Take Five Quatre

30 avril 2023 à 20:30

Ce n’est un secret pour personne, j’ai passé un mois d’avril atroce. Pour moi, le mois d’avril aura été celui des adieux… et Take Five, par le plus grand des hasards, en est le reflet. Car outre un (énième) passage difficile dans ma vie, le mois d’avril marquait aussi à un degré moins grave la fin de ma souscription à Shahid, après avoir souscrit l’an dernier à un abonnement annuel à prix exceptionnel. N’ayant pas les moyens de payer l’abonnement hors cette promotion, me voilà donc à quitter la plateforme… à laquelle il aurait sûrement été pas mal que je dédie plus de reviews. Mais vous aurez remarqué qu’entre le hiatus de l’an dernier et le changement de rythme de publication qui s’en est suivi, les occasions s’étaient aussi faites plus rares.
Bref, ce Take Five est thématique : je ne vais y causer que de séries arabophones, ce qui d’ailleurs nous permettra de parler un peu plus de séries du Ramadan 2023, qui lui non plus n’a pas été discuté autant qu’il aurait dû. Enfin, pas que… j’ai aussi inséré une série sur laquelle j’essaie d’écrire depuis l’an dernier. C’est désormais chose faite.

Dofat London (2023)

Parfois au fil du premier épisode d’une série qui me déplait, je passe par la lente réalisation que je manque de références pour vraiment la comprendre. Par exemple, cette mention rapide de la Révolution iranienne de 1979… ou cet échange qui semble s’appuyer sur des hostilités historiques entre deux pays du Golfe… Je me dis alors que, sûrement, si elle me déplait, c’est que je ne l’ai pas comprise. Mais dans le cas de Dofat London, pas besoin de douter de moi-même : il y a, effectivement, des références dans cette série historiques qui m’échappent, mais il y a aussi des choses que j’ai très bien comprises et qui me hérissent le poil.
Dofat London se déroule en 1981 (on le sait parce que dans sa toute première scène, on apprend que la Princesse Diana vient de tomber enceinte de son premier enfant), et suit un éventail large de personnes venues de divers pays arabes pour s’installer à Londres. Ces expatriées le sont pour plusieurs raisons : il y a un groupe d’étudiants qui partage un appartement ; il y a une jeune femme riche qui a un logement cossu où elle héberge quelques amies moins argentées, qui bénéficient de ses largesses et des services de ses domestiques pendant qu’elle prépare son mariage à venir ; il y a une famille proche du pouvoir iranien qui s’est réfugiée en Europe après avoir tout perdu pendant la Révolution… L’intrigue du premier épisode, et c’est faire preuve de générosité que de parler d’intrigue, consiste à juxtaposer toutes sortes de vignettes sur leur vie au Royaume-Uni, qui ont d’ailleurs souvent en commun de se confronter au crime (pas moins de trois vols différents ont lieu en moins d’une heure, plus une tentative de meurtre). Par moments ça semble n’avoir ni queue ni tête, et ce n’est pas dû qu’à l’exposition, croyez-moi. Dofat London n’a pas toujours l’air de savoir ce qu’elle veut ; parfois elle a une voix-off, parfois non (et pas toujours par la même personne) ; parfois le ton est sérieux voire tragique (en particulier lorsqu’il s’agit de la Révolution iranienne), parfois il est comique plus ou moins exprès (comme quand les étudiants aident Lady Di à fuir les paparazzi en la cachant dans une abaya volée à des voisines, dans une scène digne de Mission: Impossible). On a droit à des commentaires absolument lunaires (Di prétendant en voix-off, ah oui elle fait partie des narratrices de cet épisode, que les étudiants qui la reluquent avec hébétude sont les seuls « vrais hommes » qu’elle ait jamais rencontrés), souvent on a droit à des protagonistes qui se hurlent dessus sans raison apparente (en particulier parmi les domestiques, trois sœurs qui ne cessent de se faire des reproches), de temps en temps on a droit à des tentatives de propos « social » (dont une sous-intrigue ahurissante sur « qui est responsable d’un viol ? » ; heureusement résolue avant la fin de l’épisode). Et encore, cette liste n’a rien d’exhaustive, dites-vous bien que j’essaie d’être brève. Je n’ai même pas mentionné non plus les effets spéciaux, comme par exemple les chips volants ou le canard (c’est tout ce que vous aurez).
Dans ce capharnaüm, les protagonistes existent à grand’peine, et même celles qui sont bien incarnées sont maltraitées par des intrigues sans queue ni tête, ou simplement par le nombre de personnages. Plusieurs d’entre elles semblent n’exister que par leur origine sociale (bon, passe encore) ou leur nationalité ; d’ailleurs je lis que pendant le Ramadan cette année, Dofat London faisait partie des heureuses élues à créer une polémique de par le discours tenu sur les ressortissantes iraquiennes. Un peu gênant pour une série se voulant panarabique. Bref, en plus du bazar, idéologiquement ça sent un peu le renfermé, et tout ça sans aucune contrepartie narrative ou émotionnelle pour le moment. Alors vous le voyez, même s’il m’a sûrement manqué des références, j’ai eu toutes celles dont j’avais besoin pour vous dire de vous tenir à l’écart.

El Soffara (2023)

Au risque de vous survendre un peu El Soffara, c’est désormais très officiellement ma comédie égyptienne préférée. Pas de ce Ramadan, mais de toutes celles que j’ai pu voir ! Ce qui, je vous l’accorde, n’est pas un chiffre aussi large que pour d’autre pays, mais les faits demeurent. Pourtant elle part d’une idée assez simple : Shafik, un mec qui a tout raté dans la vie, se trouve en possession d’un sifflet magique (…subtilisé dans une pyramide) qui lui permet de retourner dans le temps ! S’offre ainsi à lui, enfin, l’opportunité de corriger sa vie de merde pour enfin avoir tout ce qu’il a toujours voulu : réussir sa vie dans l’industrie du tourisme, et épouser la jolie Shirin. Ce n’est quand même pas trop demander…
Sauf qu’évidemment, cela ne s’annonce pas aussi simple. Ne serait-ce que parce que le fameux sifflet magique fonctionne selon des règles bien précises : le retour dans le temps ne peut durer que TROIS MINUTES ! Et en plus il n’est possible de retourner vivre trois minutes précises qu’une seule fois, c’est-à-dire que tout changement de la « timeline » devient définitif. Des règles qui ne manqueront pas, dans les épisodes ultérieurs, de probablement semer la zizanie dans la vie de Shafik. Pour le moment, le premier épisode prend garde de surtout expliquer la situation, et procéder à la biographie entière de son protagoniste, de sa première échographie à nos jours. L’autre raison pour laquelle ce n’est pas simple, c’est que notre héros semble affublé d’une poisse insondable… Shafik n’est d’ailleurs pas un mauvais bougre, il est passionné, il a des idées, il a des objectifs, il a du cœur ; simplement il a passé sa vie à jouer de malchance. Au stade de ce premier épisode, en tout cas c’est la conclusion à tirer de son parcours, mais rien n’empêche la série à ce stade d’explorer d’autres choses à travers cela, peut-être sur les choix faits par Shafik ou son attitude, et je la soupçonne d’être assez intelligente pour s’être laissé cette possibilité.
Tout dans El Soffara est réussi : les dialogues sont réellement bons, il y a un rythme soutenu, on y trouve un goût certain pour l’absurdité, l’antagoniste avec une moumoute pire que celle de Macron y détestable à souhait, et puis s’y loge aussi un peu de tendresse (notamment avec le personnage de Wajih, le petit frère de Shafik qui lui voue un culte illimité). Même le générique est du génie pur ! Un épisode de trente minutes qui a semblé n’en durer que trois.

Magnouna Beek! (2022)

Magnouna Beek!, c’est une dramédie musicale qui raconte l’histoire d’un avocate vivant au Caire, et qui, par le plus grand des hasards, croise son premier amour Ali alors qu’elle est en plein milieu d’une crise d’angoisse causée par une promotion inattendue. Sauf qu’il est sur le point de quitter la capitale pour retourner vivre dans sa ville natale d’Alexandrie, en bord de mer ! Randa est alors prise de l’impulsion de nous faire un coup à la Rebecca Bunch en déménageant immédiatement à Alexandrie, et… ce n’est pas très étonnant, puisque Magnouna Beek! est effectivement le remake égyptien de Crazy Ex-Girlfriend !!! Ce premier épisode est un peu moins musical que l’original (l’icônique chanson West Covina est remplacée par un montage musical sur les lieux touristiques d’Alexandrie…), et même le seul numéro musical de l’épisode est très différent (c’est une mélodie sensuelle promettant qu’Ali va tomber sous le charme de Randa quand il la verra à Alexandrie) aussi bien sur la forme que le fond. Mais après, il faut aussi voir que Magnouna Beek! se targue d’être la toute première série musicale produite en Egypte (et pour autant que je puisse le constater, ce titre ne semble pas usurpé) : on lui pardonnera donc de se chercher un peu. Les trailers proposés par Shahid jurent qu’on y trouvera d’autres numéros musicaux, en tout cas.
Si je regrette qu’une partie du mordant féministe de la série originale ne se retrouve pas forcément dans cet épisode introductif (pas de Sexy Getting Ready Song ou d’équivalent), l’existence-même de Randa reste une occasion formidable de parler de santé mentale, quelque chose d’encore rare dans les séries de la région (quoique, ne me laissez pas effacer l’existence de séries comme Khaly Balak Min Zizi, non sans mérite dans ce domaine pour ce que j’ai pu voir). De ce côté-là, Magnouna Beek! est fidèle, si tant est que l’on recherche la fidélité dans une adaptation. Et puis même sans parler de ça, j’avais un grand sourire d’une oreille à l’autre pendant toute la durée de ce premier épisode… par nostalgie, et puis aussi parce que, rythmé (surtout pour un épisode d’exposition égyptien) et coloré, il remplit le contrat.

Mal Al Donia (2023)

Un premier épisode étouffant dans lequel Rachid, un homme qui en apparence a tout pour être heureux, tente de sauver les meubles alors que tout semble lui échapper. Le nœud du problème est financier : son parc d’attractions à thème (qui inclut un zoo et un restaurant) est couvert de dettes qu’il ne parvient plus à régler. Sa banque, ses créancières, son fournisseur, son personnel… même les soins vétérinaires des animaux sont devenus impossibles à payer. Quand commence la série, Rachid cache (évidemment ?) la réalité à sa famille, laquelle continue de vivre dans une superbe villa, et à penser qu’on n’y manque de rien ; seule son assistante est au courant de la gravité des choses. Et comme tout homme désespéré, il se tourne vers une solution désespérée : aller demander un crédit à un malfrat local, qui, naturellement, est bien trop ravi de lui prêter de l’argent.
Mal Al Donia n’est de toute évidence pas une série qu’on regarde le cœur léger, et il y a fort à parier vu la description qu’en fait Shahid mais aussi au regard de la gueule de son poster promotionnel que ça ne s’arrange pas. La descente aux Enfers, toutefois, n’est que d’un côté de l’écran : côté spectatrices, c’est du bon. La réalisation est digne (même si pas totalement dénuée de clichés, je pense notamment à la façon dont le mafieux est présenté), la distribution évite le soapesque et cultive de jolies nuances, et l’épisode a même l’élégance de remplacer la musique, souvent omniprésente dans ce type d’intrigues, pour un accompagnement sonore relevant plutôt du bourdonnement. L’effet est réussi ; je ne dis pas que ce serait une partie de plaisir de suivre la suite, mais l’objectif est ici parfaitement atteint.

Marba Al Ezz (2023)

Lentement, je commence à m’habituer à ces primetime soaps un peu à part qui semblent être produits assez régulièrement en Syrie (et quelques autres pays de la région, mais surtout la Syrie apparemment). Leurs codes narratifs sont intéressants, même s’ils déboussolent un peu au début. Marba Al Ezz est une série historique (elle semble se dérouler au 19e siècle environ) se déroulant entre trois quartiers de Damas : le quartier « syrien », le quartier « levantin », et le quartier « populaire », pour reprendre la description qu’en font les synopsis de la série que j’ai consultés. Sauf que justement ces résumés sont vraiment à prendre avec des pincettes, tant leur rôle n’est pas tant de décrire ce dont parle la série, mais plutôt son contexte voire son essence. Ainsi Shahid nous dit que Marba Al Ezz se déroule plusieurs années après le kidnapping de plusieurs enfants de familles riches de Damas… un événement dont le premier épisode va à peine parler, et encore, seulement par allusions. En réalité, ce premier épisode est tout entier dédié non seulement à nous présenter les très nombreuses protagonistes de son intrigue (le terme d’ensemble drama semble taillé pour des fictions comme celle-ci !), mais aussi leurs diverses dynamiques.
Car c’est là que tout se joue pour une série comme Marba Al Ezz (qui m’a évoqué le peu que j’ai pu voir de la cultissime Bab Al Hara, bien qu’elles se déroulent à des époques différentes), dans la hiérarchie entre les familles et/ou les individus, une hiérarchie sociale mais aussi morale. Etablir tout cela prend du temps, et les trois premiers quarts d’heure de la série s’y attaquent avec dévotion, nous disant qui sont les « protagonistes de confiance » de son intrigue dans une série qui n’a pas de héros, mais a définitivement des figures desquelles se méfier. Les scènes se succèdent, souvent sans nous dire les noms des gens, mais en étant très claires sur leur probité : c’est à cela que la série veut nous faire nous attacher. Alors d’un point de vue occidental, ce type d’exposition décousue apparaît nécessairement comme chaotique, mais vous pouvez voir qu’il a sa raison d’être (en particulier quand on se rappelle que Marba Al Ezz est une série diffusée pendant le mois saint). L’action découle de ces dynamiques et de ces portraits, plutôt que l’inverse, finalement. Habitus oblige, ce n’est pas tout-à-fait ma tasse de thé, mais en tant que téléphage curieuse ça reste un bonbon à explorer et j’aurais aimé avoir plus de temps (et d’énergie) pendant ce Ramadan à consacrer aux épisodes suivants, pour continuer à essayer de comprendre cette approche. C’est en tout cas pour des expériences comme ça que la souscription à Shahid prenait vraiment toute sa valeur.

Hélas le but de ces articles n’est pas d’être exhaustifs, et il faudra donc (ce sont les règles !) nous limiter à 5 séries. Si le mois avait été moins compliqué, croyez-moi, on parlerait de quelques autres, mais à un moment… Adieu Shahid, donc, et adieu à ce putain de mois d’avril. Espérons que le suivant soit un peu moins vide, à bien des égards.
Et vous, votre mois d’avril ?

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1 commentaire

  1. Iris dit :

    Contente de te voir à nouveau poster. Magnouna Beek! donne envie. J’espère que ton mois de mai sera moins horrible que celui d’avril (en même temps dur de faire pire)

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