Ex-presse-ion

4 octobre 2019 à 19:49

Le journaliste Iván Rosa a été assassiné en 1998, et depuis ce sont 140 journalistes mexicains qui ont trouvé la mort (dont une bonne quarantaine sous la présidence actuelle). Un chiffre qui fait frémir, d’autant qu’il semble toujours très difficile d’obtenir des réponses claires sur ces meurtres, et plus complexe encore que des peines soient prononcées. Le tueur de Rosa, le garde du corps d’un homme politique du nom de Mueller, a eu beau avouer l’assassinat, 20 ans après la Justice n’a pas été rendue.

Le Frente Tijuana, un quotidien co-fondé par Iván Rosa ainsi que ses partenaires Antonio Borja et Frederica Almeida, couvre aujourd’hui l’actualité dans l’État de Baja California, avec les risques inhérents que cela comporte. Et que cela comporte d’autant plus que la campagne électorale bat son plein, et qu’un nouveau gouverneur est sur le point d’être élu.
Ce gouverneur, ce sera peut-être Eugenio Robles. Cet ancien ouvrier domine dans les sondages, à quelques jours du scrutin, et pourrait être le premier candidat travailliste à prendre la tête de la Baja California. La jeune blogueuse Gabriela Cisneros suit sa campagne, qui pour l’essentiel se déroule au sein du domicile de Robles lui-même ; elle a obtenu de l’accompagner tout au long de cette élection ; une couverture médiatique privilégiée où jusqu’à présent son seul soucis a été de se demander si « son » candidat pouvait être acheté.
Mais à Tijuana, aucune mission journalistique n’est jamais prévisible.

Tijuana est l’une de ces fictions austères sur le journalisme qu’on a le sentiment d’avoir beaucoup vues ces dernières années (je vous ai remis quelques liens ci-dessous venus des quatre coins de la planète), et en même temps pas assez. Evidemment, Tijuana s’attaque à un angle très particulier, s’inscrivant dans le contexte tristement spécifique du Mexique, en ajoutant une véritable menace physique au quotidien des journalistes qu’elle dépeint ; mais qu’on ne s’y trompe pas, ce n’est pas son unique sujet. Dés son premier épisode, la série est aussi très claire quand à ce qu’elle cherche à discuter des rapports entre journalistes et politiques.

Le premier épisode met principalement l’accent sur la relation ambiguë qu’entretient Gabriela avec le candidat travailliste Robles. Parce qu’elle publie ses articles de façon indépendante, et que lui-même, en un sens, est un indépendant, il y a une proximité évidente entre les deux ; toutefois cette proximité est relative : Robles reste un candidat, avec un agenda politique et des ambitions électorales. La vérité n’est pas son fond de commerce, quand bien même il se présente comme un candidat sincère, honnête, et issu du peuple. Gabriela a donc du mal à se situer : elle voudrait couvrir la campagne de Robles objectivement, mais elle porte aussi un intérêt certain à la personnalité de l’homme politique, dans lequel elle a placé des espoirs. Peut-être malgré elle, mais la voilà profondément inquiète lorsqu’elle apprend que Robles a planifié une réunion en secret avec les hommes d’affaires les plus importants de la Baja California. Pourquoi refuse-t-il de communiquer sur cette rencontre ? Est-il sur le point de se vendre en échange de leur soutien ? Quant à elle, pourquoi accepte-t-elle de garder l’échange confidentiel ? Est-ce uniquement pour en gagner l’accès exclusif ?
J’apprécie que Tijuana donne l’occasion de s’interroger sur l’objectivité, non parce que Gabriela peut être achetée mais simplement parce que le sujet qu’elle a choisi, elle s’y investit, tout simplement, et que par conséquence sa subjectivité entre en ligne de compte. C’est absolument fascinant ; pas à tout prix l’objet principal de Tijuana, surtout vu la suite des événements, mais une interrogation importante quand même.

La plupart des autres scènes de ce premier épisode de Tijuana se déroulent dans les locaux du Frente Tijuana. Vous vous souvenez ? Le journal co-créé par le défunt Iván Rosa. Bien qu’il ne soit à présent plus là, son héritage est entre de bonnes mains : Antonio Borja mène la publication d’une main de fer, aidé par Frederica Almeida, (l’ancienne compagne de Rosa et elle-même journaliste), son meilleur journaliste Lalo Ferrer, et leur photojournaliste Malu. Chacun a son style, mais tous tentent de faire honneur au défunt co-fondateur de leur publication. Le fils d’Antonio Borja, Andy, prépare d’ailleurs un documentaire sur son oncle Iván Rosa, qu’il n’a jamais vraiment connu et dont il réalise seulement maintenant, en réalité, qu’il ignore beaucoup à son sujet.
Tout ce petit monde planche sur l’actualité quotidienne de Tijuana. La politique n’en est qu’une partie (Malu est sur place lors de la découverte d’un véhicule transportant des migrants, par exemple), mais évidemment, si près de l’élection du gouverneur, elle occupe beaucoup la rédaction, notamment lorsqu’une source informe Lalo que le candidat du plus grand parti de Baja California est sur le point d’être remplacé…

Il ne semble se passer beaucoup de choses dans ce premier épisode ; en un sens c’est normal, pour un épisode d’exposition. Mais curieusement je n’ai pas eu le sentiment d’être submergée d’informations non plus ; au contraire Tijuana pousse plutôt ses spectateurs à capter le sous-texte des échanges, à prêter de l’attention aux silences, et donc à s’arrêter sur le ressenti de ses protagonistes. Avec ce que Tijuana met en place, il lui serait facile de verser dans la conspiration étouffante, mais ce n’est pas vraiment le cas ; à la place, la série veut impliquer ses spectateurs émotionnellement et intellectuellement dans ce qui se passe. Elle veut les mettre aux premières loges. Il y a quelque chose de plus désespéré que la moyenne dans sa démarche de parler d’une profession hautement dangereuse en lui faisant comprendre non seulement pourquoi elle l’est, mais ce qui peut pousser ces gens à tout de même risquer leur vie pour la pratiquer, avec les dilemmes que cela inclut.
Qu’est-ce qu’être journaliste, et surtout, qu’est-ce qu’être journaliste dans l’un des pays les plus dangereux pour cette profession ? Tijuana tente d’apporter sa réponse, lentement.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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