À tout prix

26 octobre 2019 à 13:03

Trigger warning : suicide, représentation de la dépression et l’anxiété, maltraitance de mineurs.

On les aime. On les protège. On les aide à grandir. On essaie de les protéger. On ne les comprend pas, parfois. Et puis un jour, on rentre à la maison, et ils ne sont plus là.
Pour Florence Morin toutefois, ce qui s’est déroulé n’est pas dans le cours de choses : elle découvre un soir sa fille Marilou morte, dans sa chambre, après avoir mis fin à ses jours. L’adolescente n’a que 15 ans. Pour Florence, dont la vie semblait jusque là parfaite et équilibrée, le choc va au-delà de ce terrible deuil : il ne fait pas sens. Et il remet tout en question. Fort heureusement une connaissance lui fait part de l’existence du service « Plan B », une mystérieuse compagnie qui propose (moyennant finances) de retourner dans le passé, et ainsi, peut-être, changer le cours des choses.

Je vous avais déjà parlé de Plan B, une série dont j’avais reviewé le premier épisode à l’occasion de SeriesMania, puis la première saison complète. Mais je ne vous avais pas encore parlé en détails de sa saison 2, et évoquer des voyages dans le temps la semaine dernière m’a rappelée à l’ordre.

Si vous n’avez pas le temps ou l’humeur pour une relecture de l’un, l’autre ou tous ces articles, disons simplement que Plan B est une série qui utilise le voyage dans le temps pour explorer des situations dramatiques avant tout. Parce que la compagnie qui porte son nom est plutôt opaque (nous ne savons pas vraiment comment elle fonctionne), la série ne s’intéresse pas au voyage dans le temps sous un plan théorique ; ici, on n’a que faire des paradoxes temporels, par exemple et en particulier. Retourner dans le temps, ce n’est pas tant une façon de tordre le cerveau au spectateur, que d’explorer un personnage (le voyageur dans le temps), sa psychologie, ses relations, ses choix, son devenir. Chaque retour en arrière est donc profondément dramatique ; la science-fiction n’est qu’un prétexte.
Dans la première saison, c’était un homme sous pression, Philippe, qui retournait dans le passé pour éviter une rupture avec sa compagne, Evelyne, et en parallèle s’assurer d’un succès éblouissant dans tous les autres domaines de sa vie. Ne voudrions-nous pas utiliser ce que nous savons pour réussir ? Gagner à la loterie de la vie parce qu’on a les numéros dans l’ordre ? Les retours successifs dans le temps mettaient cependant en lumière un paradoxe dans son comportement : plus il tentait d’avoir du contrôle, plus ce contrôle blessait les gens autour de lui et au final, lui faisait perdre ce qui lui était cher. Au point de se révéler être un homme profondément maltraitant et malhonnête, et même tuer sciemment le bébé que, lors de l’un de ses sauts dans le passé, il avait eu avec Evelyne.
Alors que pouvait bien raconter cette saison 2 ? Eh bien, mais ça vous le saviez si vous m’avez lue à l’époque, Plan B ambitionne de fonctionner sur le principe des anthologies américaines modernes, c’est-à-dire de garder le principe de base, mais de changer l’histoire et la distribution. J’appréhendais un peu cette seconde salve d’épisodes, pour être honnête. Tant de choses subtiles, dérangeantes et émouvantes étaient apparues la première fois, comment voulez-vous passer derrière ça ?

Eh bien, difficilement. J’avoue avoir moins accroché à cette nouvelle saison, en toute honnêteté. Il y a des choses encore très solides, et Plan B reste une excellente série dramatique, mais clairement pour moi cette seconde salve d’épisodes n’atteint pas la profondeur intellectuelle de la première. Voyons pourquoi.

Cette nouvelle saison tourne autour de Florence, l’animatrice vedette d’une matinale radiophonique, avec 3 de ses plus proches amis qui sont aussi ses chroniqueurs (Catherine, Lily et Vincent), et de leur nouveau réalisateur (Manu). En-dehors de cette activité professionnelle très chargée, elle est aussi la mère de deux enfants (Marilou et Félix), une femme divorcée qui vit dans l’appartement en-dessous de son ex-mari (Nicolas) et la nouvelle compagne de celui-ci (Naïma), et une militante féministe engagée qui a fondé un foyer d’accueil et organise régulièrement des mouvements politiques avec sa conseillère et amie (Hélène). Une vie bien chargée, donc, où en plus elle entretient en secret une aventure avec Manu, de 20 ans son cadet.
Florence pensait donc jongler parfaitement avec tout, et un soir, en rentrant d’une soirée avec des amis, elle découvre donc sa benjamine, allongée sur son lit, ayant fait une overdose de médicaments. Et bien-sûr la vie de Florence bascule totalement. Comme tous les parents mis face à un tel bouleversement, elle se demande : « qu’ai-je mal fait ? qu’avons-nous mal fait ? qu’aurions-nous du faire différemment ? ». La découverte de Plan B (l’occasion d’ailleurs d’un excellent lien avec avec la saison 1) va évidemment lui donner l’opportunité de tester ses théories et d’essayer d’empêcher le pire. Le premier instinct de Florence est de ne repartir que quelques heures en arrière. Elle apprend des choses qu’elle ignorait dans la première timeline, et décide d’agir à partir de là. Sa priorité ? Éloigner Marilou de son petit ami, un garçon plus vieux et surtout violent. La situation semble évidente, et pourtant Florence échoue à assurer un happy non-end à sa fille. Ce qui va évidemment susciter d’autres retours en arrière, chaque fois plus lointains.

A la différence de la première saison, Plan B ne veut cependant pas pousser son héroïne dans ses retranchements. La série ne veut pas mettre parler de ce que le voyage dans le temps met en lumière de Florence elle-même, de ses excès et de ses vices cachés. D’abord parce que Florence ne voyage pas dans le passé pour son propre bonheur, mais pour assurer celui de sa fille ; mais aussi parce que chaque échec de Florence est accueilli par elle avec le désir d’apprendre des autres, des situations, de soi-même, pour faire mieux. Pas pour « corriger » la timeline afin qu’elle devienne ce qu’elle « devrait » être, mais pour s’assurer simplement du meilleur équilibre de chacun. Ecouter mieux. S’adapter plus.
Cela veut dire que oui, comme pour sa saison précédente, la série élargit le focus un peu plus à chaque épisode, introduit des dynamiques plus complexes, dévoile des choses qui donnent à voir la vie de Florence, avec tous ceux qui y tiennent un rôle, de façon différente. C’est vrai évidemment pour sa fille Marilou, mais aussi pour son fils, son ex-mari, ses collègues de travail. Chaque nouveau voyage est l’occasion d’essayer de mieux percevoir ce qui leur ferait du bien ; pas de profiter à un objectif de Florence. C’est une différence capitale.

Ce faisant, Plan B va dévoiler que les abus commis par le petit ami de « Lou » ne sont pas le cœur du problème : ils ne sont qu’un déclencheur. Et pour comprendre exactement ce qui perturbe sa fille et la conduit à commettre l’irréparable, Florence va devoir se pencher sur sa santé mentale. Lors d’un retour très loin en arrière, elle finira par obtenir un diagnostic qui, effectivement, va tout changer de la façon dont elle accompagne sa fille ; pas juste à l’adolescence mais dés la maternelle, précisément parce qu’elle est retournée si loin en arrière. Et si tout était à refaire ? Plan B nous dit qu’une mère comme Florence est prête à tout refaire, à tout revivre (y compris la mort de sa propre mère, encore), à tout regarder d’un œil nouveau pour mieux protéger, mieux comprendre, mieux protéger, mieux aider à grandir, mieux aimer Marilou. Pour qu’elle soit encore là.
Et Plan B de nous offrir une magnifique histoire d’amour mère-fille pour cela. Mais aussi l’histoire d’un abandon : pour se consacrer à sa mission, Florence abandonne progressivement sa carrière, ses engagements politiques et associatifs, et « perd » même des amis… En refaisant le chemin à l’envers, Florence prend tout simplement un autre chemin. Qui sait où celui-ci conduit ?


Alors pourquoi j’ai eu du mal avec cette saison, par rapport à celle qui l’avait précédée ? Eh bien parce qu’en un sens, même si dramatiquement Plan B nous offre là une saison magnifique, et dense, et complexe, le fait que Florence soit si « parfaite » (toutes proportions gardées) dans son utilisation des services de Plan B empêche pas mal de choses.
Je ne parle même pas du trope de la mère courage prête à tout pour ses enfants et qui se sacrifie pour les hisser le plus haut possible, et qui, admettons-le, un peu dérangeante étant donné le militantisme féministe de Florence : lui donner cette trajectoire (sans même qu’elle n’hésite sur la portée du sacrifice ou ses paramètres, pas un instant) est pour le moins curieux. Mais même sans parler de ça, Plan B ne nous permet pas autant d’explorer de sentiments complexes et contradictoires comme ç’avait été le cas avec Philippe. Le fait que Florence prenne toutes les « bonnes » décisions avec les informations qu’elle a (et/ou que nous avons) empêche de s’interroger sur les mauvaises. Il y a bien un moment où Florence, perdu pour perdu, décide de transformer l’un de ses retours dans le temps en un temps de détente, pendant lequel elle fait tout ce qui lui chante sans se préoccuper des conséquences parce que, eh bien, il n’y en a pas, de conséquences ! Elle sait qu’elle va tout effacer en retournant dans le passé. Mais même dans ce contexte elle ne flirte même pas un peu avec le concept de « mauvaise mère », d’autant qu’il est très clair, et que d’autres personnages le lui font remarquer, qu’elle agit comme si elle pensait que rien de tout cela n’allait compter. On sait donc que c’est « un coup pour rien » et, si c’est libérateur temporairement pour elle, cela n’apporte pas tant que ça à la subtilité de la série dans sa description de son héroïne ou de ses contradictions.
Je ne dis pas que cette saison n’est pas réussie (ses deux derniers épisodes, en particulier, sont très forts, et la conclusion de l’intrigue de Florence et Marilou est bien plus époustouflante que celle d’Evelyne et Philippe). Juste que le chemin est un peu moins stimulant intellectuellement.

Pour l’émotion, en revanche…
Ecoutez, je vais jouer franc jeu avec vous. Une partie de la raison pour laquelle j’ai eu du mal avec cette saison de Plan B, c’est le ressentiment.
Pendant le visionnage, je n’ai pas tout de suite mis les mots dessus. Je n’ai pas tout de suite compris ce qui me chiffonnait, au-delà, donc, de l’absence d’ambiguïté morale que j’évoquais ci-dessus. C’est en dormant dessus que ça m’est progressivement apparu. Comme si, émotionnellement, j’avais moi aussi opéré des retours en arrière, nuit après nuit, et que j’avais finalement compris.

Cette intrigue de Plan B n’est pas le cœur du problème : elle n’est qu’un déclencheur. Et si tout était à refaire ? Plan B nous dit qu’une mère comme Florence est prête à tout refaire, à tout revivre à tout regarder d’un œil nouveau pour mieux protéger, mieux comprendre, mieux protéger, mieux aider à grandir, mieux aimer Marilou. Et ma mère à moi, est-ce qu’elle ferait ce choix-là ? Est-ce qu’elle s’exposerait émotionnellement à revivre le plus dur afin de me sauver ? Est-ce qu’elle modifierait chaque minute de son attention sur moi pour mieux m’accompagner dans la vie, avec mes fragilités ? Est-ce qu’elle dépenserait des sommes folles pour retourner dans le passé et me protéger ? Est-ce qu’elle empêcherait mon père de me casser ? Est-ce qu’elle s’empêcherait de me casser ?
La vérité c’est que je suis furieuse parce que je connais la réponse à cette question. Et que ma mère n’a même pas l’excuse d’une activité professionnelle prenante ou d’un engagement militant pour expliquer pourquoi elle n’a pas vu, pas su, pas pu. Ma mère n’a pas voulu.

En un sens ce qui me mettait en colère devant Plan B, c’était que ma mère n’avait pas utilisé Plan B pour m’éviter le pire. C’est irrationnel et je le sais, rassurez-vous. Mais est-ce que ça l’est totalement ?
A mesure que Plan B racontait sa belle histoire d’amour mère-fille, je ne pouvais que voir les parallèles. Les prises de bec qui ne durent jamais vraiment longtemps. Les portes qui claquent, c’est toujours mieux qu’autre chose. Les conversations sur l’avenir, l’orientation de ces choix capitaux. Les discussions dans la voiture, quand le moment de déposer quelque part est le plus important au monde parce que c’est là qu’il est possible de parler. J’ai vécu toutes ces scènes. Mais ma mère n’était pas bienveillante, pas attentive à ce que j’aille le mieux possible, pas inquiète de mes fragilités, et chaque scène de Plan B m’a mise face à ce contraste. Face à chaque choix que ma mère a fait, dans la première timeline, dans notre timeline, et qui mis bout à bout me conduisent à écrire aujourd’hui cette review, en larmes, honteuse de pleurer autant pour quelque chose de si ancien. Mais de jamais cicatrisé.
Parce que je sais que nous n’avons qu’une timeline. Et je sais que ma mère vit bien, aujourd’hui, globalement. Moi pas du tout. Ma mère n’a pas sacrifié quoi que ce soit pour mon bonheur : elle a obtenu le sien. A mon détriment. Et je suis tellement furieuse, et blessée, et choquée, qu’une mère fasse ce choix. Je n’en veux pas à Plan B d’avoir manqué d’écrire cette histoire, mon histoire et celle de ma mère ; mais je lui en veux d’avoir présenté, une fois de plus, la maman que je n’aurai pas. Cela a-t-il du sens pour vous ? Ça en a tellement pour moi.

Est-ce que c’est juste que mon visionnage de Plan B ait été pourri par ma rancœur personnelle ? Non. Et ça l’est encore moins que ma review le soit.
Mais en un sens, j’espère que c’est aussi un témoignage de mon admiration pour une série dont j’attendais une stimulation intellectuelle, et qui m’a prise par surprise pour me bouleverser émotionnellement. Je ne serais probablement pas en train de pleurer en écrivant ces lignes si je n’avais pas vu Plan B, encore que. Toutefois, c’est la raison essentielle pour laquelle j’aime la fiction sérielle. Je suis, dans le fond, contente d’être bouleversée, contente de trouver une catharsis, contente d’avoir un exutoire. Rien n’est plus satisfaisant que de regarder une oeuvre d’art qui fait plus que raconter son histoire : qui raconte aussi la nôtre, avec nous.
Je ne sais pas qui d’autre aura eu une émotion aussi forte en regardant cette nouvelle saison de Plan B. Peut-être personne. Peut-être plus de monde qu’on ne le croit. Mais en cet instant, je me sens aussi riche de ma relation aux séries que pauvre de ma relation à ma mère. Et ceci, vraiment, est mon plan B.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

2 commentaires

  1. Jacques Drolet dit :

    Ta capacité d’introspection, ton honnêteté, la finesse de ton esprit et ta plume. Wow! je suis honoré d’avoir été vu et commenté par toi. Je suis devant une auteur,e ou une autrice, selon comment tu veux que je t’appelles. Ton article a créée chez moi, une émotion jumelle à celle de la série.
    Merci pour ce cadeau.

    Jacques
    scénariste de Plan B

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