Une colonne et demie

16 juin 2009 à 7:18

Je serais évidemment bien incapable de dire à quand tout cela remonte. Je sais juste que c’est une question récurrente chez moi. Quelque chose qui n’a jamais été résolu. Qui plane et qui revient régulièrement. La meilleure preuve c’est que je reviens dans ces colonnes sur le sujet, ne cessant de le tordre en tous sens sans réussir à y voir plus clair. Pourtant on peut se demander quelle pièce du puzzle me manque…

Je pourrais dire que tout a commencé lorsque j’ai fait mon alternance au sein d’un service de communication interne, et que j’ai commencé, sous le regard bienveillant de ma tutrice, à rédiger une brève pour le journal interne ici, une news pour l’intranet là. Elle m’avait emmenée à une formation qu’elle donnait à des communicants de la boîte sur les différentes façons de faire passer une info en interne. J’ai toujours le livret. J’apprenais à être assistante de direction, elle m’avait offert la possibilité de voir que je voulais plus. Je n’ai jamais oublié.

Je pourrais dire que ça vient de toutes ces années où j’ai écrit, encore et encore. J’étais adolescente et j’en avais besoin. A l’époque je connaissais l’équilibre entre écrire sur moi et écrire des fictions, chose que je réapprends aujourd’hui, lentement. Le poids de mes maux était trop lourd depuis quelques temps pour que je puisse les libérer dans une fiction qui ne serait pas moi. Pourtant. Deux saisons d’une série (aujourd’hui pitoyable à la lecture, mais c’est pas la question) écrites à partir de 14 ans. Le 3 septembre. Des nouvelles. D’autres choses. Plein. Partout. Tout le temps. Je n’ai jamais oublié.

Je pourrais dire que ça vient de la 5e, quand on nous a donné une rédaction à faire et que j’ai écrit l’histoire d’un VRP en aspirateurs qui se pointe chez une vieille dame et qui à sa grande surprise s’en fait refouler sans rien comprendre. Parce que ma prof de français à l’époque m’avait mis un beau 18 et qu’elle avait souligné que j’avais fait des métaphores bibliques filées tout au long de la rédaction. Je n’ai jamais oublié.

Je pourrais dire que ça vient de l’école primaire, quand mon maître, cet homme qui avait la voix de Patrick McGoohan, me disait que j’étais une Victor Hugo. J’avais moins de 10 ans mais ça s’est toujours imprimé en moi : être Victor Hugo ou rien. C’était tellement splendide d’être comparée à celui qui à l’époque représentait ce qu’il y avait de meilleur en l’homme à mes yeux. La douleur, la poésie, l’engagement politique, le don. Je n’ai jamais oublié.

Je pourrais même dire que ça vient des premiers mots que j’ai lus. J’ai lu un peu plus tôt que prévu. J’ai sauté une classe. J’y ai été quasiment en tête (toujours seconde derrière Anne). L’empreinte bleue, indélébile. Je n’ai jamais oublié.

Et puis, en regardant vers le présent, je pourrais dire que sans SeriesLive, sans Teruki Paradise, sans ladytelephagy, ça ne serait pas revenu, tout simplement.

Mais ce serait mentir. Ce serait mentir parce qu’en réalité chacun de ces éléments a tracé les contours de ce qui s’est révélé progressivement. Aujourd’hui qu’on me demande ce que je voudrais faire, au lieu que je me demande ce que je devrais faire, mon âme s’exhale de mon corps en un souffle et avec une voix brisée par la douleur de l’éloignement, comme quand on prononce le nom d’un mort qu’on n’a pas réussi à laisser partir, je dis comme une évidence : « écrire ».

Sauf que j’ai tellement peur d’écrire. Je le fais sans arrêt : à la maison, dans le train, au bureau, et même dans ma tête avant de dormir quand je m’appelle sur mon répondeur pour me dicter une phrase parfaite ; j’ai les mots, mais j’ai peur d’écrire pour de vrai. Ou pour de vrai à nouveau, peut-être. Qui suis-je pour écrire ?

Une fois de temps en temps… en fait pour être honnête, de plus en plus souvent… on me dit : « écris ! Tu le fais bien ! » Je voudrais croire aux mots des autres, mais je n’y arrive pas. Je me dis que leur échelle de valeur est forcément faussée pour en arriver à dire pareilles choses. Comme quand au collège, ma copine Sam trouvait que je dessinais bien. Je ne dessinais pas bien, juste mieux qu’elle, ça ne voulait pas dire grand’chose et ce n’était pas la peine de persister. J’étais limitée en dessin. Il me manquait l’étincelle qu’ont d’autres.
Est-ce qu’il est possible que cela se reproduise aujourd’hui avec l’écriture ? Quelques personnes me lisent et me disent que j’écris bien. Qu’est-ce que ça veut dire ? Pas grand’chose en définitive. Sur internet, c’est toujours facile d’être bon quand on voit comment y écrivent la plupart des gens… orthographe déplorable, langage SMS, structures de phrases boiteuses, non seulement il y en a à foison mais moi-même j’y sacrifie de temps à autres. Pas de quoi se vanter.

Et pourtant il y a mon âme qui semble s’envoler par ma bouche lorsque je réponds « écrire ». Et ça on ne peut pas le nier.

Souvent je me dis que je me berce d’illusions. Que mon métier actuel n’est tellement pas ce que je voudrais faire que je rêve à des talents que je n’ai pas. J’aurais voulu être une artiste.
Et parfois je me dis… je me dis qu’il y a des gens qui croient si fort en moi. Et que je me refuse à les croire. Pas parce qu’ils sont eux, ça n’a rien de personnel, juste parce qu’ils disent quelque chose que je ne parviens pas à entendre. Je le prends comme un compliment, ou parfois j’y détecte la marque de quelque chose de plus excessif, mais je n’y crois jamais vraiment.

Je voudrais être faite pour écrire, mais je ne m’en sens pas capable. Il faut juste se (re)lancer, pourtant. Comme dirait John Cage, il ne faut pas laisser le monde gagner.
Si seulement j’avais la force ! J’ai l’envie mais je manque terriblement de confiance en ma plume. J’ai un éclat de verre dans l’oeil et tout semble déformé. Ces derniers temps je me suis dit : prends-toi en main ! Une fois la titularisation passée, tu pourras t’abandonner à ton écriture. Et voir ce que tu as dans la cartouche. Peut-être que tu n’as pas ce qu’il faut. Peut-être que tu l’as perdu en route. Et peut-être, juste peut-être, peut-être que tu peux enfanter de la seule chose à laquelle tu as jamais voulu donner naissance. La seule chose que tu portes en toi, en gestation. Il est temps de pousser. La délivrance doit bien s’accomplir à un moment. Ce sera peut-être une horrible chose visqueuse et monstrueuse. Ce sera peut-être l’aventure de ta vie. Mais pousse, bon sang !

Le premier qui a cru en ma plume ? Je ne sais rien de lui. J’avais 20 ans. J’avais écrit à un magazine spécialisé. N’apparaissaient que mon prénom, la première lettre de mon nom de famille, et mon code postal d’alors. Il avait cherché mon adresse pour me dire que j’avais une bonne plume. Que je devrais être journaliste si ce n’était pas encore le cas. Que je devais cultiver ce don. J’ai longtemps gardé la lettre avec moi, jusqu’à ce que je perde mon sac à main.
Il avait signé M. MULLER, il n’a jamais été que M. MULLER pour moi. Mais je repense à lui souvent, je me promets de lui dédicacer toutes les feuilles du monde, de placarder son nom partout, M. MULLER, juste M. MULLER, l’inconnu qui le premier a lu en moi.
Il m’avait écrit une lettre, à moi, personne, une inconnue dans le courrier des lecteurs. Il m’avait encouragée. Je n’ai jamais oublié.

Pour une colonne et demie.

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3 commentaires

  1. LuK dit :

    Crois-moi, quand je te dis que tu as une belle plume, ce n’est pas par gentillesse, mais par pure honnêteté. Tu m’inspires !
    Tu utilises la ponctuation à merveille, tu trouves toujours de bonnes tournures de phrases, il y a du ton, une intonation perceptible dans chaque mot.

  2. Jérôme dit :

    Tu ne manques pas de talent, mais tu n’as que ça…

  3. Cédric dit :

    J’essaie de comprendre ce que dit ce « Jérôme » dans son commentaire, mais impossible.

    Son commentaire me fait l’effet d’être une bêtise insensée !

    Oui, tu as du talent, mais tu as aussi l’âme, entre autres.

    Bref, tu es très loin de n’avoir que du talent.

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