« J’ai 712 séries en retard sur BetaSeries ! »
« Pendant les vacances je vais rattraper mon retard. »
« Trop de séries ! Je suis en retard sur tout en ce moment ! »
« Moi pour ne pas prendre de retard, je me suis fait un planning. »
Si ces phrases vous sont familières, ce n’est pas un hasard : le concept de retard est désormais omniprésent dans nos conversations téléphagiques. Il semble en fait impossible de regarder une série sans introduire la notion de « retard », un facteur sans aucun doute accentué par certains acteurs du marché télévisuel (qu’on ne citera pas !) et qui font leur beurre sur la notion d’évènement. Mais d’une façon générale, tout le monde est un peu coupable de cette tendance, y compris à la télévision dite traditionnelle où on a vu la résurgence des event series et tutti quanti.
Ce n’est pas simplement qu’une série doit être vue : elle doit l’être maintenant.
C’est peut-être vital pour les diffuseurs, mais ça l’est bien moins pour le téléphage. En fait c’est même le comble de l’absurde, à une époque où nous nous dépendons si peu d’eux pour regarder des séries. Dans toute l’histoire de la télévision, les spectateurs n’ont jamais été aussi libres de regarder ce qu’ils veulent, quand ils le veulent.
Alors pourquoi cet empressement permanent ? Pourquoi avoir toujours l’impression de courir contre la montre ?
Paradoxalement, c’est justement ma pratique du marathon qui m’a permis de prendre mes distances avec cette fameuse notion de retard. Allez, paragraphe d’anecdote personnelle.
En 2015, pour la première fois, j’ai regardé plus de séries sous la forme de marathons qu’en les suivant de façon hebdomadaire. Je sentais depuis un ou deux ans déjà que je commençais à préférer ce mode de visionnage, mais l’an dernier c’est devenu non seulement une préférence, mais un style de vie. En-dehors de quelques séries (le plus souvent des nouveautés, c’est-à-dire si on veut être sincère : généralement des fictions ne me laissant pas le choix), j’ai regardé énormément de saisons entières une fois leur diffusion intégralement finie.
C’est-à-dire que de plus en plus, mon modus operandi est de regarder le premier épisode d’une série que nous nommerons Aa (que je classerai sous le tag pilote), peut-être le second épisode la semaine suivante pour confirmer ou infirmer mon opinion, et ensuite je mets tout ça en pause pour plusieurs semaines ou mois. Pour l’essentiel inconscient, le « système » me permet dans l’intervalle de continuer de découvrir des pilotes d’un peu partout (exercice qui continue d’avoir ma préférence), comme par exemple celui de ZYX, ainsi que d’insérer des visionnages (ou revisionnages) de saisons déjà achevées. Je reviens ensuite à la série Aa pour un marathon satisfait de la totalité des épisodes d’une, ou de plusieurs de ses saisons, en attendant que la saison de ZYX soit entièrement diffusée. Et ainsi de suite.
De mon point de vue, ce roulement permet plusieurs choses. D’abord le mode de visionnage en intégrale est, ironiquement, plus flexible : si un soir j’ai envie de regarder deux ou trois épisodes, rien pour m’arrêter. Si en revanche je n’ai pas de temps (ou un visionnage différent de prévu, par exemple si un pilote que j’attendais de pied ferme vient de sortir), je me sens entièrement libre d’adapter mon visionnage. Alors certes, dans certains cas, ça peut vouloir dire regarder toute une saison en 4 jours (c’était encore le cas de Kounodori la semaine dernière, testée un lundi soir totalement par hasard, et finie le vendredi soir suivant)… mais ça peut aussi vouloir dire que j’ai tout mon temps et que je vais regarder la saison 2 de Continuum en un peu plus de 2 semaines. Elles ont quasiment le même nombre d’épisodes pourtant. Avec certaines séries je vais instaurer un rituel : au moment du dîner, ou juste avant d’aller dormir. Avec d’autres l’enthousiasme sera tel que je vais regarder un épisode sitôt rentrée chez moi, jusqu’au moment d’aller dormir, puis le lendemain matin avant de partir. Vous savez ce que c’est. Ce n’est pas à proprement parler un binge watch (le terme impliquerait de s’enfiler tous les épisodes sans interruption, à l’exclusion éventuellement d’une pause pipi, et encore, seulement si on n’a pas d’ordinateur portable). C’est le marathon tel qu’il se pratique depuis des temps immémoriaux ou, au moins, depuis l’avènement de la VHS.
C’est bête et méchant, mais pour moi, ça marche. Bien mieux que de me faire un planning et de réaliser qu’un pilote a ravi mon cœur et qu’il faut désormais l’intégrer à mon agenda. Et bien mieux que si subitement j’avais envie de revoir une « vieille » série, mais qu’un programme de visionnages plus rigide me pousse à sans cesse reporter mes plans.
Cela marche aussi pour moi, parce que, ma bonne dame, il n’y a plus de saisons. Pour quiconque suit désormais des séries dans 712 pays de la planète, il en sort de tous les côtés à longueur d’année, et se calquer sur les prétendues saisons à l’américaine (qui elles-mêmes ont bien évolué depuis que la midseason est au moins aussi prolifique en nouveautés, et qu’il y a de vraies saisons alternatives l’été) est devenu irréaliste. Repousser un marathon à l’été n’a plus de sens… puisqu’il n’y a plus de période de creux l’été. Ni l’hiver. Ni jamais. Il n’y a que moi, face à l’étendue infinie de possibilités, tout le temps. Rien qu’au Japon, il y a 4 saisons par an ! Il ne sert donc à rien de se promettre un marathon d’une série pour dans 6 mois, parce que dans 6 mois la question se reposera exactement dans les mêmes termes. Alors autant la regarder maintenant, cette série… pendant qu’une autre série progresse dans sa propre diffusion.
Et puis enfin, c’est aussi une excellente façon pour moi de faire le tri. Si, une fois la diffusion de la saison achevée, je ne suis plus motivée pour reprendre la série, eh bien les choses parlent d’elles-mêmes. J’apprécie de moins en moins que ce soit l’habitude qui me scotche à une série, plutôt que mon intérêt sincère pour ses personnages, son intrigue, son évolution. Si la seule raison de me mettre devant une série est, précisément, que sinon je vais être en retard sur sa diffusion, alors je n’ai pas de regret à avoir sur son abandon.
Toutes ces raisons, bien-sûr, me sont personnelles. Et on ne le répètera jamais assez : à l’heure où il est de plus en plus rare de trouver deux téléphages qui regardent exactement les mêmes séries au même moment, il n’y a pas de « bonne façon » de regarder des séries. Chacun fait comme il lui plaît, parce qu’on a les outils et la variété pour ça à présent. Le marathon n’est pas le diable incarné, il a de multiples bons côtés (on a déjà eu cette conversation !)… de la même façon qu’il n’est pas non plus obligatoire, et si vous préférez regarder vos séries de façon hebdomadaire, parce que vous êtes un puriste dans l’âme, parce que ça vous laisse du temps pour autre chose, parce que vous trouvez ça plus pratique, eh bien faites-vous plaisir. Et si vous n’avez pas une once de patience dans tout votre être, regardez la série dans les minutes qui suivent sa diffusion, si c’est ce qui vous chante ! Voire même, pendant ! Qui vous retient ? Mais personne ne vous force non plus.
Le fond du problème avec le concept de « retard » me semble être le suivant : comme souvent, pouvoir faire quelque chose et devoir le faire se confondent. Ce n’est pas parce que vous pouvez regarder immédiatement une série que vous devez le faire.
Certains argueront que les spoilers sont une raison de cette précipitation. Je n’y crois personnellement qu’à moitié.
Pendant l’année écoulée, comme je vous le disais, ma pratique du marathon a augmenté. Or je me suis aperçue qu’en-dehors de quelques séries (…honnêtement, toujours un peu les mêmes), le spoiler, vraiment, n’est pas une créature dangereuse qui nous guette à chaque recoin sombre d’internet.
Par exemple j’ai réalisé que les séries de Netflix, Amazon et compagnie, j’appréciais mieux de les regarder quand le gros du peloton était passé. Les heures/jours qui suivent la sortie d’une nouvelle série remplissent tellement ma timeline Twitter de compte-rendus de visionnages (« déjà 3 épisodes vus ! »/ »quelqu’un a vu l’épisode 7, IL FAUT QUE J’EN PARLE A QUELQU’UN ! ») que franchement, j’ai juste envie d’aller regarder autre chose. Je ne suis pas certaine qu’on puisse aborder une série « objectivement » dans pareilles conditions. Et puis, ensuite, les premiers articles arrivent, les think pieces, les gif… et le flot ne s’interrompt qu’à la prochaine série Netflix ou Amazon suivante, ou en tous cas, c’est ce à quoi ça ressemble.
Mais quand, pendant la seconde moitié du mois de décembre, j’ai fini par regarder Marvel’s Jessica Jones, avec « du retard » par rapport au reste de l’Humanité qui l’avait découverte en novembre (et avec ô combien d’appétit) comme Netflix l’a voulu, je me suis aperçue que je n’avais pourtant été spoilée sur rien. J’ai pu l’apprécier sans pression extérieure, sans ressentir le besoin de me hâter pour être au même rythme que tout le monde… et le résultat a été que je l’ai effectivement dévorée. Mais au moment qui m’arrangeait, au rythme qui me plaisait, et parce que j’en avais envie. Pas parce que tout le monde se précipitait. Ça a été une grande leçon pour moi, à un tel point que je me suis demandé si ça ne valait pas le coup de donner une seconde chance à sa grande sœur Daredevil, qui très rapidement m’avais saoulée. Peut-être parce que j’avais voulu me ruer dessus en même temps que tout le monde, et que je m’étais écœurée toute seule sans raison valable ? On ne saura jamais. En tous cas c’est peut-être à retenter à l’occasion, maintenant que le buzz s’est un peu calmé et que je peux venir à la série à tête reposée. Une chose est sûre, bien que convaincue initialement que je ne regarderai jamais plus Marvel’s Daredevil, bien que n’ayant jamais muté aucun hashtag de série, rien, eh bien je ne me suis pas pris l’ombre d’un spoiler. Je crois que j’ai lu un truc à propos de changements de costumes, mais ça doit être tout. Franchement, à moins de faire partie de fandoms peu scrupuleux (genre Moffat-related), le spoiler n’arrive quand même pas tous les quatre matins.
Alors la peur des spoilers ? C’est souvent de la parano.
Sans compter que je ne suis pas certaine de croire au concept de spoiler pour la majorité des sitcoms, qui comptent pourtant bel et bien parmi les séries sur lesquelles les téléphages d’aujourd’hui tentent de « rattraper leur retard ».
Il existe une autre raison, qui a trait au peer pressure, et qu’on n’a pas envie de trop évoquer parce qu’on préfère penser qu’on est des téléphages libres, et pas des numéros.
Mais honnêtement, si vous craignez de ne pas avoir vu une série « dans les temps » pour en parler avec d’autres téléphages, dans la vie de tous les jours ou sur les réseaux sociaux, eh bien… c’est aussi à cela que servent les reviews plus longues, après tout, et les commentaires qui (en tous cas c’est ce que dit la légende) permettent de parler d’une série des heures, des jours, des mois ou des années après sa diffusion. A ce qu’on m’a dit, en tous cas…!
Alors je voudrais finir sur quelques recommandations amicales, d’une téléphage à d’autres.
Si vous écrivez sur les séries, personne ne vous reprochera d’avoir pris du temps pour écrire sur la dernière nouveauté, ou d’être venu à une série avec des mois de retard. Vous êtes chez vous, écrivez au rythme qui vous chante. Et puis, au contraire, n’est-ce pas mieux de prendre le temps d’explorer les séries passées plutôt que de vivre uniquement dans le culte de l’immédiateté, comme si les séries étaient jetables ? La téléphagie n’a pas d’obligation de résultats immédiats, même quand vous avez un lectorat. Parlez et écrivez sur ce qui vous passionne maintenant, ce que vous avez envie furieusement de regarder, ce qui vous rend curieux de voir la suite non par obligation mais par intérêt sincère.
Plus largement, en tant que spectateurs, lâchez-vous un peu la grappe. Créez vos propres rendez-vous, vos propres traditions ; ne vous imposez pas un calendrier restrictif si vous ne vous y tenez que par sens du devoir ; bondissez sur un épisode non par peur du spoiler mais par envie ; autorisez-vous à interrompre un visionnage pour le reprendre lorsque vous serez plus motivé ; cessez de parler de « retard » et préférez assumer le fait que vous avez votre propre rythme, et qu’il est forcément bon puisqu’il est le vôtre.
Parce que, dans le fond, demandons-nous : que se passe-t-il en cas de « retard » ? Je ne connais aucune série qui s’autodétruise si elle n’a pas été vue dans les 48h suivant sa diffusion ou mise en ligne. Ce serait un concept, remarquez… mais les évolutions de la VOD et de la catch-up vont plutôt dans l’autre sens ; dormez donc sur vos deux oreilles, amis lapins blancs !
Vous pouvez toujours y revenir plus tard : dans une semaine, dans un mois, dans un an, dans une décennie. La seule personne que ça inquiète, c’est vous ; assurez-vous que c’est pour une raison valable ! Si vous n’avez pas eu le temps tout de suite, vous l’aurez plus tard ; si vous finissez par ne jamais le prendre, c’est que finalement cette série ne comptait pas tant que ça par rapport à d’autres. Le « retard » est peut-être un signal que vous êtes passé à autre chose, ne serait-ce que temporairement. Est-ce que ça vaut la peine de se mettre la rate au court-bouillon pour si peu ? C’est au contraire si naturel que les goûts évoluent ! Et, ma foi, nos goûts n’évoluent pas toujours en rythme avec le calendrier des diffuseurs.
Se payer une suée parce qu’on a 712 épisodes de « retard » ne contribue pas forcément à l’épanouissement d’un loisir, et moins encore d’une passion. Créer de la frustration artificiellement n’a pas vraiment de bénéfice dans un domaine où on est supposé prendre du plaisir.
Et, rassurez-moi… on est tous là pour ça, non ?
Coucou =3
Vu que j’apprécie beaucoup le message de l’article, je me suis dit que j’allais venir parler de moi. Parce que tous les chemins mènent à moi et je soupçonne la personne qui a créé l’internet de ne l’avoir créé qu’avec l’espoir qu’un jour tous les posts, tous les sites, toutes les séries parleraient de moi, moi, MOI bordayl.
Okay, non, plus sérieusement, j’ai beaucoup aimé cet article parce que je pense qu’il parle à tous les téléphages et parce que j’ai eu un gros moment de saturation l’année dernière justement à cause de ce foutu complexe du lapin blanc. La raison pour laquelle j’ai laissé les dramas derrière moi en grande partie n’est pas juste une question de lassitude, c’est aussi parce qu’à cause de mes amies twitter avec lesquelles je voulais pouvoir causer -et le sujet est souvent: kdramas, kdramas, kdramas-, parce que je voulais aussi pouvoir alimenter mon blog en parlant un peu des actualités, eh bah j’ai saturé. C’est épuisant de faire de la télé, un truc qui devrait être un plaisir, un devoir au point de ne plus savoir si on apprécie ce qu’on regarde parce qu’on est tellement bloqués sur le fait qu’on *doit* regarder qu’on enregistre plus grand-chose d’autre. Enfin ça veut pas dire que j’ai pas vu de très bons trucs hein! Et parler aux autres de ce qu’on regarde c’est super hein, et, comme toi, je ne dis pas qu’il ne faut *pas* regarder en mode hebdo mais faut savoir le faire parce qu’on a envie en gros.
Et puis, comme toi, je trouve que la peur des spoilers c’est un peu de la paranoïa finalement. J’ai été spoilée sur certains trucs -genre sur Jessica Jones que je n’ai pas encore vu et c’est plutôt un gros spoiler- mais honnêtement c’est parce que j’étais allée là où il fallait pas hein! Mais pour peu qu’on aille pas cliquer sur « Game of Thrones: le comment du pourquoi il s’est passé cela », bah en fait cela s’évite bien. Après faut dire aussi que je suis pas à fond dans les réseaux sociaux non plus donc cela aide mais, tout de même, internet n’est pas une ville mal-famée dont chaque détour de ruelle cache un vilain spoiler prêt à t’égorger ton plaisir.
J’ai remarqué cela dit que ces derniers temps, j’étais en train de développer le même complexe de lapin à la con vis-à-vis des films.Et c’est probablement parce que maintenant c’est ce sur quoi je blogue en majeure partie. Du coup il me faut des nouveaux sujets et je sur-consomme et c’est débile parce que je ne me laisse pas le temps d’apprécier vraiment bien ce que je regarde. J’ai décidé de freiner mais tiens, rien qu’aujourd’hui, je me suis trouvée à plusieurs reprises à me dire « rah, je dois télécharger un truc pour ce soir, je ne peux pas continuer de revoir ma série, il faut que je regarde un film pour pouvoir en discuter! »… alors qu’en fait, bah, non, il *faut* pas. Donc j’ai rien télécharger, je vais regarder ma série bordayl, mais le réflexe est fermement ancré.
Bref je me suis un peu perdue dans mon commentaire mais c’était pour dire que cet article il est cool 😀