C’est sûr qu’à mes yeux, rien ne remplacera jamais la première saison de Friday Night Lights.
De la même façon que j’éprouve une nostalgie mordante pour Nine dans Doctor Who, il m’est arrivé pendant les saisons ultérieures d’avoir l’impression de regarder une autre série, et d’avoir envie régulière de revenir aux inédits de la série dont j’était initialement tombée amoureuse, avant de réaliser qu’en réalité, il s’agissait de la même. Cette nostalgie, plus ou moins forte selon les difficultés de Friday Night Lights à exister au fil des saisons, ne m’a pas quittée jusqu’au final, mais j’ai tout de même apprécié le mois que j’ai passé à Dillon.
C’est une belle histoire que je m’apprête à vous raconter. Celle d’une série qui ne m’aura pas toujours séduite, mais à laquelle je suis revenue avec plaisir, fidélité et émotion.
Il faut dire que la première saison était d’une rare perfection et, pour moi qui réfléchis rarement en termes de « saisons », mais plutôt par arcs narratifs (dans le sens où je suis capable de dire que tel arc était bon, mais je ne me souviens pas souvent à quelle saison il appartenait et, en général, je m’en contrefiche), c’était assez criant pour ne pas être oublié pendant les saisons suivantes.
La première saison de Friday Night Lights retranscrivait avec une précision rare le sentiment de « communauté », une valeur américaine très forte mais qu’il est parfois difficile de ressentir de notre côté de l’Atlantique où le terme ne désigne pas vraiment la même chose.
Soudée autour du football et surtout de l’équipe des Panthers, la communauté de Dillon, c’était un coeur qui bat, au centre, et des vies qui s’épanouissaient, autour. Chacun vivait au rythme de cette communauté, et le sentiment d’appartenance était fort : au Texas, à la ville de Dillon, à l’équipe de foot. Ce sentiment se voyait renforcé par la tragédie du pilote, mais il était présent bien avant.
Les personnages semblaient tous interconnectés, même quand en réalité ils n’avaient pas, ou très peu, de réelles interactions à l’écran, comme s’ils formaient les mailles d’une même armure contre le reste du monde, et à travers lui les équipes concurrentes. A l’échelle de la ville, et au niveau de chacun, il y avait un lien invisible qui s’exprimait parfois un peu plus explicitement, comme Tami organisant un gigantesque barbecue pour l’équipe, ou la ville fermant entièrement boutique le temps des matches. Il y avait quelque chose de grisant dans ce sentiment d’appartenance, qui certes, montrait aussi comme la population de la ville s’auto-galvanisait autour de son équipe (ce qui pouvait me sembler vain dans un premier temps, avant d’être prise dans cette communauté où les individus sont si enclins à ne faire qu’un autour de choses aussi futiles qu’un ballon), mais renvoyait irrémédiablement la confortable sensation d’une grande chaleur humaine.
Les saisons suivantes se détacheront progressivement de cette incroyablement puissante communauté, pour se diriger vers un ensemble show plus classique, où chacun suit sa voie, ses intrigues et ses problèmes, mais avec une plus grande indépendance vis-à-vis de ladite communauté, qui n’intervient plus qu’assez rarement. La puissance de la communauté devient alors uniquement une source d’inquiétude voire d’antagonisme, comme quand Tami devient la cible des parents conservateurs dans la saison 4 (un thème par ailleurs traité avec une infinie délicatesse, comme la plupart des sujets sensibles sur lesquels la série pose rarement un jugement définitif).
Pourtant dés la première saison, Friday Night Lights présentait des défauts dont elle ne s’est jamais départie, et notamment la curieuse habitude de commencer des histoires qu’elle n’avait pas l’intention de finir. Au fil des saisons, un nombre assez incroyable d’intrigues va ainsi ne jamais trouver de conclusion ni même de porte de sortie. Parmi les plus flagrantes, on compte évidemment des axes empruntés pendant la tristement « fameuse » deuxième saison, à l’instar de la direction que prend Lyla spirituellement, mais c’est quelque chose qui ne sera jamais corrigé ensuite. La série montre des personnages qui soudainement, ont changé de voie, de sentiment ou d’occupation, sans aucune forme d’explication, et c’est parfois un peu déroutant quand on s’intéressait à cet axe et non à celui que les scénaristes ont choisi de faire aboutir. Il faut dire que ce même sentiment de communauté que j’appréciais tant dans la première saison implique une distribution pléthorique, et que tout le monde ne peut pas avoir droit à une intrigue finement fouillée ; mais dans ce cas j’aurais tendance à dire qu’il ne fallait pas commencer ce qu’on n’avait pas l’intention de finir. C’est regrettable dans les nombreux cas où des personnages secondaires se voyaient offrir une occasion de s’épaissir (à l’instar de la relation de Buddy avec ses deux plus jeunes enfants, ou la tragique disparition du jeune Santiago, méchamment Kelleyrisé et qui aurait pourtant si bien trouvé sa place plus tard dans la série), mais il faut bien faire avec et, admettons-le, au fil des ans, les scénaristes ont fini par n’avoir d’yeux que pour le Coach et Tami Taylor, oubliant jusqu’à donner à certains personnages le moindre mot de la fin, comme ce pauvre Landry, rappatrié à Dillon uniquement pour donner un conseil à Matt, et dont on n’a aucune idée de ce qu’il est devenu après le lycée.
Mais c’est aussi le couple Taylor qui offre les meilleurs moments de Friday Night Lights et je dois dire que là-dessus, j’avais entendu pas mal de choses, et je n’ai jamais été déçue (ce qui est pourtant un risque quand on entend autant de louanges). En fait, plus la communauté s’éloigne, plus le couple prend ses aises dans les intrigues, ce qui est une honnête compensation.
Parfaitement incarné, parfaitement écrit aussi, le couple Taylor fonctionne admirablement bien, et c’est le moins endommagé par les problèmes d’intrigues qui ne se concluent pas, même si ça lui arrive aussi ponctuellement.
Avec eux, on passe du « macro » au « micro », en pénétrant totalement dans leur intimité. Les scènes dans la chambre, la salle-de-bains, la cuisine, prennent un tout autre sens et revêtent un caractère presque naturel ; séparément, les acteurs semblent parfois rigides et ont même tendance à s’auto-caricaturer, mais ensemble, ils font des étincelles. Le fait que les personnages soient écrits pour offrir une énorme dichotomie entre leur rôle « public » et leur rôle dans le couple aide aussi énormément : au lycée, Tami est du genre conciliante, elle écoute et conseille, à la maison elle a tendance à insister et se montrer plus autoritaire ; à l’inverse, Eric est inflexible sur son terrain qu’il mène à la baguette en hurlant sur tout ce qui ne bouge pas comme il l’entend, sur un mode quasi-militaire, quand à la maison, il passe son temps à chercher l’assentiment de sa femme et est, pour ainsi dire, un peu dominé par elle (et tout-à-fait conscient de ce fait d’ailleurs).
Avec le temps, on prend aussi conscience de la puissance du football dans la vie de ses propres joueurs. Le sentiment d’appartenance à une équipe est progressivement remplacé par le sentiment d’accomplissement. Coach Taylor n’est pas seulement un faiseur de rois, c’est un faiseur d’hommes. Il est capable de transformer n’importe quel adolescent mal dégrossi en un personnage droit, à la fois obéissant et sûr de lui. Son oeuvre avec Matt Saracen n’est qu’un début ; on le verra par la suite prendre en charge des cas chaque fois plus complexes, disciplinant les rebelles et offrant un soutien aux plus perdus, ou parfois l’inverse. Sculpteur de caractères, il s’impose sans le savoir comme un sauveur d’âmes, un traceur d’avenir, et une valeur stable dans un monde en constant changement. C’est ce qu’il fait des Lions : il part de la glaise et en fait des rocs. Ce qui compte, c’est moins les victoires que remportent les gamins, que ce que les victoires font sur les gamins.
C’en est d’ailleurs presque dommage. Car si dans les premiers temps, la série suit presque scrupuleusement le planning des matches, nous faisant ressentir la fièvre du vendredi soir (et donc nous donnant l’illusion d’appartenir un peu à la communauté de Dillon), avec le temps, les rencontres sportives, voire même (quand la série est au plus mal) les entraînements, deviennent secondaires, au point que la montée d’adrénaline de la fin de la saison 5 est totalement mise de côté, précipitant plusieurs matches pourtant capitaux en un seul épisode. Friday Night Lights ne brille pas vraiment par son génie lorsqu’elle sacrifie sa moëlle épinière de la sorte. Il faut le reconnaître, depuis mon tout premier visionnage du pilote, c’était pourtant le match qui m’avait le plus captivée (en dépit de mon aversion pour le sport lui-même), et cet aspect sportif, s’il ne pouvait de toute évidence être le seul axe de la série, aurait mérité plus de soins à certains moments.
Mais au bout du compte, l’aventure est belle.
Et elle est belle, parce qu’elle est longue. Friday Night Lights, en dépit de ses défauts récurrents, et la seconde saison plus que faible, vaudrait bien moins si elle n’avait duré que le temps de sa pourtant parfaite première saison.
Ce qui est important, c’est aussi de voir les personnages grandir, évoluer, partir (bien que ce soit souvent un déchirement, même pour les personnages que je n’aimais pas forcément), et en voir d’autres tenter, avec plus ou moins de succès, d’en prendre le relai pour grandir, évoluer et partir à leur tour. C’est la loi de la série adolescente, et j’avoue que je préfère ce parti pris à celui de beaucoup de séries se préoccupant de la même tranche d’âge, mais choisissant de suivre ses personnages. En gardant, toujours, comme point d’attache, les yeux rivés sur Dillon et le couple adulte formé par les Taylor, Friday Night Lights chronique cette période avec tendresse, et offre un nouveau point de vue sur cette époque charnière, quand il faut préparer l’avenir, envisager l’université et/ou la vie de couple. Entre le Coach Taylor, qui forme le caractère de la plupart des personnages pour qu’ils deviennent adultes « dans leur tête », et Tami qui s’assure de leur transition matérielle vers le monde adulte, l’équilibre a été finement trouvé. L’avenir est une question récurrente, et un des thèmes les mieux traités par la série sur le long terme, sous toutes ses formes, n’offrant pas la réponse quasi-systématique de beaucoup d’autres séries, qui serait l’absolu d’une scolarité à l’université, et propose des alternatives intéressantes. Si j’étais adolescente, j’apprécierais beaucoup la façon dont Friday Night Lights me poserait ces questions, sans proposer de réponses fermées aux préoccupations de cette période.
En 5 saisons, Friday Night Lights offre une immense fresque sur une ville finalement très hétéroclite émotionnellement et socialement, où la seule constante est le changement. C’est parfois un peu difficile : lesdits changements sont à l’occasion brutaux, voire même difficiles à appréhender même au bout d’une saison. Pourtant, la plupart des relations entre les personnages s’impriment comme au fer rouge dans notre coeur, et on conserve à travers les années une tendresse pour certaines relations : celle qui lie Jason à Lyla, par exemple (Lyla a finalement fait le deuil de cet amour de highschool sweethearts plus vite que moi), ou celle, plus éloignée du mode amoureux, entre Becky et Tim, aussi ; pour n’en citer que deux.
Certaines choses devraient ne pas changer, mais elles changent tout de même et c’est la vie ; Friday Night Lights retranscrit avec une honnêteté immense ce genre de choses.
Après un mois passé à respirer l’air de Dillon, à écouter chanter les accents de ses habitants, à arpenter ses rues et s’asseoir dans ses fast foods, la séparation est difficile.
Pourtant, comme une nouvelle preuve de mon ambivalence vis-à-vis de la série, que j’ai aimée mais qui a tout de même su me déplaire plusieurs fois (comme expliqué ci-dessus), j’ai été un peu déçue par le final, et je n’étais pas fâchée que la série cesse ainsi de jouer avec mes attentes vis-à-vis des personnages et des intrigues.
Déjà, j’aurais arrêté la série 5mn plus tôt, avec le ballon en plein vol, même si ma frustration aurait été immense, je pense que ç’aurait donné une fin plus ouverte, plus poétique même. Et puis, certaines choses sont juste navrantes de banalité (aussi touchante que soit la phrase de Tim à Tara sur leur avenir, leur relation était éteinte depuis si longtemps, et si peu profonde pour ce que nous en avions vu, que je ne vois pas pourquoi ils en sont là en fin de série, alors que Landry est à quelques pas et qu’elle ne va même pas lui glisser un mot), ce qui est la seule chose que je ne peux pas pardonner à une série comme Friday Night Lights.
Mais je pense que j’ai compris ce qui liait de façon si intense les fans de la série. Le sentiment d’appartenance.
Nous sommes tous des enfants de Dillon à présent.