To the motherfucking blower-uppers

28 décembre 2016 à 18:04

Cette année il m’a fallu dire adieu à une série à laquelle j’étais très attachée. C’est que, House of Lies, c’était l’air de rien l’une de mes plus longues histoires téléphagiques de ces dernières années (c’est ça de regarder des séries non-américaines !). J’y ai toujours vu quelque chose qui semblait invisible à la plupart des autres téléphages (ou vice versa), et ça m’attriste de ne pas être capable de transmettre cela, de corriger sa « réputation », d’attirer l’attention sur ses qualités.
Tout cela est du passé de toute façon : House of Lies s’est achevée au printemps, partie sans trompettes ni tambours alors qu’elle méritait, à mon avis, un enterrement de première classe.
Le voici.

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Dans la review qui vient, je vais vous parler des saisons de House of Lies individuellement, ainsi que vous proposer un bilan de la série. Il va donc sans dire que, oui, l’article qui vient est bourré à craquer de spoilers, petits et grands. Poursuivez donc la lecture à vos risques et périls… mais continuez-la quand même ?

Dans les épisodes précédents

HouseofLies-300En saison 1, planquée derrière une attitude initiale trash, House of Lies avait révélé progressivement ses intentions cachées. Dommage pour ceux qui auront été rebutés trop tôt : la série dévoile comment on maintient son humanité dans un monde complètement décadent, que ce soit sur les questions très visibles des excès sexuels… ou de la finance.
En fait, surprise : on ne la maintient pas. Incapable de trouver un équilibre, Marty Kaan est victime de ses déformations professionnelles, il est capable de redresser fiscalement une entreprise mais s’enfonce dans la faillite morale. Il a tout à y perdre, y compris son fils unique Roscoe, qui en fin de saison 1 finit par claquer la porte, bientôt suivi par Jeremiah, le père plutôt cool sur lequel il s’était si longtemps déchargé de certaines de ses responsabilités. Dans le chaos, Marty a même perdu la seule relation depuis longtemps à exiger un peu de franchise de lui, avec l’incroyable April. Et il n’est pas le seul à avoir tout fait capoter : Jeannie, après avoir couché avec son patron pour obtenir de l’avancement, s’est enfoncée dans une spirale autodestructrice similaire.

Le problème que décrit House of Lies, c’est comment l’absence de valeurs d’un monde professionnel sans foi ni loi conduit les acteurs principaux de son système (des consultants dont le cœur de métier est de faire du chiffre à partir de rien) à se perdre eux-mêmes. Une démonstration des bienfaits du capitalisme par l’exploration des recoins de l’âme de ceux qui font perdurer le système, en somme.

Eh bien au-delà de sa saison inaugurale, House of Lies va poursuivre dans cette voie, et va en détailler plus encore l’exploration. Avec des variations, bien-sûr, en particulier en matière de ton. Mais en conservant cet objectif tout de même.

Éclatement de la bulle morale

houseoflies-aquarium-300En saison 2, on débarque ainsi dans la saison du ras-le-bol. Celui-ci se matérialise alors que la firme de consultants où travaillent Marty (et les employés de son pod) est récupérée pour être redressée après les affaires de harcèlement sexuel de l’année passée. Pourtant, avec cette nouvelle patronne à sa tête, la firme est loin d’opérer de façon tellement plus saine. Il apparaît progressivement qu’une fois de plus, il ne s’agissait que de changements de façade, juste propres à remettre la réputation des consultants sur les rails, mais sans rien rien modifier des véritables dysfonctionnements (ou quand les consultants appliquent leurs méthodes à leur propre firme).
Marty sature très vite, et le dernier bout de la saison va être un compte à rebours vers l’inévitable, alors qu’il décide de prendre ses clics et ses claques pour se barrer… Mais comment ?

Le ras-le-bol de Marty ne se limite pas à des questions hiérarchiques : il est par exemple excédé par l’ambition de Clyde, dont les dents ont toujours rayé le parquet mais qui semble juste un peu plus difficile à canaliser que précédemment. Sûrement parce que Clyde est un fin observateur, et qu’il a remarqué que Jeannie et Marty s’étaient passablement rapprochés depuis la fin de la saison 1 ; la jeune femme, elle-même ambitieuse mais toujours plus facilement considérée comme la seconde personnalité de l’équipe, lui fait donc de l’ombre. Clyde va tenter d’exister, y compris en envisageant de doubler Marty.
Dans ce paysage, Doug apparaît comme le maillon faible du pod, mais ça a un peu toujours été le cas vu sa naïveté. Il se rebiffera un peu lorsqu’il tombera amoureux d’une jeune femme bien sous tous rapports, Sarah, qui l’incitera à s’opposer aux moqueries dont il fait l’objet. Mais à part servir de faire-valoir, de comic relief et de déclencheur involontaire à des situations, Doug est assez inutile. Il faudra s’y faire. En revanche le ras-le-bol s’étend au jeune Roscoe, dont l’évolution, assez inédite pour un personnage adolescent, est parfaitement admirable. Il sera l’un des rares personnages à persister à mettre le nez de Marty dans sa propre merde, sans négliger de grandir en tant que personnage, notamment en interrogeant sans cesse plus les questions de genre.

Ce rapprochement entre Marty et Jeannie, House of Lies va énormément en jouer pendant cette deuxième saison, en décidant que Jeannie est tombée amoureuse de Marty. Alors, autant vous le dire tout de suite, je rigolais moins pendant les premiers épisodes de la saison. Qu’ils couchent ensemble à la fin de la saison 1, oui… ça avait même donné l’une de mes scènes favorites de l’univers entier. Mais des sentiments ?! On est où ici, dans The Good Wife ?!
Etrangement House of Lies parvient à se sortir de ce bourbier avec une relative d’élégance, en montrant une Jeannie qui elle-même est désemparée face à des émotions qui gênent sa performance. Pour quelqu’un qui s’était entièrement absorbée dans des objectifs professionnels, plus dure est la chute. Et dans le cadre de ce que raconte la série, cette idée récurrente de banqueroute morale en échange de la réussite financière, ça marche plutôt bien au final, même si ça traine parfois (surtout en début de saison).

La saison 2 de House of Lies n’arrête pas là ses travaux, toutefois. Elle continue de s’en prendre au système capitaliste, par le truchement du pod, dans des intrigues en apparence secondaires mais autrement plus acides.
Le point d’orgue est atteint au moment où Marty est ramené à son statut racial à deux reprises. House of Lies avait pendant la saison précédente évité, dans l’ensemble, d’interroger le fait que Marty soit le seul homme de couleur de la série, et par extension de son univers professionnel. En-dehors d’une blague par-ci par-là (chez les Mormons par exemple), la saison 1 n’avait clairement pas envie de s’aventurer sur le terrain. Là, c’est l’inverse : c’est comme si House of Lies avait lu Ta-Nehisi Coates pendant son hiatus ; en même temps la critique a besoin d’être faite.
Poussé dans ses retranchements parce que pour le moment il persiste à faire ce type de choix (son ras-le-bol ne lui fait pas remettre en question son job, seulement pour qui il le pratique), Marty se voit contraint à adopter la position de « traitre » afin de pouvoir s’extirper des limites imposées par le monde de la haute finance. Le rôle que joue l’apparition (brutale) de son jeune frère n’est pas génial, mais a au moins le mérite de rappeler, par l’extrême inverse que Malcolm (il s’appelle Malcolm !) représente, qu’on n’a pas viré de bord idéologiquement du tout au tout. Il s’agit avant tout d’une question de survie pour Marty lorsqu’il est contraint d’affronter la question du racisme au sein de son univers friqué, et j’ai trouvé que dans l’ensemble, surtout vu le ton de la série, House of Lies ne s’en sortait pas si mal à se frotter à pareil thème.

On voudrait croire que cette deuxième saison réussit tout, mais ce n’est hélas pas possible. Persistent quelques maladresses, généralement quand la série s’aventure dans le domaine amoureux/sexuel ; ainsi personne ne croit réellement à la relation entre Marty et Tamara. Quant à Jeannie et son fabriquant de sex toys, ça se passera de commentaire de ma part. C’est assez faible mais cela accompagne aussi le changement de ton des autres intrigues : en ce qui concerne le trash, ou présumé tel, House of Lies essaie de suivre le modèle de sa première saison, mais le cœur n’y est plus. Elle a grandi.
House of Lies commence aussi, déjà, à piétiner en ce qui concerne le personnage de Monica, dont la série ne sait plus quoi faire. On a envie de croire… pourtant on ne croit pas spécialement à sa réorientation (au niveau de son style de vie, de sa vie amoureuse, de sa vie sexuelle, etc.). Quand bien même celle-ci a pu être en partie sincère, elle ne dure de toute façon pas. Avant la fin de la saison, Monica redevient la femme venimeuse et auto-destructrice de la saison précédente, celle qui pourrit la vie de Marty et par extension du pod. C’est vraiment regrettable lorsqu’on compare la façon dont Roscoe, lui, a tiré parti de la saison pour devenir un personnage solide, quand bien même il reste secondaire.

So many peas in a pod

houseoflies-boulier-300La saison 3 est celle du changement. Au propre comme au figuré : la série a changé de décor (Marty Kaan a sa propre compagnie de consulting), mais aussi d’esprit. Curieusement, l’arrivée de Marty au sommet de la pyramide alimentaire (il n’a désormais plus vraiment de supérieure hiérarchique) conduit à un retrait de ce personnage dans les intrigues. A plusieurs reprises, Marty apparaît comme en demi-teinte, ses intrigues personnelles ont moins de force. Un phénomène en grande partie dû au fait qu’il n’existe plus de tiraillement entre ce qu’il fait et ce qu’il pense.
Et si avoir sa propre société lui permettait d’enfin être en accord avec lui-même ? Spoiler alert : non, je vous rassure. Car House of Lies tient à rappeler que la racine du mal, ce n’est pas pour qui un consultant travaille, mais bien le travail qu’il fait.

Ce retrait partiel donne en tous cas au reste de la distribution des occasions de briller. Clyde a droit à sa toute première intrigue individuelle (en saison 2, ses envies d’émancipation étaient dépeintes à travers le prisme des dangers ainsi créés dans l’existence de Marty), par exemple. Les amours ridicules de Doug continuent à fournir toujours plus d’embarras de seconde main. On note aussi l’arrivée de beaucoup de nouveaux personnages, bien que quasiment tous les anciens restent (ô miracle, Monica aura même quelques excellents moments).
La grande gagnante de cette troisième saison est cependant, sans conteste, Jeannie, dont le personnage a évolué vers une personnalité féminine forte, mais pas surfaite, en position de pouvoir et n’hésitant plus à user de son autorité pour asseoir sa volonté. C’est tellement bon de la voir arrivée là, hissée au rang d’égale de Marty.

Cette année encore, House of Lies s’essaye encore au commentaire racial. Pas forcément avec autant de doigté qu’elle l’espère, mais en racontant quand même des choses vue rarement ailleurs sur la progression sociale des noirs. On est loin des passages de la saison précédente, qui pouvaient s’avérer forts thématiquement ET émotionnellement, mais le propos parvient à quelques reprises à aller sur un terrain intéressant.
On peut dire la même chose avec les questions de genre/sexualité exprimées par Roscoe. La série a clairement choisi de s’aventurer dans un thème qu’elle n’a pas le temps de vraiment maîtriser, mais qu’elle veut essayer d’aborder malgré tout, avec ses moyens parfois vacillants mais bien intentionnés. Ce qui rend le truc un peu lourd, c’est surtout que la relation entre Marty et Roscoe est perpétuellement arbitrée par le grand-père Jeremiah, ce qui conduit à un certain piétinement. En définitive, on pourrait dire qu’on en est exactement au même point qu’en saison 1, lorsque Marty essayait de se faire à l’idée que Roscoe était gender non-conforming, sauf que là c’est avec Lex, nouvelle fréquentation de son fils. House of Lies ne parvient pas à vraiment à choisir ce qu’elle veut dire, alors elle répète les mêmes choses, encore et toujours. Malgré tout, on n’enlèvera pas à House of Lies son enthousiasme à aller là où son sujet ne l’y forçait pas, d’autant que ce personnage d’ado queer est plutôt bien écrit et interprété. Reconnaissons toutefois, et je suis la première à le faire, qu’il manque quand même un engagement narratif (voire idéologique) de la part de la série pour en faire quelque chose de fort, dans un sens ou dans l’autre. Marty hésite perpétuellement entre respecter et railler, et même si maintenant il prend Roscoe au sérieux, il a du mal avec son petit ami trans comme s’il était revenu à la case départ. C’est un tantinet rageant.

Malgré tout, on sent que c’est un peu la saison de la sérénité pour House of Lies. Cela se ressent dans un ingrédient supposément essentiel, mais dont on se passe finalement si bien : le cul. C’est incroyable comme House of Lies s’est assagie ! J’ai envie de penser que c’est une leçon apprise grâce aux errements de la saison 2. La gratuité a presque totalement quitté le navire, et même quand le pod part en vadrouille comme avant, situation dont on sait qu’elle a le potentiel de se prêter à toutes sortes d’aventures sexuelles étranges, ce n’est clairement plus du tout le propos.
Cette sérénité, elle a un nom : relation stable. Bon, alors parlons franchement : ce ship Marty/Jeannie, je n’y étais pas favorable, moitié par préférence personnelle et moitié par principe (je suis anti-ship d’ordinaire, je ne comprends même pas vraiment le concept). Les tentatives de la saison 2, bien que pas toutes nécessairement ratées, m’avaient un peu laissée sur le carreau parfois. Mais avec la fin de cette saison 2, j’ai bien été obligée d’admettre que House of Lies tenait quelque chose qui fonctionnait enfin sur ce terrain. Pourquoi ? Parce que Marty s’est assagi et qu’à l’inverse Jeannie est plus sûre d’elle que jamais, et cela permet de sortir de la collection d’échecs individuels et de créer quelque chose de solide, quand bien même ce n’est pas facilement définissable. Il y a une séquence formidable de passage de relai du fameux regard brisant le quatrième mur qui, en outre, montre bien qu’en cédant de son pouvoir à Jeannie, Marty gagne en quiétude, ce qui assainit passablement la série. Ce qui fonctionne, c’est cette impression de confiance, de partenariat, qui ressort de plusieurs de leurs interactions, sans tout de suite aller chercher dans la romance simpliste.
Et comme cette saison de House of Lies donne dans la stratégie corporate plus que dans les deals négociés ou ratés, la série imbrique plus que jamais ces niveaux d’intrigues. La confiance personnelle qui se tisse est essentielle, elle n’est pas qu’une question d’argent ou d’ambition. On construit quelque chose qui doit durer. C’est un gros avantage que d’avoir créé, au propre comme au figuré, cette nouvelle structure professionnelle. C’est à ce degré, et ce degré seulement, que j’arrive à adhérer à l’histoire entre Jeannie et Marty.

House of Litchfield

houseoflies-execution-300Ah, mais cela ne pouvait durer ! Bien-sûr, House of Lies se dépêche de tout détruire. La saison 4 de House of Lies, c’est la saison de la haine, et pour un couple auquel je n’ai, au mieux, que partiellement adhéré, je me suis sentie meurtrie comme jamais par les tensions entre Marty et Jeannie. Putain, c’en est douloureux à observer tant c’est palpable, toute cette haine. Certains épisodes se montrent si étouffant qu’ils en deviennent difficiles à regarder d’une traite.
Et pourtant, en allant au choc frontal, House of Lies fait encore de gros progrès. Ses personnages s’en trouvent enrichis : la situation permet une prise de pouvoir de part de Jeannie comme jamais auparavant. Un pouvoir qu’elle revendique au lieu de le partager avec Marty ; elle va à la confrontation, n’hésite plus à lui tenir tête. Il y a des moments qui donnent l’impression que la grossesse de Jeannie est en train de transformer le personnage… et peut-être celle de Kristen Bell transforme-t-elle l’actrice, car elle-même est vraiment au sommet. Les premières saisons, c’était parfois un peu Veronica Mars: All Grown Up, mais là le personnage est divorcé définitivement de cet héritage. Elle n’est plus drôle et ne cherche plus à l’être, elle a acquis une gravité, une profondeur, une force, totalement inédites. Jeannie a évolué lentement vers cette explosion de potentiel et c’est magnifique de la voir sortir de l’ombre d’un homme qui certes, prend beaucoup de place dans sa vie pour plein de raisons, mais n’est plus autorisé à lui cacher le soleil. Bon sang que ce personnage fait plaisir à suivre pendant cette saison.

Si l’évolution de Jeannie est la plus impressionnante, elle n’empêche pas la maturation d’autres personnages. Bon alors, je vous rassure, Doug est encore et toujours totalement inutile, limité à un rôle strict de comic relief ridicule. C’est dommage mais à ce stade on n’a plus vraiment envie de s’en soucier de toute façon, j’ai fait le deuil de mes espoirs quant à Doug deux saisons plus tôt. En revanche, Clyde a vraiment pris de l’épaisseur cette saison et ça fait plaisir à voir. C’est une belle revanche sur les premières saisons. On peut aussi mentionner la crise d’adolescence de Roscoe, qui apporte des variations bienvenues dans les dynamiques établies.
Même l’utilisation de Monica prend du relief. Il y a très peu de sexe dans cette quatrième saison, et c’est tout justement ce qui rend les quelques scènes de hate sex entre Marty et Monica d’autant plus violentes. On ne joue plus la carte du trash, ni de l’humour. Tout ce qui transparaît, c’est le côté profondément toxique de leur relation ; celle-ci a toujours été dysfonctionnelle mais était traitée par House of Lies, jusqu’alors, comme assez inconséquente. Pas cette fois : on nous servira ainsi une scène assez terrible pendant laquelle Monica (toujours à la fois perverse et légèrement jalouse) imite méchamment Jeannie, et Marty s’écroule sur elle, plus vidé émotionnellement qu’autre chose. Que la relation longtemps dégradante entre les ex-époux Marty et Monica, qui plus est, serve autant de miroir à celle, devenue récemment haineuse, de Marty et Jeannie, est vraiment fin.

Ma seule véritable déception vient des désormais inoubliables regards que Marty adresse aux spectateurs.
Ils ont, à mes yeux, toujours eu beaucoup de sens et de poigne. Souvent silencieux, ils me renvoyaient à sa souffrance et, par la même occasion, à la mienne, aux contradictions qui tiraillent tellement qu’il n’y a rien à en dire, sinon les signaler avec désolation. Marty, sans cesse victime de paradoxes, de besoins contraires jamais satisfaits même dans l’excès, avait quelque chose de terrible à nous dire sur sa désolation intérieure. Alors que sa vie est, à nouveau, si terriblement en perdition, il semble pendant cette saison 4 nous adresser des regards un peu moins forts qu’au début de la série. Ceux qui nous sont plantés dans le cœur fonctionnent encore, toutefois, et on en a la preuve à plusieurs reprises, et plus que tout, en clôture de la saison, lorsqu’on assiste à son bonheur de courte durée (non ne nous lâche pas Marty, ça va aller ! enfin peut-être pas). Il faut dire que ces démolitions de quatrième mur au burin, on les vit aussi, parfois, avec Jeannie maintenant. C’est une expérience incroyablement riche, quand bien même sa signification change.

Pour finir, en ce qui concerne le monde professionnel, House of Lies a aussi fini sa crise de croissance. La série n’a plus vraiment envie de parler de la façon dont sont menés les contrats, on opère systématiquement un traveling arrière pour acquérir une vision d’ensemble des choses, et notamment de l’univers corporate, avec tout ce qu’il a d’ignoble. C’est la firme de Marty qui est désormais écorchée la plupart du temps, plus autant ses clients. Et même quand le pod se déplace c’est désormais lié à l’intrigue en cours, on atteint des sommets dans le domaine du feuilletonnant, que jamais House of Lies n’avait atteints jusqu’à cette saison 4.
Reste que ce n’est clairement pas le monde professionnel qui intéresse le plus la série pendant cette saison. Si pendant longtemps les affaires financières ont servi à la fois de déclencheur et de métaphore pour les personnages, House of Lies leur porte désormais un plus grand degré d’attention directement.

Viva la revolución

HouseofLies-HavanaNights-300Où l’on arrive, hélas, à regret, à la cinquième et dernière saison. Car il fallait bien que cela se produise…
D’emblée, House of Lies nous dit clairement à quelles conclusions elle est arrivée : dés le season premiere, Marty définit qui il est, et par-là même, ce qu’il veut. Il décide de se définir par la confrontation, et par ceux qui veulent le détruire. Pourtant cette déclaration d’intention va apparaître plus fragile qu’il n’y paraît ; prêt à partir en guerre, mais perdu, Marty va devoir remettre en question, enfin, ce qu’il a toujours tenu pour acquis… et qui a passé des saisons à le détruire.

Pour cela, House of Lies parvient entre autres à trouver le moyen de tourner l’un de ses défauts les plus durables en qualité : Monica, qui n’a jamais vraiment évolué depuis la saison 1 (en dépit des quelques faux-espoirs apportés en saison 2). Le personnage n’a jamais dépassé ses contradictions internes, mais c’est ce point d’ancrage qui permet de faire la comparaison avec l’évolution de Marty ; ce dernier n’est en effet plus aussi entièrement ambitieux, ou du moins, plus au même prix. Face à une Monica qui persiste à rester fidèle à l’esprit du monde des consultants, le contraste apparaît comme criant.

Et il l’est d’autant plus que les choses vont mieux entre Marty et Jeannie, et que la relation entre les deux personnages, assainie, permet de poser des questions intéressantes. House of Lies sait qu’elle est en fin de vie, et prépare lentement sa conclusion en utilisant Jeannie pour demander, de façon à la fois pragmatique et abstraite, vers quoi on se dirige. Une bonne partie de la saison est ainsi consacrée, parfois implicitement, mais très souvent bien explicitement, à l’interrogation sur le futur. Or, pour des consultants vivant en permanence dans le présent, l’avenir est normalement une notion très floue. Pendant plus de 4 saisons, il n’y avait pas d’horizon sinon le prochain marché, le prochain contrat, le prochain client, la prochaine acquisition. Les objectifs étaient simples : la confrontation, justement. Mais la confrontation n’est pas un plan.
Bien-sûr cela aide que la compagnie ne soit plus aussi centrale dans leur vie. Cela aide que, progressivement, le pod se détache, et que chacun commence à avoir des projets personnels (c’est ouvertement le cas de Clyde en politique). Cela aide, surtout que Marty et Jeannie aient réussi à trouver une dynamique autour de leur fille. Voir ces deux-là se lier autour de l’expérience de la parentalité, c’est très fort parce que jusque là pour l’un comme pour l’autre, l’expérience a été solitaire et souvent douloureuse, bien souvent teintée par cette fameuses tendance à aller à la confrontation (Marty face à Monica, mais aussi son père Jeremiah voire Roscoe lui-même, l’a prouvé depuis les débuts de la série).

Le déclencheur final, bien-sûr, c’est Cuba. Ce tournage à Cuba n’est pas qu’une carte postale, ou de l’esbroufe de la part de la série, mais une conclusion vibrante au propos qu’elle a tenu cinq saisons durant. Arrivé à Cuba, le pod est un peu au bout du bout : c’est à la fois le voyage ultime qui définira leur succès et leurs victoires… et le combat qui n’a pas à être mené. Dans ses décors naturels, House of Lies semble faire du tourisme, mais en fait ses personnages s’y ressourcent. Pour la première fois, voilà Marty qui observe un autre mode de vie ; il est venu là pour faire des affaires, et il y rencontre avant tout des gens. L’emploi de clichés sur le peuple pas très riche, mais vivant heureux, pourrait apparaître comme raciste, mais on n’est pas dans n’importe quelle contrée exotique ici : Cuba, c’est l’inverse de tout ce qu’incarne le pod. C’est l’anti-capitalisme. C’est une position politique avant tout (quand bien même, très commodément, House of Lies se garde bien d’en évoquer les recoins historiques et systémiques les plus sombres). Face à l’opposé inverse de ce qui a toujours été sa quête, Marty réévalue, pour la première fois, ses priorités.
L’important, conclut-il, ce n’est pas de réussir ni même de gagner. C’est même tout l’inverse.

Bien qu’un peu déstabilisante à certains égards, et sans nul doute beaucoup plus optimiste que je ne l’espérais vu le gouffre d’auto-destruction qui a longtemps caractérisé la série, la fin de House of Lies est magnifique. Elle est un ultime pied de nez au monde de la finance, du consulting, du corporate. Elle plante le dernier clou dans le cercueil du capitalisme tel qu’il a été décrit pendant 5 saisons, ses excès, ses dangers, son échec moral et humain. Ils sont descendus chaque fois plus bas dans l’estime d’eux-même au nom de la réussite, tout ça pourquoi ? Eh bien, Marty et Jeannie seront heureux lorsqu’ils auront tout lâché, et seulement alors. Pas juste ce contrat, mais ce mode de vie. Ils avaient choisi les mauvais critères de réussite.
Personne n’aurait imaginé qu’ils lâcheraient prise, et certainement pas moi (même si Jeannie donnait des signes de fatigue sur la fin, offrant d’ailleurs quelques performances apaisées à Kristen Bell). Mais si une chose pouvait accomplir pareil miracle, c’était bien une visite de l’un des derniers bastions communistes du monde.

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Ode au chaos personnel, au désir d’autodestruction, plus acéré que les dramas « sérieux » comme Mad Men qui tentent de le décrire posément, House of Lies est tumultueuse, bordélique, volontairement victime de ses excès. Parce que ce qu’elle décrit est précisément une culture de l’excès : le capitalisme, et un capitalisme effréné, amoral, survolté, qui a besoin de vivre du conflit, de la destruction, de l’auto-destruction. C’est ce qui l’anime. C’est ce dont le système se nourrit.

Le regard de House of Lies sur notre société, à travers la gangrène corporate, à travers ses consultants parasites, à travers ses excès d’argent, d’alcool, de sexe et bien plus, est de nous décrire comment ces manifestations d’une forme de débauche sont l’expression d’une culture toujours plus dévastatrice. Personne ne se sort gagnant du système capitaliste.
Ce n’est pas simplement que les « pauvres riches » souffrent aussi, c’est que le système se repaît de nos âmes sans distinction, quel que soit le rôle que nous y jouons. Si House of Lies parle de grandes fortunes et de hostile takeovers, plutôt que de pauvreté et de fins de mois difficiles, ce n’est pas uniquement par attrait du glamour, mais bien pour nous montrer à quel point tout est pourri à la racine. Il n’y a pas de vrai bénéficiaire parmi les individus, l’argent lui-même ne suffit pas à compenser tout ce que coûte le système capitalisme aux personnes. Le pire, c’est que s’ils ne détruisaient pas leur vie personnelle ainsi qu’eux-mêmes, les acteurs de l’univers financier ne réussiraient pas, paradoxalement.

Dans ce monde pervers, la réussite c’est la destruction. Le capitalisme c’est l’auto-destruction. Le cash ne rend cette réalité tolérable que si brièvement…

Tandis que je prenais des notes pour le premier épisode de la saison finale, ça m’a frappée : ces personnages vont me manquer. Déjà parce que les voir interagir est un régal de bout en bout, et je n’ai d’ailleurs pas encore salué l’impeccabilité des dialogues, qui bien que toujours dans la démesure, m’ont donné quelques unes des répliques que j’apprécie le plus ces dernières années. Le plus fou, c’est que les protagonistes de House of Lies ne sont pas écrits pour que je les aime (ce sont au contraire des salauds revendiqués de la pire espèce) ! Cela ne rend ce sentiment d’autant plus paradoxal.
Malgré tout, au long de 5 saisons de torture infligée au nom de la réussite, j’ai eu la sensation de les comprendre ; cette histoire de quatrième mur m’y a certainement encouragée, mais pas seulement. J’aime profondément House of Lies non pour ses manifestations trash, mais pour ce qu’elles racontent de nous en tant que société, et surtout en tant qu’individus dans cette société. Incapable de cesser de ressentir l’auto-destruction à leurs côtés, quand bien même je suis loin de réussir à me détruire avec autant de succès qu’eux, les personnages de House of Lies m’ont un peu servi de catharsis. Prise entre le vide de leur existence et la souffrance qu’ils éprouvent à ne pas savoir l’évacuer autrement qu’en le perpétuant, j’ai éprouvé devant cette dramédie excessive plus de choses, et de façon plus intime, que devant certaines séries mieux considérées.

Le pod va me manquer, c’est certain, mais je boirai encore longtemps et de bon cœur à la santé de ceux qui foutent leur vie en l’air en tentant à tout crin de la réussir, faute d’avoir choisi les bons critères pour le faire. Alors à votre santé. A notre santé… L’auto-destruction, ce n’est pas réservé à l’élite, après tout.
To the motherfucking blower-uppers.

par

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

3 commentaires

  1. maxwell39 dit :

    J’ai pas accroché au pilot mais aimant beaucoup les dramédies de Showtime, j’ai bien l’intention de lui donner une seconde chance et au moins de regarder la première partie de saison.
    Après, je garantis rien, Weeds, Tara, The Big C, Nurse Jackie sont des séries que j’adore mais qui ont toute un point commun , elles sont portées par des femmes (javais moyennement accroché à Californication).

    • ladyteruki dit :

      Kristen Bell devient l’une des valeurs sûres de la série. Elle est en retrait pendant environ une moitié de saison 1, et ensuite ça va crescendo. A mon avis, tu vas aimer cet aspect-là. Ce qui bloque souvent les gens, c’est plutôt le côté vulgaire, mais selon moi il contribue à dépeindre la vulgarité du milieu à plusieurs niveaux.

  2. maxwell39 dit :

    J’aime 2 Broke Girls et Two and a half men donc pour la vulgarité, je devrais gérer ^^ Je crois surtout que j’ai eu du mal avec le personnage de Don Cheadle, et puis, là où je me suis tout de suite attaché aux personnage des autres dramédies de la chaine, je ne me suis pas non plus senti intégrer à la bande de House of lies.

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