Memory of a color

4 mars 2011 à 23:24

Il y a des rubriques de ce blog qui semblent fourmiller de posts à longueur d’année, et d’autres, on ne sait pourquoi, qui tombent parfois un peu dans l’oubli. Ah, l’oubli… C’est marrant que vous abordiez ce sujet, parce que justement on va parler de mémoire, avec le premier post Comme au cinéma de 2011, et le premier depuis pas loin d’un an. Ce qui est un comble vu que je n’ai jamais vu autant de films que depuis un an, justement. M’enfin, faire un post dans cette rubrique, il s’avère que j’y pense puis j’oublie…
Bon allez, inutile de faire durer le suspense, le film du jour est…

C’est quoi le nom du film ? Memento
C’est plutôt quel genre ? Déstabilisant
Qui on connaît là-dedans ? Bah c’est malheureux à dire, mais j’ai plus facilement reconnu Joe Pantoliano (FBI Opérations Secrètes) et Carrie-Ann Moss (Models, Inc. ou plus près de nous Pretty Handsome) que Guy Pearce, rapport à ma culture plus téléphile que cinéphile (absolument, ce paragraphe n’existe que pour que je puisse placer des tags de l’impossible !)
Ça date de quand ? 2000
En résumé, de quoi ça parle ? D’un type qui veut venger la mort de sa femme.

  
En moins résumé, de quoi ça parle ? Un homme qui, depuis une tragédie qui a coûté la vie à son épouse, a perdu toute capacité à avoir une mémoire immédiate, et n’a des souvenirs qu’antérieurs à ce drame, décide de se mettre en quête du violeur et assassin de sa femme. Ce qui n’est pas une chose facile quand on ne sait jamais ce qu’on a fait 5mn auparavant.
Et ça finit comment ? Par le début.

Pourquoi c’est bien ? Parce qu’on ne va pas se mentir : c’est là un excellent film. D’abord parce qu’il propose une narration absolument renversante, qui raconte la même histoire prise par deux bouts : le début, et la fin. Deux types de scènes, l’un en couleurs, l’autre en noir et blanc, qui s’intercalent et parviennent à nous donner deux vues différentes sur l’histoire sans en donner la clé. C’est clairement le point fort du film. Mais Memento est aussi brillant dans sa façon de jouer avec notre perception. C’est la conséquence à la fois de la narration et de l’exploration de la maladie du personnage central, incipable de se souvenir de quoi que ce soit de récent. Le film joue en permanence avec les habitudes qu’il prend pour essayer de tout de même ne pas perdre le fil de sa propre vie, tout en étant victime, en permanence, du black out qui ne manque pas de se produire en permanence dans son cerveau. C’est certainement la partie la plus troublante du film, au final, celle qui laisse une impression des plus durables.
Pourquoi c’est pas bien ? Soyons honnête deux quarts de secondes : sans sa narration alambiquée, le film ne vaudrait pas tripette. Concrètement c’est cet accessoire, j’allais dire ce gadget, qui fait tout son intérêt. L’histoire est banale et le twist ne fonctionne qu’à cause de la narration anti-chronologique. Les personnages n’ont rien de spécialement original, et le héros ne vaut que pour sa maladie, qui ne prend son sens que… grâce à la narration. En gros, sans la narration, c’est bateau. Mais je vous rassure, la narration, on ne peut pas lui échapper pendant ce film, alors ça fonctionne. C’est la raison pour laquelle le film est, au final, particulièrement bon.

Ah, les joies du cinéma ! Wikipedia nous apprend que le tournage a duré 25 jours (pour tourner quelque chose qui semble ne pas s’étendre sur plus de 24 heures, d’ailleurs). Incroyable, j’aurais imaginé beaucoup plus ! Comme quoi ce film aura vraiment joué avec ma conception du temps jusqu’au bout.
La réplique qui tue : « But even if you get revenge you’re not gonna remember it » ; ce qui est terrible c’est donc que Lennie se consacre tout entier (corps et âme, on peut le dire !) à une vengeance qui va forcément n’avoir un effet qu’à court terme. Lorsqu’on entend cette réplique, on frissonne devant l’absurdité triste de tout cela, et pourtant…
La scène qui tue :
Je vous ai parlé des différents types de scènes, en couleurs ou en noir et blanc, qui constituent le récit. Les scènes en noir et blanc, c’est-à-dire celles qui se déroulent dans l’ordre chronologique, sont aussi celles qui servent le mieux à expliquer la mythologie du film, à savoir la maladie du héros, la tragédie qu’il a vécue, ou encore le fonctionnement de ses techniques pour pallier à ses oublis. C’est très pédagogique, en un sens, et pourtant les scènes ne se précipitent pas. Voici l’une d’entre elles, qui a également le mérite de retranscrire l’ambiance claustro du film. Et tout ça pour moins d’une minute, que demande le peuple ? Des sous-titres ? Ouais nan mais quand je vous sous-titre un truc vous commentez même pas, alors…

Une note ?
Que Memento soit un très bon film (entre autres grâces à des trouvailles narratives), ça ne se discute pas, en tous cas pas par moi. Il lui manque trois fois rien pour mériter une 5e cagoule, pourtant.
Bilan : Avec sa narration soigneusement détricotée pour mieux nous perdre, Memento transforme une classique histoire de vengeance, thème usé s’il en est, en un véritable thriller étouffant. Et pourtant, ce n’est pas l’intrigue qui captive le plus, mais son incroyable capacité à jouer avec notre propre perception du temps. Ce qui est fou, c’est que plusieurs heures ont passé après le film pendant lesquelles je continuais d’avoir l’impression de vivre par séquences courtes, à consulter instinctivement des repères (horloge, calendrier…) pour me rappeler où j’en étais dans ma propre chronologie. Je faisais quelque chose et, quelques secondes plus tard, je craignais d’avoir eu un blanc… exactement comme Leonard. C’était assez angoissant comme sensation, mais aussi terriblement excitant parce que ça signifiait que le film avait réussi quelque chose que très peu parviennent à faire : s’insinuer dans le mental du spectateur pour altérer sa perception des choses. Ca n’a pas duré très longtemps, heureusement, mais c’était un phénomène intéressant à observer parce que, de la même façon que Lennie s’oblige à créer des réflexes (prendre des photos, écrire au dos ce dont il doit se souvenir, consulter ses tatouages…), j’avais moi-même été conditionnée pour penser, juste quelques temps, comme ce personnage. Il y a quelque chose de pavlovien là-dedans qui prolonge l’expérience du film.
Et puis, pour finir, Memento brille par son character development. Celui-ci repose à la fois sur la résolution de l’intrigue principale (qui est John G. ?) et sur la véritable nature des personnages qui entourent Leonard, dont il se méfie. Alternant le délire paranoïaque et les preuves qu’il ne peut vraiment faire confiance à personne dans cet étrange journée sans fin, les questions de Lennie ne semblent pas trouver de réponse, et pourtant la réponse, c’est tout simplement les portraits qui se détaillent au fur et à mesure du film. Plus qu’aux faits, c’est aux indices sur la personnalité des protagonistes qu’il faut porter notre attention. Et Memento joue, en plus, de la perception initiale que nous avons de ces personnages, en nous démontrant que nous avions un préjugé sur eux et que nous ne devrions pourtant pas le tenir pour acquis (chose absolument impossible pour Lennie, d’ailleurs, qui les rencontre pour la première fois à chaque rencontre). Sans vouloir dévoiler la fin (si, comme moi, vous manquiez cruellement de culture cinématographique), c’est un stratagème absolument bluffant, parce qu’il joue même avec notre perception des personnages les plus inoffensifs. Et quand Leonard se livre à des actes borderline, voire franchement vicieux, nous avons même tendance à être choqué et/ou tolérant, parce qu’en tant que malade, nous ne le concevons qu’en victime, aidés par les confessions intimistes, désarmantes, qu’il fait lors des scènes en noir et blanc. Et ça, c’est franchement brillant. Tout est à l’image de cette déconstruction progressive des personnages : Lennie est-il manipulé par Teddy ? Par Natalie ? Le film avance, l’histoire remonte dans le temps, et on découvre que rien n’est si simple. Et que personne n’est réellement innocent, non pas par rapport à la quête de vengeance de Leonard, mais simplement parce que chacun a un brin de perversion en lui…

Pour quelqu’un qui blâmait Inception, il y a quelques jours encore, pour son manque de courage dans l’abord du monde du rêve, Memento apparait comme une bien meilleure approche d’un thème assez proche. Ces deux films ont en commun de traiter à la fois de la perception et de l’insaisissable ; de ce qui passe, en substance, dans nos cerveaux, bon gré mal gré. Peut-on contrôler ce que nous percevons ? A quel point sommes-nous maîtres de nous-mêmes… Les réponses des deux films sont bien différentes, et j’ai préféré, et de loin, les pistes de réflexion posées par Memento, que les mystères cosmétiques d’Inception.

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2 commentaires

  1. dylanesque dit :

    Merci, ta chronique cinéma n’aurait pas du tomber dans l’oubli et cette forme lui va bien. Memento, j’ai toujours voulu le voir, surtout depuis l’épisode « Hindsight » de la neuvième saison d’Urgences, où on voit la déchéance de Luka à l’envers. Maintenant, je ne vais plus hésiter et le regarder de suite !

  2. jonath666 dit :

    ça y est je viens de finir le film .

    Alors je rebondis sur tes dernières phrases pour dire que moi aussi j’ai trouvé ce film très proche d’ Inception (que moi j’aime quasiment autant que Memento ) .

    En tout cas c’est vraiment une expérience unique ce film . Je pense pas que ce procédé puisse être réemployé ou en tout cas avoir la même force dans un autre film , c’est sans doute ça qui fait de Memento une référence .

    Tout comme toi je me demande si sans ce procédé de narration le film aurait la même force . Bon je me mens un peu à moi même car je sais que non mais je pense que je vais quand même essayer de me trouver le dvd du film et de revoir les chapitres dans l’ordre chronologique .

    N’empêche commencer par la fin d’un film pour finir par le début, fallait oser quand même !

    J’avoue quand même que pendant les 20ères minutes j’ai eu un peu peur de me lasser de ce système de narration qui va à reculons . Bref je me demandais si pendant 1h40 j’allais tenir et en fait j’ai arrêté de réfléchir et je me suis laissé porté . Et oui à ma grande surprise ça a fonctionné .

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