Ils ne reviennent jamais

3 octobre 2004 à 7:49

J’étais en train de repenser à toutes les personnes qui ont disparu de ma vie. Et elles sont nombreuses.

Pourtant, pas une n’est morte (enfin, je ne crois pas). Mais elles s’en vont et ne reviennent jamais. Et bien-sûr, ne font jamais mentir le proverbe qui énonce, sententieux, que « ce sont toujours les meilleurs qui partent en premier ».

Je n’ai jamais eu à affronter la mort d’un proche. Il faut dire que je ne connais pas la moitié de ma famille. La moitié ? Les bons trois quart ! Mes parents ont eux-mêmes fait un sacré tri dans leurs relations. Mon père s’est fâché avec tous ses frères et soeurs. C’est une prouesse, quelque part : sur 3 frères et soeurs si différents de lui, il n’a pas réussi à s’entendre avec ne serait-ce un seul d’entre eux ! Quant à ma mère, elle est fille unique, et de toutes façons, sa vie sociale et familiale s’est complètement faite phagocyter par celle de son époux. En prenant son nom, elle a oublié les siens. Elle laisse à sa propre mère l’honneur de partir à la recherche de nouvelles à sa place. Non qu’elle se soit fâchée du moins, il ne me semble pas, mais… c’est une sorte de fénéantise.

Donc, je n’ai jamais expérimenté la perte d’un membre de ma famille. Certaines personnes s’en sont étonnées : normalement, même s’il s’agit d’une lointaine tante ou d’un cousin non germain, on a tous connu ça au moins une fois. Eh bien, non, pas moi.

Mais j’ai souvent eu l’impression de vivre des pertes tout aussi douloureuses. La perte de quelqu’un qui n’est pas due à la mort est encore plus douloureuse : elle est voulue. C’est pire. Et en général, ps par vous. Mais même quand c’est le cas, ça fait mal. C’est pas dingue, ça ?

Une chose que j’ai apprise, cependant : une fois que vous les laissez partir, ils ne reviennent jamais. Quoi que vous fassiez, ils ne reviennent jamais. Parfois vous arrivez à avoir une conversation ou deux avec eux, au téléphone ou en live, parfois vous regardez le calendrier en vous disant que c’est son anniversaire et que ça fait 10 ans que vous ne le lui avez pas fêté.

Au départ, celle qui s’éloignait, c’était moi. Mes parents nous ont tant fait déménager quand j’étais petite ! Longtemps, mes amis ont été rares, ou très envahissants parce qu’unefois que j’en avais un ou deux, je les laissais m’accaparer et prendre toute la place. C’était tellement rare que je ne faisais pas la part des choses !

Et puis, quand enfin nous avons emménagé dans notre maison (comment puis-je dire « notre » ??? Je n’y ai pas posé les pieds depuis près de six mois et n’y retournerai plus jamais), la tendance s’est inversée et ce sont les autres qui ont pris le soin de disparaître de ma vie. Mon Dieu, quand je fais le compte : Sophie, Géraldine, Dao, Arnaud… et tous les autres, les un peu moins vitaux, ceux qui étaient vraiment de bons compagnons de route mais qui, quand je regarde en arrière, ne pouvaient pas tenir le cap, n’étaient pas taillés pour.

Il y a quelques mois, c’était à nouveau mon tour de laisser quelqu’un derrière moi, et la blessure est encore fraîche. On ne quitte pas ses parents de gaîté de coeur : on le fait parce que rester fait encore plus mal. Et entre deux maux, toujours choisir le moindre, à moins d’être masochiste mais ce n’est pas le genre de la maison.

Et aucun n’a jamaisrien fait pour revenir. Ils s’attendent à ce que vous fassiez des pieds et des mains. Mais la douleur est telle que vous restez plantés là, en vous sentant impuissant (et sans jamais vérifier si c’est bien le cas).

Avec Lord T, je n’ai pas voulu baisser les bras. Et c’est pire encore. Cette fois j’ai l’impression de ne pas être capable d’empêcher la séparation. Il ne veut pas partir, mais il ne veut pas rester, non plus. Pas en l’état. Et c’est dans ces cas-là que je mets toute ma patience, toute ma compréhension, toute ma compassion, à trouver une solution. A prendre les choses paisiblement au lieu de hurler, de pleurer, de trépigner, de faire mille folies, de formuler mille menaces… ça demande tellement d’énergie d’être une personne digne. D’être une personne forte. De cultiver le petit lien qui reste et d’espérer que, non, pas cette fois, il ne partira pas, pas tout à fait, il s’éloignera, peut-être, mais restera dans ma vie.

Je me dis que si ce lien se casse, pas plus qu’un autre je ne pourrai le reconstruire, seule, de mes mains. C’est encore plus difficile avec quelqu’un qui est aussi émotionnellement anesthésié.

Mais comment accepter cela ? Ce n’est pas la faute à pas de chance, ce n’est pas tolérable, je ne peux plus laisser partir quelqu’un sans rien faire, les bras ballants, en pleurant. Je pouvais me permettre de faire ça quand j’étais môme, quelle serait mon excuse à présent ? Tant de gens que je voudrais avoir encore dans ma vie et que j’ai laissés partir…

Grandir, c’est ne pas laisser tomber devant l’adversité, n’est-ce pas ? C’est quitter ceux qui vous font mal depuis des années, et garder, dûssiez-vous vous briser les bras à force de tenir la corde, les gens que vous aimez auprès de vous. Non ? Ou est-ce le contraire ? Accepter de laisser partir les gens même si personne au monde ne pense que ce soit bien, juste parce que ça se produit, presque par hasard…?

Se laisser faire, se laisser oublier ? Ca semble impossible.

Et je ne peux pas admettre non plus d’être seule au monde. Qui admettrait une chose pareille ? Il ne me reste que lui, c’est lui qui me connaît le mieux au monde, et inversement. Si je laissais tomber pour lui, alors autant me laisser tomber moi-même. C’est le pire aveu d’échec, la pire remise en question qui soient, accepter que ce qu’il connaît vaut la peine d’être laissé derrière, accepter que ce que je connais n’a pas plus de valeur qu’un souvenir vague et lointain, et surtout, considérer que presque 5 ans de ma vie et de notre vie, peut s’engouffrer dans le néant sans rien dire.

Je suis sensée laisser faire ça ? Je suis sensée poursuivre seule, loin des gens qui me font du bien, poursuivie par les douleurs infligées par les autres ?

Qui fait ça ? Comment font les autres ?

Voilà, c’est le genre de questions qui empêchent un tantinet de dormir. Allez, cette fois il faut que j’y aille. Faut que je dorme. Mal barré pas vrai ?

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