Arrivés mi-chemin de la (première ?) saison de Penny Dreadful, il est temps de faire le point sur ce que la série a accompli jusque là, et sur ses perspectives. Et on va tout de suite mettre les choses au clair : bien que confusément déçue par Penny Dreadful, je n’ai pas envie d’arrêter de la regarder et ressens toujours une forme d’enthousiasme. Et ça n’a rien à voir avec le fait que sa saison est courte, que j’ai déjà vu la moitié, et que je me dis que je n’ai plus grand’chose à perdre !
C’est un peu déstabilisant, et si vous avez une minute, je veux bien qu’on s’asseye et qu’on revienne sur cet étrange paradoxe.
Vous vous doutez bien, accessoirement, que si vous n’êtes pas à jour, cet article contient probablement des spoilers. C’est même assez sûr.
Commençons par le positif, l’indubitablement positif, le fantastiquement positif : Penny Dreadful ne fait pas partie qui a mis tous ses sous dans le même panier, et par panier je veux dire le même pilote.
Chaque épisode de Penny Dreadful est réussi non seulement sur un plan esthétique et musical, mais aussi en termes d’atmosphère. La série possède un oeil certain, et n’hésite pas à capturer des plans magnifiques. Je vous accorde qu’on s’attend à moins étant donné les noms à l’origine de sa conception, mais il n’empêche que peu de dramas fantastiques parviennent à susurrer à l’oreille du spectateur des choses aussi tendres, délicates et effrayantes. Je pensais me lasser assez vite de l’univers londonien du 19e, un décor qu’on a l’impression d’avoir arpenter en long et en large quelques douzaines de fois rien que ces dernières années. Mais Penny Dreadful a un don certain pour trouver une façon de nous inviter dans une nouvelle facette de la ville, tantôt son zoo, tantôt son jardin botanique… et le voyage est franchement plaisant. Outre le fait qu’il n’est pas claustrophobe et évite de passer des heures dans le manoir de l’un ou le laboratoire de l’autre.
L’ambiance est essentielle, mais j’ai presque honte de vous l’expliciter tant ça semble évident, dans une série fantastique. A plus forte raison si celle-ci espère nous inquiéter. Penny Dreadful n’a pas à s’en faire de ce côté-là, et même quand elle donne dans la surenchère (ce que sa musique fait assez souvent), le résultat est plus immersif qu’agaçant. Ça relève parfois du coup de chance ou de la bonne volonté du spectateur, mais en règle générale, les épisodes font leur possible pour ne pas s’égarer sur ce plan.
Hélas, c’est loin d’être le cas sous l’angle narratif.
Il semble parfois, plutôt vers le milieu de chaque épisode je dirais, que Penny Dreadful se refuse obstinément à tenir ses promesses. C’est le plus déconcertant : la mise en place qui a eu lieu lors de son pilote est régulièrement écartée au profit de choses radicalement différentes, voire totalement annexes.
Lorsqu’un épisode d’exposition fait en sorte d’introduire un personnage comme Ethan Chandler pour l’intégrer à la quête de gens tels Sir Malcolm Murray et Vanessa Ives, c’est généralement avec l’idée motrice qu’il y a un mystère en cours, dans lequel embarquer le spectateur grâce à un avatar ignorant autant que lui les détails de l’action. En prenant le train en marche de cette façon, on construit une atmosphère énigmatique, mais laissant entendre qu’on va en découvrir plus rapidement.
La première surprise est de découvrir qu’en réalité, Murray et Ives sont totalement ignorants de l’aventure dans laquelle ils se sont embarqués ; même avec l’aide ultérieure du Dr Frankenstein, ils ne savent pas du tout ce qu’ils affrontent, et à peine plus ce qu’ils pourchassent. Ne comptez pas sur les 4 premiers épisodes de la saison pour leur en apprendre plus, d’ailleurs.
Penny Dreadful entretient un flou mystique autour non pas des motivations de ses héros, ce qui pourrait préserver une forme de continuité dramatique (c’est même plutôt classique de ne découvrir ce qui anime les personnages avec le temps), mais autour de ce contre quoi ils sont en lutte. On nous livre quelques indices mais en restant aussi allusif que possible. Et surtout, ces allusions ne font surtout pas avancer l’intrigue durablement.
Les hiéroglyphes sont un excellent exemple de cet étrange travers. Introduits dés le pilote, et faisant des références assez fascinantes à une mythologie d’ordinaire assez éloignée des vampires qui sont pourtant l’objet du premier épisode, ils deviennent ensuite un simple prétexte pour faire tout autre chose dans l’épisode 3, à savoir la séance de spiritisme. Au-delà de ça, ils n’apporteront rien. Leur symbolique (ils sont une référence au Livre des Morts des Anciens Égyptiens) est abandonnée à elle-même et leur implication mise de côté promptement.
Et parlons-en, des vampires ! Puisque j’ai fait mon lit, autant que maintenant j’y pisse de trouille.
Après avoir hanté le premier épisode avec leurs dents, leurs dents et leurs dents, ainsi que bon ouais quelques kilomètres d’entrailles et litres de sang, mais surtout des dents, les voilà qui jouent à cache-cache pendant les épisodes suivants. Je crois bien que la semaine dernière, je n’en ai vu aucun. En tous cas ça ne m’évoque rien. MOI. Normalement, c’est le truc qui me traumatise pour des semaines ! Du coup je suis plutôt à l’aise avec mon choix de poursuivre la série en dépit de mes phobies des canines, vu le peu d’êtres de la nuit qu’on rencontre dans Penny Dreadful. Je ne vais pas dire que je suis déçue sur ce point, mais presque. C’est tordu, je le reconnais.
Ce n’est pas comme si les vampires avaient été remplacés par autre chose ; à l’instar de ce que certaines séries fantastiques font en variant les plaisirs, et les créatures effrayantes, afin de gagner du temps et/ou s’offrir des épisodes stand-alone.
Oh, le premier épisode a bien consacré quelques scènes (dont celle d’ouverture, quand même) à un atroce crime, mais il est désormais complètement oublié, en-dehors d’un flashback d’un personnage… et ce flashback a lieu lors d’une séquence qui n’a rien à voir avec le crime, et n’aboutit à aucune progression non plus. Jack l’Éventreur est-il de retour ? Si c’est le cas, il a la belle vie, parce que personne dans Penny Dreadful n’est après lui.
On peut imaginer que tout cela trouve une forme de réponse, si ce n’est une réponse définitive d’ici la fin de la saison. Ce serait la chose logique. Mais Penny Dreadful ne suit aucune forme de logique sur le plan de son intrigue. En fait, on en vient à douter régulièrement qu’il y ait une intrigue !
Cycliquement, je lève un sourcil circonspect et je me dis : bon sang, et si tout ça n’était que vent ? Si en fait, semaine après semaine, je me calais devant un magnifique clip d’ambiance ? C’est coûteux pour le genre, mais eh, c’est joli, alors d’accord.
Est-ce que je regarde une fiction, avec ce que cela inclut en termes de storytelling, ou s’agit-il simplement d’une video agréable à l’oeil ? Je me demande parfois si ce que je condamnais chez True Blood n’est pas précisément ce que je regarde dans Penny Dreadful depuis 4 épisodes…
Alors pourquoi se caler dans un fauteuil religieusement devant chaque nouvel épisode, dans ce cas ? Avec une glace. Parce que Penny Dreadful fait un très bon travail avec ses personnages. C’est ça qui est rageant : dramatiquement, la série a d’excellents moments !
En fait chaque épisode se fait une règle d’aborder un ou deux personnages différents du précédents, d’explorer leur background, leurs angoisses, leurs intentions, leurs mensonges. C’est d’autant plus un travail fascinant que le cast est finalement assez réduit (cinq personnages principaux, comme vous le voyez ci-dessus, mais avec la tentation régulière d’élargir ces explorations aux personnages secondaires). Ça provoque, certes, le sentiment que Penny Dreadful est très inégal ; jusqu’à ce qu’on réalise que l’absence quasi-totale (voire totale, dans le cas de Dorian Gray) de quelqu’un dans un épisode permet au contraire d’intégrer des respirations. Si dans l’épisode précédent ou l’épisode suivant, un personnage doit goulûment occuper toute la place, il va se faire petit lors d’un autre.
Le jeu en vaut la chandelle car l’approfondissement de la plupart des protagonistes étudiés jusqu’à présent donne d’excellents résultats, même si structurellement ça provoque ces grands déséquilibres.
Résultat : une fois par épisode, je suis absolument sous le charme d’un personnage, de la poésie tragique de son histoire et de la candeur qui l’anime malgré tout, comme en dépit du bon sens. Impossible de ne pas aimer avec la même passion qu’ils nous ont écœuré les personnages de Proteus, Victor Frankenstein, et même Vanessa Ives, dont l’omniprésence pourrait sembler irritante et qui en fait ne se révèle intimement à nous que de façon rare et fragile. Mais c’est clair que les réalisateurs sont obsédés par elle, un peu de la même façon que les scénaristes de How I met your mother avaient du mal à prendre du recul avec Robin. Il reste encore des zones d’ombres, et des personnages sous-exploités (oh Sembene, auras-tu une ligne de dialogue un jour ? ou au moins une scène rien qu’à toi ?), mais globalement ça fonctionne très bien.
C’est comme si, à chaque épisode, les scénaristes se donnaient le choix entre approfondir leur mythologie narrative ou exposer un personnage… et finissaient par choisir de nous montrer ce qui anime un protagoniste. Cette scène de Proteus et Victor au marché, ou cette séquence au théâtre dans le dernier épisode, je m’en remets pas.
Il brille énormément d’humanité dans ces portraits, et sur une grande variété de tons, de la beauté simple de l’apprentissage à la douleur de la solitude, en passant par la culpabilité malsaine. En allant aussi loin dans la dissection de ses personnages, de leur âme, Penny Dreadful fait un excellent travail dramatique qui, même s’il passe par une esthétisation systématique qui donne parfois un fini trop léché (comme la douloureuse oisiveté de Dorian Gray), touche quelque chose d’émouvant voire profond.
Quand Ethan Chandler nous dit dans le dernier épisode en date qu’il craint plus ce que la petite compagnie abrite comme tourments, que les monstres du dehors, il ne fait que mettre en lumière le discours de Penny Dreadful sur chacun de ses protagonistes, et si le thème est loin d’être original, il a le mérite d’être parfaitement exploité.
Mais dans ce cas à quoi bon introduire des axes comme celui des vampires, des hiéroglyphes, de la religion, du Diable ou encore des possessions, si c’est pour partir dans une autre toute autre direction ? Autant s’épargner d’ajouter des couches à l’intrigues et admettre une bonne fois pour toute de réaliser des portraits à l’envi.
La démarche de Penny Dreadful est décevante pour une série qui n’a au départ aucune garantie de vivre au-delà de son huitième épisode, et qui a tant introduit au départ. Mais le résultat reste profondément appréciable à mes yeux (en-dehors de la dernière scène de l’épisode dimanche) sur un plan dramatique.
Du coup, je vais aller au bout de la saison, contrairement à mes prédictions initiales dans ma review du pilote. Mais plus pour les raisons pour lesquelles j’ai initialement décidé de tenter le coup, et avec le sentiment que Penny Dreadful manque quand même d’ambition…