Historique effacé

17 mars 2023 à 22:21

– Elle a l’air heureuse…
– Oui, tu avais toujours l’air heureuse.

Trigger warning : tentative de suicide ?

Si du jour au lendemain, vous perdiez la mémoire… comment sauriez-vous qui vous êtes ? Mais attention, pas question de reconstituer votre personnalité à partir de ce que vous disent vos proches : ce sont forcément des points de vue partiels sur qui vous êtes. Pour beaucoup d’entre nous au 21e siècle, la solution semble plutôt évidente : se baser sur les montagnes de données que nous postons, jour après jour, sur les réseaux sociaux. Ce que l’on montre nous-mêmes à propos de notre quotidien, apparaît, à première vue, être un aperçu assez simple d’accès.
Dans # who am I (espaces inclus), la nouvelle série de Fuji TV lancée un peu plus tôt ce mois-ci, une jeune étudiante du nom d’Akane se retrouve dans une chambre d’hôpital avec un trouble de la mémoire. Son premier réflexe est de consulter Instagram et essayer de comprendre qui est l’inconnue sur ses propres photos.

Petit thriller high concept tourné vite fait mais avec de bonnes idées, # who am I s’est trouvé une excellente occasion de discuter à la fois d’identité et de réseaux sociaux avec son intrigue. La série s’ouvre alors qu’Akane est, décontenancée, en train de regarder son propre compte Instagram, et ne s’y reconnaît pas ; c’est comme regarder une étrangère qui vit des instants à la fois anodins et soudainement tellement significatifs. Scrutant l’écran, elle reconnaît, parfois, les visages des personnes qui l’accompagnent dans ses posts, et qui sont là, aujourd’hui, dans sa chambre d’hôpital. Ces mêmes visages sont inquiets, voire peinés : Akane n’est plus elle-même. Et on ne sait même pas comment ça s’est produit.
Dans la chambre d’hôpital, il y a aussi un enquêteur de la police. C’est la routine. On a retrouvé la jeune femme inconsciente aux pieds des escaliers abrupts d’un parc, la veille au soir. C’est sa meilleure amie Yua qui l’a trouvée, parait-il, mais Akane ne reconnaît pas la jeune femme hésitante qui se présente devant elle. Le flic pense qu’Akane a tenté de se suicider, d’après ce que sa sœur aurait entendu ; mais Akane ne reconnaît pas sa sœur non plus. Elle aurait même posté un message d’adieu sur les réseaux sociaux. Personne n’y croit, ou personne ne veut y croire. Les souvenirs flous qu’elle a de sa chute contredisent-ils cette version, ou ne sont-ils même pas des souvenirs ?

# who am I utilise son (court, très court, pour une série japonaise : 22 minutes) premier épisode pour mettre en place les pièces du puzzle. Akane pense qu’on l’a poussée ; la police pense qu’elle a tenté de mettre fin à ses jours. Ne sachant qui croire (ne sachant même pas qui est qui !), Akane ne peut pas vraiment se fier à ce qu’on lui dit. Ni sur les événements, ni sur qui elle est… Et donc forcément, cela a encore plus de sens qu’elle se lance dans une exploration de son historique de publications pour comprendre. Akane était-elle le genre de personne qui pense au suicide ? Elle a l’air heureuse, mais…
…Mais, évidemment, les réseaux sociaux ne sont que les réseaux sociaux. Nous sommes nos propres curatrices de contenus, et ce que l’on poste n’est jamais tout ce que l’on est.

Surtout qu’Akane découvre bientôt qu’elle n’était pas n’importe quelle utilisatrice : elle commençait à se faire connaître comme influenceuse, ayant déjà eu quelques partenariats avec des marques de cosmétiques, et organisant des collaborations avec des influenceuses populaires, Kanna et Mayu. Alors oui, elle semblait heureuse… mais peut-être parce que le bonheur vend des produits de beauté.
Avec l’aide de son amie Yua, Akane va donc se lancer dans une enquête qui porte avant tout sur elle-même. Comprendre qui est Akane permettra de comprendre (ou en tout cas c’est ce qu’elle espère) ce qui s’est passé, ce soir-là, dans le parc. A-t-elle voulu mettre fin à ses jours, comme certaines preuves l’indiquent ? Ou a-t-elle été poussée, et dans ce cas-là non seulement par qui, mais pourquoi ? Dés ce premier épisode, # who am I annonce la couleur : il se peut que la réponse soit inconfortable. Une de ses interlocutrices lui dira même : « vous avez de la chance de ne pas vous souvenir de ce que vous avez fait »… Parfois, il vaut mieux ne pas savoir qui l’on est vraiment.

# who am I est vraiment une idée intéressante. Sur la forme également, elle ne manque pas de mérite. Ce premier épisode tire pleinement partie de son format court, pour faire se succéder des scènes assez rapides, employant (presque exclusivement) la chambre d’hôpital d’Akane comme décor. Le lieu de sa convalescence se transforme alors en une salle d’interrogatoire où les visiteuses se succèdent pour témoigner de qui la protagoniste est à leurs yeux… et, bien-sûr, de ce qu’elles savent des événements ayant précédé sa chute. La fin de l’épisode va cependant sortir Akane de là, pour rentrer chez elle, ce qui implique que la série ne se joue pas uniquement dans ce huis clos particulier ; j’aurais pourtant aimé que ce soit le cas, avec les B-rolls conçues pour retracer les pas d’Akane sur les réseaux sociaux comme seule option pour voir le monde « dehors ». Ce qui ne veut pas dire que les épisodes suivants ne peuvent rien faire d’intéressant, mais c’était un côté encore plus high concept qui aurait eu du mérite.
Il ne fait aucun doute que # who am I n’a pas de budget pour grand’chose et/ou que la production était pressée par le temps (…encore plus que la moyenne). Ou qu’elle a tout claqué dans les nombreuses, très nombreuses prises de vues qui constituent les comptes Instagram des différentes protagonistes impliquées. Depuis tout-à-l’heure je vous dis Instagram, mais c’est évidemment une plateforme similaire sans nom qui apparaît à l’écran ; d’ailleurs, les url montrées dans la série n’existent pas, je le sais parce que je les teste toujours, les séries japonaises adorent ce genre de trucs d’ordinaire. Cela me donne à penser que # who am I pourrait aisément être le genre de série qui s’adapte au-delà de ses frontières : un format comme ça, on peut en tirer des variations quasi-infinies, certaines plus conceptuelles, d’autres plus dramatiques, et ainsi de suite. Sans parler du potentiel anthologique de possibles saisons ultérieures….
En l’état, hélas, # who am I ne sera pas forcément super populaire (il semblerait qu’elle ne compte pas beaucoup d’épisodes, en plus, même si sa diffusion est toujours en cours et qu’avec la télé japonaise la prudence n’est pas une mauvaise idée) au sens où il lui sera difficile de faire parler d’elle comme d’un phénomène. Reste que ses qualités sont appréciables, surtout sur un sujet comme celui-là, et que si vous avez une petite minute, je vous la recommande.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

1 commentaire

  1. Arsenic dit :

    Intéressant comme concept ! Surtout avec la dimension policière en plus et pas juste la dimension amnésie, ça m’intrigue.

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