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19 juin 2022 à 23:04

On va parler de choses joyeuses aujourd’hui !

Trigger warning : violence intrafamiliale (psychologique, physique, négligence).

…Ah, non, pardon. Il faut m’excuser, j’ai confondu avec un autre site.

Je commence, lentement, à explorer le catalogue de Shahid ; qu’il est bon d’avoir le temps plutôt que de se précipiter pour « rentabiliser » une période d’essai gratuit ! Si j’ai bien l’intention de regarder certaines séries en entier, je confesse être encore dans la phase de lune de miel qui consiste à trouver une série dont j’ignore tout et à en lancer le premier épisode, juste là, juste comme ça, parce que je peux.
C’est le cas par exemple avec Eyal Nouf (« les enfants de Nouf »), une série saoudienne que la plateforme lançait cette semaine et qui, on ne va pas le nier, n’a pas un synopsis des plus réjouissants… mais, vous savez quoi, c’est précisément ce qui m’a attirée.

Nouf est une mère de famille qui dirige, seule, la vie de sa maisonnée. Elle vit en effet avec ses quatre enfants, aujourd’hui jeunes adultes : Majed, l’aîné qui a un peu plus de responsabilités que les autres ; Fahed, qui se passionne pour le cinéma ; Samar, la coquette, qui aime à se maquiller ; et enfin une autre fille, l’artiste et la plus docile du lot… mais dont je ne pense pas que le nom ait été prononcé (j’ai pourtant vérifié toutes les scènes se rapportant à elle !). Cette cellule familiale pourrait vous sembler normale, mais ce que je ne vous ai pas encore dit, c’est que Nouf a enfermé ses enfants dans leur maison, et que personne n’a le droit de sortir, jamais, pour aucune raison que ce soit. La seule exception est Majed, qui la conduit à ses rendez-vous, Nouf étant une sorte de guérisseuse dont la clientèle est dispersée dans toute la ville ; en ces rares occasions, il est alors chargé de faire des emplettes pour ses frère et sœurs, mais dés le retour à la maison il est logé strictement à la même enseigne.

Le premier épisode d’Eyal Nouf a la bonté d’introduire pas mal d’éléments très vite, et j’avoue que j’ai été un peu surprise par sa clarté. Beaucoup de séries arabophones que j’ai pu voir jusqu’à présent (et, je l’avoue bien volontiers, il y en a beaucoup moins que pour d’autres groupe linguistiques ou culturels du monde) prenaient au contraire leur temps, préférant présenter les personnages plutôt que l’intrigue. Il est possible que ce soit une question de format : jusque là, l’essentiel de ces fictions étaient des séries du Ramadan, donc diffusées quotidiennement pendant un mois ; ça influe nécessairement sur la façon dont on livre l’information que de savoir que, dés le lendemain, alors que les spectatrices auront encore les idées fraîches, on pourra en dire plus (c’est également la raison pour laquelle les séries sud-coréennes, par exemple, procède à leur exposition à un rythme plus lent). Eyal Nouf a, certes, été lancée à raison de 2 épisodes pour frapper un grand coup, mais ce n’est pas une série quotidienne et ses impératifs sont différents ; ça a sûrement joué, quand bien même ça ne fait pas tout.
Peut-être aussi tout simplement que, dans le cadre d’une série sur l’enfermement, on ne peut pas parler des personnages sans parler de l’intrigue.

En même temps que le premier épisode décrit la sévérité extrême de Nouf, nous apprenons donc à découvrir comment chaque enfant réagit à son enfermement. Majed a droit à quelques bouffées, brèves et contrôlées, de liberté ; il utilise ses quelques trajets en voiture pour acheter des choses pour ses adelphes, parfois en cachette… et on découvrira que Nour le sait parfaitement. Son contrôle sur les activités de chacune est totale, et rien ne semble lui échapper, ce qui ne fait que renforcer la terreur. Fahed est quant à lui dépeint comme neuroatypique et/ou complètement traumatisé ; il panique facilement, et est certainement celui qui craint le plus Nouf. Son intérêt pour le cinéma s’exprime sur un stream qu’il diffuse en cachette, certes sans montrer son visage, depuis sa chambre où il parle de films (et pas n’importe quels films : il recommande au cours de cet épisode Buried puis Cast Away…). Samar ne rêve que d’indépendance ; elle guette à plusieurs reprises les allées et venues de sa mère pour profiter de la moindre liberté qu’elle peut grapiller : se maquiller pendant quelques heures ici, essayer de sortir là… Enfin, la plus jeune, je l’ai dit, est extrêmement docile (et elle est certainement encouragée dans ce sens par sa mère, qui lui donne l’impression qu’elle est « la bonne fille », celle qui n’oserait pas transgresser les règles). A un moment de l’épisode, Samar subtilise les clés de la maison et décide de profiter de l’absence de Nouf pour aller faire un rapide tour dehors ; mais sa sœur préfère rester à l’intérieur. Ce n’est pas que de la peur, ou disons que la peur s’est transformé en un confort ; de toutes les adelphes de la famille, elle est celle qui s’est le mieux accommodée d’une vie à l’intérieur, passant ses journées à peindre sans rien demander.
C’est le moment où je confesse que je me suis identifiée tour-à-tour à absolument chaque adelphe de la famille. J’ai grandi moi-même dans une maison dont je n’avais le droit de sortir que pour deux motifs : aller à l’école (d’ailleurs il est intéressant que la série démarre lorsque les enfants de Nour ne sont plus en âge d’y aller…) ou rendre visite à ma grand’mère. C’était tout. Tout le reste s’obtenait en cachette… ou ne s’obtenait même plus. Quand on passe des années dans cette situation, l’envie d’essayer nous abandonne. C’est tant d’efforts d’essayer de se sortir de la prison domestique, alors autant trouver quelque chose de positif à l’intérieur ; pour moi, enfant, ça voulait dire lire, écrire et dessiner, puis à l’adolescence c’était la télévision (ambiance Profit). A un moment, quand le dehors est inaccessible, pourquoi lutter pour y aller, quand on peut le découvrir par des moyens détournés. Chaque membre de cette famille représentait donc différentes phases de mon propre enfermement. Un enfermement dont j’ai pu sortir finalement mais euh… je suis agoraphobe alors, dans quelle mesure suis-je réellement sortie ? C’est l’une des questions qui m’empêche de dormir la nuit.

Bref Eyal Nouf était une série taillée pour moi. Heureusement elle semble aussi, dés son premier épisode, ouvrir quelques portes, au figuré comme au propre, vers autre chose.
C’est que, dans la maison en face de celle de la famille de Nouf, vit Somoud, fille d’un docteur et étudiante à l’université, qui est fasciné par ses voisines. Elle est tombée sur le stream cinéphile de Fahed (quoique sous un autre nom ; je crois que « Fares » est son identité sur internet, si j’ai bien compris) et à partir de là, a identifié qu’il y avait quelque chose qui cloche dans la maison d’en face, dont elle surveille les allées et venues depuis sa chambre. Or, un soir, Majed fait une overdose : il a pris l’habitude de se droguer dans sa chambre, sans que personne ne semble savoir ce qu’il fait, mais ce soir-là, il fait un malaise. Dans la panique il appelle donc Fahed, qui ne pense pas à interrompre son stream, et donne indirectement à Somoud l’opportunité d’embarquer son père de l’autre côté de la rue, pour se porter au secours de la famille.
Nouf, bien-sûr, prend peur lorsque le père et la fille toquent à leur porte. En fait on comprend dans le reste de l’épisode qu’elle a déjà peur : elle parle de menaces venues de l’extérieur, d’un danger dont elle essaie de protéger ses enfants, du fait qu’on ne peut faire confiance à personne ; il n’est pas encore très clair si ses craintes sont fondées (il est vaguement question de la famille de son époux ; ou de deux autres frères qui seraient morts), ou si elle est purement paranoïaque. Ce n’est pas réellement important, au moins pour le moment : ça ne change rien au mal qui est fait. Mais évidemment l’intervention de Somoud la panique d’autant plus, et dans la nuit, Nouf décide de déménager toute la famille… sauf Majed, pour lequel elle n’a pas eu d’autre choix que de le laisser être envoyé à l’hôpital, mais qu’elle n’hésite pas à laisser derrière elle pour sauver les autres.
Dans la nouvelle maison où elle installe sa famille, grâce à l’aide d’un proche qu’elle paie pour cela, Nouf s’apprête à répliquer ses méthodes à l’identique, maltraitant ses enfants en prétextant les protéger… mais il est trop tard, elles ont goûté au dehors. D’ailleurs, Eyal Nouf continue d’introduire des personnages qui s’inquiètent et/ou leur donnent une raison de sortir. On ne peut pas, ou en tout cas pas éternellement, garder la porte fermée.

Non, évidemment, cette première demi-heure d’Eyal Nouf n’est pas facile à regarder. Nouf y frappe les 4 adelphes, les diminue, refuse de leur porter secours. La terreur d’enfants se lit dans leurs yeux de jeunes adultes.
Mais pour moi, pour les personnes qui ont plus ou moins grandi comme moi et qui sont plus nombreuses qu’il n’y paraît, Eyal Nouf promet une sacrée catharsis.
Et bonne fête des pères, bien-sûr.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

1 commentaire

  1. Tiadeets dit :

    (Le bonne fête des pères m’a tué xD (la bonne vibe d’un article sur Hannibal qui finirait par un Bon appétit, bien sûr)

    Encore une série que je ne regarderai pas, mais ce que tu dis m’intrigue. Ce que tu dis aussi sur le fait de pouvoir prendre le temps résonne aussi beaucoup. Le nombre de séries sur Viki ou Netflix que je regarde parce que je peux et qu’elles sont disponibles (quand bien même ces séries seraient disponibles ailleurs, il faut les connaître et aller les chercher, ce qui est bien différent de juste cliquer au hasard sur quelque chose parce que l’image ou le résumé m’intrigue).

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