toujours un peu. Je comprends parfaitement le concept d’anthologie, évidemment (et notamment l’anthologie épisodique qui a une très longue histoire à la télévision, contrairement à l’anthologie saison-par-saison qui est apparue plus récemment), mais en général une anthologie a un genre défini. Souvent, il s’agit de séries de genre (science-fiction et/ou fantastique, un brouillage des genres étant parfois inévitable) ou des séries policières (dont les cop shows procéduraux sont les héritiers). Plus rarement, on a droit à des anthologies dramatiques… il y a même des anthologies historiques ! Dans l’ensemble, on sait dans quoi on met les pieds : on sera sûrement surprise d’épisode en épisode, et c’est un peu le but, mais quand on commence une anthologie d’horreur, on sait qu’on aura un épisode d’horreur chaque semaine, quoiqu’à des degrés divers.
Mais dans 4 Mure (comme dans Room 104), pas du tout : on s’autorise parfaitement à ne rien s’interdire. Science-fiction, romcom, revenge drama, satire sociale, horreur… cette saison n’est pas longue, mais elle arrive quand même à tenter des choses extrêmement différentes pendant le peu de temps qui lui est imparti. Du coup c’est vraiment la roulette russe à chaque fois, d’autant que la série n’hésite pas à ponctuer plusieurs de ses intrigues d’humour si le cœur lui en dit. En outre, 4 Mure est anthologique, mais avec une légère continuité (particulièrement apparente dans le 5e épisode) et plusieurs Easter eggs ; il est impératif de regarder les épisodes dans l’ordre, ou au moins de s’assurer de voir le cinquième à la fin.

Alors du coup, avec un procédé pareil, tout le monde n’accrochera pas de la même façon à tous les épisodes, et j’ai évidemment mes préférés. Celui sur le voyage dans le temps, bien qu’assez confus sur son utilisation du 11 septembre, propose une très, très intéressante conclusion, sûrement la meilleure chute à mon goût. L’épisode sur Jimmy, le tueur à gages retraité est glaçant, mais incroyablement touchant, en particulier dans la façon dont Marcelina s’implique dans la vie du client (je lis d’ailleurs que les deux interprètes sont mariées dans la vraie vie). L’avant-dernier opus s’attaque avec brio à la fameuse « cancel culture« , en mettant en scène une célèbre chanteuse narcissique qui a la brillante idée de se prendre en photo depuis sa chambre d’hôtel… en blackface (la façon dont la série traite ledit blackface en évitant d’avoir à le montrer est d’ailleurs très fine), et si la conclusion me laisse un peu circonspecte, tout le reste de l’intrigue était absolument génial. Enfin, l’épisode final est à réserver aux plus courageuses parmi nous, et très franchement m’a coupé l’appétit ; mais, je suppose, dans le bon sens.
A l’instar de Room 104, les épisodes 4 Mure ne durent qu’une petite demi-heure, ce qui leur permet de garder un bon rythme… et d’être vite regardés. Je n’avais pas spécialement prévu de me faire une intégrale ce weekend (surtout après le marathon qu’a été Series Mania pendant la semaine passée), mais finalement c’est passé tout seul. Et, oui, je suis consciente de pas mal dresser une comparaison avec la série étasunienne Room 104, mais rassurez-vous : 4 Mure a tout de même son identité propre, ne serait-ce qu’à cause des choix esthétiques très différents induits par le style des deux chambres ; je pense simplement que les téléphages qui ont aimé l’une pourraient autant aimer l’autre.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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