Le bon plaisir du Prince

29 mai 2024 à 18:15

En 1608, le royaume hongrois de jadis vit dans la division. Des guerres sanglantes pendant le 16e siècle ont conduit à l’émergence de trois territoires distincts : à l’Ouest, les terres absorbées par les Habsburg ; au centre, les nouvelles frontières de l’empire ottoman ; l’Est, en revanche, a réussi à maintenir une indépendance relative. C’est la Principauté de Transylvanie qui maintient une identité hongroise, bien que soumise au sultan. A la tête de ce fragile état bloqué entre deux royaumes influents se trouve le tout jeune Prince Gábor Báthory
Báthory ? Báthory… Voyons voir, Báthory en Transylvanie… ça me dit quelque chose ? Oh bof, ce n’est sans doute pas important.

Tündérkert est une série hongroise, donc (car, spoiler alert : à un moment, la Hongrie existera à nouveau !), promue à l’international sous le titre Fairy Garden. Une appellation qui me laissait imaginer un ton très différent de ce que j’ai pu voir dans ce premier épisode ! Il n’y a, en fait, rien de magique ou de fantastique ici : on s’attache au contraire à parler du règne de Gábor Báthory, et je vous prie de me croire, ce n’est pas un conte de fées.

Un an après son mariage, après une campagne qui lui a permis de trouver la victoire et asseoir son statut dans la région, le jeune Prince Gábor revient en son palais de la Principauté et célèbre son influence dans la région.
Par un traité avec l’empire ottoman, il a assuré la protection mais aussi la (relative) indépendance du peuple hongrois qui lui est reconnaissant, mais… ce succès reste insuffisant. En effet, malgré ses victoires, il est peu populaire auprès d’un certain nombre de nobles. Ceux-ci considèrent que le Prince a été mis sur le trône uniquement grâce à l’influence du capitaine Gábor Bethlen, mais n’a aucun mérite en propre.
Une certaine stabilité ayant été obtenue par le biais du traité avec le sultan, c’est donc le moment pour le Prince de dresser l’inventaire de ses alliés et de ses ennemis dans ses propres rangs. Pendant la fête célébrant ses faits d’armes et son retour, le jeune Báthory découvre ainsi qu’un poème moqueur circule à son propos ; il pense que c’est l’un des riches nobles de la famille Bánffy qui en est à l’origine, et qui d’ailleurs ne s’est pas présenté aux célébrations. Il se jure de régler le problème et pour cela, il fait appel à des hajdúk, qu’il traite comme des mercenaires et auxquels il promet les richesses des Bánffy en échange d’une petite aide pour exécuter l’odieux poète…

Le premier épisode de Tündérkert, s’il reconnaît l’importance historique du Prince Gábor Báthory et aime à en répéter l’importance vitale pour le peuple hongrois, n’éprouve aucune affection pour lui.
Par moments, elle confesse qu’il s’agit d’un gringalet colérique et détestable, qui ne se rachète que par sa tendresse envers sa soeur Anna Báthory (…dont toute la Principauté est convaincue qu’il couche avec) et dans une moindre mesure, sa loyauté envers sa tante Erzsebet Báthory. Aaaaah, je me disais aussi ! La série évoque d’ailleurs quelques, hm, rumeurs au sujet de celle-ci, sans en confirmer l’exactitude. Si Tündérkert ne donne pas dans le fantastique avec elle, alors la série ne le fera jamais. A part à son bras droit Bethlen, le Prince n’accorde aucune considération à qui que ce soit d’autre, comme le parfait adolescent ingrat qu’il est. Même à son chancelier, János Imreffy, il n’offre que du mépris, en particulier lorsqu’il saute sa femme dans tous les coins de la Principauté, venant même jusqu’à la tirer de son lit conjugal ! Cela, bien que son épouse la reine, la très pieuse Anna Palotsai, que depuis un an il n’a toujours pas touchée, l’attende dans ses appartements… Clairement, le Prince n’en fait qu’à sa tête. Ce ne saurait être très bon pour lui.
En parallèle, Gábor Báthory est affligé par une peur dévorante, probablement due aux circonstances de son accession à son trône, mais aussi à son âge : il est terrifié par tout ce qui pourrait menacer son autorité (d’où la colère que suscite le poème). Cette terreur s’étend même au médaillon ancestral que les Báthory se transmettent depuis des siècles, à propos duquel il fait des cauchemars. Il craint qu’il ne présage d’une menace; qu’il croit déceler partout.
Tous ces ingrédients sont non pas construits pour suggérer des éléments fantastiques, mais pour montrer combien l’immaturité du roi, sa façon de se mettre tout le monde à dos parce qu’il pense que l’autorité due à son rang devrait suffire, ses angoisses plus ou moins fondées, ou ses décisions impulsives, peuvent semer le trouble.

…Vous serez en effet surprise d’apprendre qu’assurer l’indépendance d’une partie de la Hongrie n’empêche pas certaines personnes à la cour d’éprouver du ressentiment ! Etonnant, n’est-ce pas ? Et ce sont les graines que le premier épisode de Tündérkert est en train de semer, patiemment. Après avoir mis en place, parfois sans avoir l’air d’y toucher, les causes, la fin de l’épisode s’arrête sur les conséquences qui vont mettre le jeune Prince face à ses responsabilités.

Tündérkert est une saga historique qui se veut mature : il y a un peu de sexe, un peu de sang… La réalisation reste toutefois plutôt sage et essaye dans la mesure du possible de se concentrer sur la teneur historique et dramatique de son intrigue, évitant autant que possible le raccolage à la Game of Thrones. Il est difficile d’ignorer que c’est quand même l’une des influences de la série, si ce n’est pour son contenu, au moins pour l’espace télévisuel dans lequel elle essaie de se glisser ; mais ce n’est pas la seule influence, fort heureusement.
Toutefois, une partie de cette intention de maturité sonne à l’occasion un peu creux : Tündérkert semble parfois souffrir de ses hésitations à s’engager sur ce qu’elle dépeint. Des hésitations peut-être mues par une fibre patriotique qui l’empêche de vraiment présenter les événements sous un jour négatif, ou peut-être dont la raison d’être est tout simplement que ce premier épisode n’est bien-sûr qu’un tour de chauffe. Reste que le premier épisode, par moments, donne l’impression de se retenir de s’engager totalement. Comme si, craignant d’être trop graphique, la série s’était dans le même temps abstenue de faire ou dire quoi que ce soit de trop clivant sur le fond aussi. Après, dans la Hongrie d’Orbán, une position franchement critique envers le « Prince défenseur de la Hongrie divisée et assaillie » pourrait être difficile à tenir, effectivement…

Si comme moi vous ne connaissez pas très bien cette page de l’Histoire hongroise, Tündérkert peut être une expérience intéressante. Outre les événements décrits, il faut dire combien les costumes sont réussis, et dans une certaines mesure les décors aussi ; l’intrigue se déroule à la sortie de l’ère médiévale et c’est vraiment bien fait. D’ailleurs même au niveau du matériel promotionnel, un véritable effort a été produit pour créer une oeuvre attrayante ; les profils des différentes protagonistes sont magnifiques. Esthétiquement, on n’a pas des moyens astronomiques, mais la série se tient vraiment bien.
Comme vous le savez, je ne suis que modérément intéressée par la fiction historique en général, mais si c’est votre tasse de thé en général, alors le cas particulier de Tündérkert devrait vous plaire !


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