Still waters

7 novembre 2013 à 18:50

Peut-être vous souvenez-vous que l’année dernière, whisperintherain et moi-même nous étions lancé un défi consistant à regarder puis reviewer tous les pilotes. La période couverte par ce défi s’est achevée au 31 août, mais le challenge est toujours en cours ! Et je profite de la diffusion ce soir sur arte du début de Top of the Lake pour rattraper une partie de mon retard. Voici donc la review du pilote de Top of the Lake ; pour les autres pilotes, ce n’est que partie remise.
Attention toutefois, des spoilers peuvent s’être glissés dans cet article (entendez par là : il faut avoir vu TOUT le pilote).

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Lorsque la petite Tui est entrée dans le lac presque toute entière, le corps et le visage tendus comme un arc, j’ai décidé de ne pas décider.

L’espace d’un instant, je me suis demandé si elle tentait de se suicider ou de se purifier, si l’eau était supposée l’emporter ailleurs ou la ramener à un état précédent ; j’ai préféré rester sur cette interrogation et ne rien en conclure. Choisir une interprétation serait facile, et probablement facilité plus encore par le contexte que l’épisode nous donne progressivement, mais il m’a semblé plus précieux de m’accrocher à cette hésitation première pour savourer Top of the Lake, et ne pas être tentée de la soumettre à des simplifications ou des petites cases.

Par de nombreux aspects, Top of the Lake m’a rappellé Winter’s Bone, avec sa nature sèche et froide, ses bâtiments à l’apparence souvent vétuste, ses gens rudes… Et puis, il y a la solitude de ses personnages féminins, qui nous arrivent déjà endurcis (…bien que, ainsi que le dira l’une d’entre elles, il ne faut pas confondre la dureté avec la force), face à des personnages masculins bien souvent dépourvus d’empathie, comme en témoigne la merveilleuse réaction du père de Tui lorsqu’il apprend que celle-ci est enceinte. Il en ressort la même humanité déshumanisée, l’impression d’un monde profondément hostile.
C’est une sacrée promesse que fait Top of the Lake avec ce contexte dans lequel elle promet de passer près de six heures ; c’est aussi un pari car donner envie à des spectateurs de se plonger dans pareille ambiance n’est pas gagné d’avance. Et pour magnifique que soit la réalisation (on aimerait ne plus s’étonner quand la réalisation d’une série est belle, car cela ne devrait rien avoir d’anti-naturel ; et pourtant, on s’émerveille encore), cela ne suffit pas toujours à accepter de se confronter à tant d’hostilité.

Mais ils sont beaux, ces personnages de femmes, plus beaux encore que la réalisation et c’est ça qui fonctionne ; ils sont beaux parce que ces femmes ne sont pas belles, et qu’elles s’en contrefichent. Même Holly Hunter, pourtant pas spécialement maltraitée par la génétique, est enlaidie par une perruque étrange. Seule Elisabeth Moss apparait comme relativement jeune, fraîche ; mais elle ne possède pas des traits conventionnellement beaux, et rien n’est d’ailleurs fait pour nous le faire croire. A Paradise, ces femmes apparaissent même telles qu’elles sont (parfois telles qu’elles sont nées), sans chercher à dissimuler leur air fatigué, leurs cheveux fous et leur peau qui plisse, qui pend et/ou qui dépasse.
Oui, leurs problèmes nous semblent un peu être des non-problèmes dans un premier temps, mais n’est-ce pas justement le souci ? Le fait que nous ayons d’emblée pris le point de vue des hommes lorsque nous les avons rencontrées, et que nous les ayons considérées comme des étrangères, des intruses, des importunes ? Si l’une d’entre elles souffre parce qu’elle a dû faire piquer un chimpanzé, devons-nous chercher à hiérarchiser les douleurs ou au contraire reconnaître que ce que cette femme expérimente est, pour elle, très dur ? Top of the Lake permet de se poser la question, même si, plus tard dans l’épisode, elle offrira un début de réponse par l’entremise du personnage de GJ. C’est d’ailleurs là que j’aurais dû commencer à m’en douter…
Que Tui soit enceinte est traité par la quasi-totalité des personnages masculins comme une vaste blague, presque quelque chose d’inexorable. Comme dans Winter’s Bone, on n’attend pas grand’chose des filles, dans Top of the Lake. On ne leur doit aucun respect, même quand elles sont des femmes et qu’elles sont détectives, d’ailleurs. Les femmes ne sont bonnes à rien, même les chiens sont mieux traités.

Dans tout cela, il faut que les femmes se serrent les coudes ; c’est plus ou moins ce que décrit ce premier épisode de Top of the Lake dans lequel Robin, notre détective, va s’arranger pour s’occuper de Tui, gagner sa confiance, l’accompagner dans ce qui l’attend, et pas seulement faire son job. C’est aussi ce que décrit la situation à Paradise, cette terre superbe au bord du lac où s’installe une communauté de femmes blessées, qui s’entraident et comptent sur la mystérieuse GJ pour les conseiller, même de façon un peu sèche, sur le chemin à prendre. C’est même ce que raconte ce très bel échange entre Robin et sa mère, dans l’intimité de la chambre d’une femme frappée, une fois de plus, par le cancer. Des femmes qui souffrent et qui aident d’autres femmes qui souffrent ; chacune souffre à sa manière, chacune aide à sa manière. C’est la grande différence avec Winter’s Bone, vous l’aurez compris.

Dommage que la fin du pilote de Top of the Lake n’hésite pas, elle, à plonger dans une certaine facilité. Je trouvais beaucoup plus intéressant, beaucoup plus osé même, de suivre Tui, que de suivre une enquête sur Tui en son absence. Sa disparition ravive les comparaisons avec Twin Peaks évidemment, mais aussi des séries plus modernes, d’ailleurs très proches esthétiquement, comme Forbrydelsen et The Killing. Plus encore, sa disparition imprime un mouvement plus proche des séries policières dont il semble que nous soyons déjà bien assez gorgés par les temps qui courent ; j’aurais préféré que ce premier épisode ne s’achève pas sur l’impression (qui peut d’ailleurs être erronée) que nous allons mener une enquête. Là où la majorité des séries policières nous proposent de comprendre un crime sans donner la parole à la victime, j’aurais bien aimé que Top of the Lake laisse le temps à Tui de nous dire, lentement, son histoire.

C’est la raison pour laquelle j’ai fini par décider : pour moi, Tui s’est jetée par-dessus le pont. Elle a rejoint l’eau glacée et elle est déjà loin désormais ; et avec elle, la fin de Top of the Lake. Je n’aime pas qu’on me fasse des promesses pour ensuite refuser de les tenir.

A noter en dépit du casting de premier plan qui est américain (Holly Hunter, Elisabeth Moss), l’apparition d’acteurs néo-zélandais et australiens qui sont, si vous suivez mes recommandations et que vous regardez des séries venues d’Océanie temps à autres, plutôt familiers. Parmi eux, David Wenham (Killing Time, plus récemment Better Man), Jay Ryan (Go Girls ; il se commet maintenant dans Beauty and the Beast) ou, fugitivement, Darren Gilshenan (l’oncle impossible dans A Moody Christmas et prochainement The Moodys). D’une façon générale, même si l’accent parfois hésitant de Moss ou sa simple présence (forcément incongrue quand on a été la fille du Président des États-Unis), brisent ponctuellement la magie du lieu, et son intégrité très importante pour l’atmosphère de la série, les acteurs de second ou troisième plan qui peuplent Top of the Lake nous ramènent dans le sud de la Nouvelle-Zélande.

Et j’en profite pour vous mettre le lien, s’il vous avait échappé, vers le magnifique site d’arte pour l’occasion ; vous avez environ deux heures avant le début de l’épisode pour le visiter… il faudra bien ça, il est facile de s’y perdre.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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