Comment on dit « remake » en Russe ?

12 septembre 2010 à 9:04

Vous n’avez pas flirté avec les abysses de la désolation tant que vous n’avez pas vu l’une de vos séries préférées être adaptée pour la télévision étrangère. C’est la conclusion de la semaine, vous pouvez rentrer chez vous, tout est dit.

Plus sérieusement, c’est aussi ça, ce tour du monde : voir qu’il y a des pays où la télévision n’est pas dans un meilleur état que ne l’est celle de la France ; des pays où l’on se cherche encore beaucoup, où l’on recycle ce qui fonctionne ailleurs par manque d’audace et/ou de moyens… De vous à moi, je ne pensais pas que la Russie serait ce pays. Oh, il y a du contenu inédit, mais il est en infime minorité parce que, quand on y pense, la télévision russe est encore jeune. C’est un peu ridicule comme idée, vu que les premières expérimentations ont eu lieu en 1931 dans ce pays, mais enfin, le contexte politique l’a si longtemps forcée à se cantonner à un certain modèle (et il ne devait pas y avoir grand monde pour avoir accès à ce qui se faisait ailleurs), que la télévision n’a commencé à se développer qu’il y a 20 ans.
Elle a un retard fou sur beaucoup de télévisions du monde, en fin de compte, la télé russe. Et quelque part, ça me la rend plus sympathique.

In Soviet Russia, TV watches you : la télévision russe pour les nuls

Mais revenons à ma complainte, parce que j’ai vécu l’expérience de l’intérieur : le remake russe, c’est bien… pour les autres. Mais voir le pilote de Maia Prekrasnaia Niania, c’est-à-dire la version russe d’Une Nounou d’Enfer, m’a tiré des larmes. On pense que voir la série doublée en allemand ou en italien est déjà difficile à surmonter… ah ah, à côté, ce n’était rien. Regarder ce remake était presque aussi douloureux que de regarder une série de la CW, pour vous donner une idée. Je l’ai fait par acquis de conscience, quasiment dans un but scientifique, pourrait-on dire… eh bien je suis dorénavant marquée à vie. Je ne souhaite ça à personne.
Le bon côté de l’expérience c’est que, même si mon russe est sacrément rouillé (j’ai des restes mais au bout de 10 ans sans pratiquer, ça vaut quand même pas grand’chose pour suivre une série !), j’ai pu comprendre les répliques en temps réel, sans décalage intellectuel du type « euh, qu’est-ce qu’elle a bien pu vouloir dire », parce qu’en l’occurrence, c’est une adaptation incroyablement littérale, et que c’est repris scène par scène. Le mauvais côté c’est qu’on n’en perçoit que de façon plus aiguë la moindre petite variation : Fran… pardon, Vicka… n’est plus juive mais ukrainienne, par exemple. Mais surtout, elle est tellement moins nuancée que Fran, tellement plus exubérante, tellement plus volubile, tellement moins… tellement pas Fran.
J’ai dit que je ne souhaitais cette expérience à personne ?
Accessoirement, j’ai jeté un œil aux versions argentines et chiliennes, c’est à peine mieux. Finalement, c’est plus douloureux encore de voir les libertés prises avec l’original… et quand il s’agit carrément de renier le générique, alors là, je vois rouge. Vous voulez voir le générique de Maia Prekrasnaia Niania ? Je peux, si vous voulez ; un mot de vous.

A l’inverse, Interny, comédie en single camera, reprend les ingrédients de Scrubs avec bien plus de subtilité, qu’on pourrait presque qualifier de touche personnelle. Il y a beaucoup moins de scènes complètement barrées, on est en plein dans un humour pince sans rire, quelque part typiquement russe… mais on reconnaît quand même bien la paternité, avec les internes empotés et leur superviseur mal-aimable.

La télévision russe partage donc nos problèmes, et sa façon de les résoudre semble être de choisir de les ignorer autant que possible. Avec la technique de l’autruche, Maia Prekrasnaia Niania est la série russe la plus regardée de tous les temps, alors forcément… Ça ne manquera pas de rappeler combien il est navrant de voir TFHein faire de bonnes audiences même avec des séries de piètre qualité (ne citons pas de nom, pour la paix des ménages, et parce que je peux pas me faire sauter à la gorge dans des commentaires tous les jours, non plus), et donc ne trouver aucune raison de changer une équipe qui gagne.

Alors après, on a l’autre côté du cercle chromatique, avec Shkola (pas franchement aussi bouleversant que ce que j’en avais lu, mais bon, si j’en crois les trailers débusqués sur le Mal, ça se corse énormément par la suite), série-réalité qui tente de capturer la réalité de l’adolescence d’aujourd’hui, et le fait avec une méthode originale sur la forme, au moins. Mais là, on est déjà plus dans l’expérience artistique (d’ailleurs la série est inspirée d’un film indépendant projeté en art house) que dans une réelle tendance, alors…

Bon. Quand même. Ya un truc qui me chiffonne. C’est juste que, quand même, nous, on n’a pas eu l’excuse d’un gouvernement soviétique ou d’une guerre froide pour expliquer notre retard en matière de télévision… Et puis, quand on voit toutes les télévisions qu’on a déjà abordées, et qui, avec une histoire pas forcément plus facile, ont quand même réussi à développer une identité télévisuelle décente voire impressionnante… non, non nous n’avons aucune excuse. Au fond, quand bien même, c’est pas parce que la télévision russe rame qu’on devrait se sentir autorisés à continuer de patauger.

Et sinon, ça se sent que cette semaine j’ai pas découvert de série épatante à vous recommander, ou bien…?

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9 commentaires

  1. ladyteruki dit :

    Mes excuses à tous, je n’avais pas validé l’article pour qu’il se publie ce matin, et il n’apparait que maintenant. Les nuits blanches, faudrait ptet arrêter, en fait.

  2. Nakayomi dit :

    S., ça compte pas dans notre retard de développement ? (Ou c’est toi qui fait une fixation sur notre production que tu explores peut-être avec moins d’avidité parce que moins exotique, parce qu’il n’y a pas cette partie de recherche à faire ? Nan, je me pose quand même la question, oui… Et puis on a quand même nos spécificités, de séries toutes sur le même modèle et « sociales »… -caricaturons-… D’ailleurs, connaissons-nous réellement notre histoire de la télé ? Je veux dire, mis à part les rediffusions des Enfants de la Télé quoi…)

    Sinon, je me demande quand même ce qui est pire… Le mauvais remake russe (zut, ils ont pas fait un remake de RIS qu’on compare avec le nôtre ? ) ou le mauvais « doublage » russe ? (Au moins, pas de frustration à l’horizon avec un tel article…)

  3. Eclair dit :

    Ah mais le doublage en version étrangère c’est parfois irrésistible. Au seconde degré bien sûr. On se plaint souvent des voix inadaptées aux personanges quand on passe de la VO à la VF (ex : Big Bang Theory), mais parfois c’est pire ailleurs. Si, c’est possible !
    Sinon, effectivement, je les plains les russes.

  4. ladyteruki dit :

    J’ai lu (mais pas pu le vérifier donc bon, à prendre avec des pincettes) qu’en Russie, un doublage de série n’implique que deux comédiens de doublage : un homme, et une femme. Quel que soit le nombre de rôles. Rien que ça… XD

    PS : Naka, j’adorerais répondre à ton débat mais je ne comprends pas la première phrase : « S. », ça signifie quoi ? Bon, tentons de faire sans la compréhension de cette phrase. C’est vrai que je ne suis pas forcément aussi curieuse pour les séries françaises que je le suis pour d’autres pays… maintenant. Mais j’ai vu pas mal de choses, quand même. Et les bonnes nouvelles, en France, relèvent de l’exception et pas de la règle, je suis désolée. Tu peux certainement me citer des séries capables de rivaliser sur le plan de l’audace, de l’écriture, de l’interprétation… avec celles qui font le haut du panier téléphagique des autres pays (et bien que je sois consciente que tes critères et les miens en la matière diffèrent pas mal), mais elles restent une minorité. Je suis désolée, mais cet été, j’ai découvert (et j’ai tenté de vous faire découvrir… après…) des Naznaczony, des Hatufim, des Capitu, des Capadocia… mais aussi une diversité folle dans des genres sous-estimés en France tels que le soap (je pense à l’Inde) ou la comédie (je pense à l’Afrique du Sud). Où sont les soaps capables d’autant de culot que les soaps sociaux de l’Inde ? Désolée, les séries sociales que tu mentionnes n’ont pas la même portée. Ériger Canal+ et/ou trois séries françaises par an comme étendard de la fiction française, ça montre bien qu’on est encore dans un mécanisme d’exception. La structure-même de notre industrie (qui n’arrive justement pas à se façonner comme une industrie à part entière, contrairement à la plupart des pays qu’on a évoqués ces dernières semaines, souvent contre toute attente) empêche nos séries de le faire. En refusant d’explorer les possibilités d’un format, en refusant d’aborder la question de la durée, des saisons, de la fréquence, du renouvellement, de la liberté d’écriture, etc… et surtout, à cause de la volonté des chaînes de ne pas se remettre en question, la fiction française, désolée, fait du sur-place.

    On pourrait parler de fixation de ma part… si j’étais la seule à le dire. J’offre juste un angle que je crois un tantinet différent, car au lieu de comparer sempiternellement avec la fiction US ou britannique, je propose encore d’autres alternatives, qui prouvent qu’il existe de nombreux modèles… mais que la France n’a toujours pas choisi le sien.

  5. Wax dit :

    C’était la version russe de Ugly Betty qui m’avait fait peur mais en série plutôt sympathique, si on aime les côtes « historiques », il y a Bednaya Nastya (mais c’est long, 120 épisodes ‘xD).

    C’est hors-sujet avec ton billet mais ta remarque sur la télévision française me fait penser à Putain de série et bref, que ça rame, qu’on sait pas écrire des séries à la française etc XD.

  6. ladyteruki dit :

    J’ai entendu parler de Bednaya Nastya pendant que je préparais l’article, mais je ne l’ai pas vu. Comment as-tu fait ces découvertes, tu as des chaînes russes ?

  7. Nakayomi dit :

    @lady : pour le S, ça n’avait aucune incidence sur le reste de toute manière, c’était une pure boutade (référence à notre cher Président… Oui, rien à voir avec le borshtsh).

    Après, moi je n’érigerai jamais Canal en porte étendard de quoique ce soit… (Nan mais si, je reconnais qu’ils ont des sujets qui font moins revus qu’ailleurs en général, mais bon, j’suis pas sûr que ce soit forcément que ça qu’il faille faire, bref). Nan mais je suis d’accord aussi pour dire qu’on a sans doute un problème quelque part… Et pour le côté « social » de nos séries, c’était ironique (c’est plus que pendant un moment, c’était très ça quelque soit la série… Le prof qui s’occupe plus de la vie privée de ses élèves qu’autre chose, le flic pareil, le pompier pareil et tutti quanti quoi… Ce qui tend à s’estomper un peu quand même). Et après, peut-être qu’il faut voir aussi par rapport au volume produit. Parce que finalement, on ne produit pas tant que ça de séries, notamment dans les séries régulières, comme tu le soulignes, il y a là un problème « d’industrialisation », je suis tout à fait d’accord… Mais bon, tu vois, il y a alors un rapport déséquilibré dans les comparaisons je pense…

    De même, je me posais la question (après, tu as fait des recherches, moi pas, donc voilà, c’est une réflexion qui me venait un peu naïvement) de savoir si les séries coups de coeur que tu relevais dans certains pays n’étaient pas elles-mêmes les exceptions de ces pays ou si vraiment il y avait une masse qui ressortait par rapport à la quantité produite.

    Quant au « doublage » russe, ça ressemble en fait (bon, là aussi j’ai pas vraiment vu je crois, mais c’est de toute manière réputé pour) à ce qu’on peut faire dans nos reportages de JT quand on interviewe des étrangers. Les commentateurs parlent avec une voix monocorde par dessus l’original… Voilà, à peu de chose ça, ça doit ressembler ça (d’où uniquement deux voix pour tout le monde).

  8. Wax dit :

    Pas de chaînes russes chez moi mais je passe assez souvent sur Viikii (http://www.viikii.net). C’est un site de streaming mais on trouve des séries indiennes, vietnamiennes, russes, turques, polonaises, mexicaines etc… Même si la Corée du Sud comptabilise le plus de séries (Viikii signe d’ailleurs des accords avec KBS et MBC), on voit que des utilisateurs ont aussi à coeur de faire découvrir des séries de leur pays ^^ !

  9. jeffie dit :

    Je sais que ça va faire un peu hors sujet mais après la Suède qui passe sur TF1, le Danemark arrive sur la TSR. Les Suisses vont bientôt voir une série qui s’appelle « Bienvenue à Larkroad » (titre VO : Lærkevej). J’ai essayé de trouver des infos mais moi et le danois ça fait deux alors à part que c’est une comédie policière et que c’est un succès d’audience, je me suis dit que comme tu aimes bien cagouler ce qui vient d’ailleurs, ça t’intéresserait).

    Ca passe à partir du 7 octobre à 23h40 (et évidemment je n’ai pas la TSR donc ça me fait chier)

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