In Soviet Russia, TV watches you : la télévision russe pour les nuls

12 septembre 2010 à 13:50

A quoi ressemble la télévision dans le plus grand pays du monde ? Eh bien, aux complications géographiques, il faut aussi ajouter l’expérience communiste, la main-mise de l’État… et vous obtiendrez une télévision au parcours bien compliqué. Aujourd’hui, c’est à l’étranger que la télévision russe trouve son inspiration, n’hésitant pas à adapter à tours de bras ce qui se fait ailleurs…

La télévision russe pour les nuls

– Quand télévision rime avec nation

Avant que la Russie ne soit la Russie, elle était le cœur de l’union soviétique ; une information à garder à l’esprit, car c’est ce qui va conditionner la télévision russe telle qu’on la connaît aujourd’hui. Pour retracer ses premiers pas, il faut remonter dans les années 30 quand, après quelques premiers essais et la construction d’un des premiers studios de télévision du monde, l’URSS se lance en 1938 dans l’aventure cathodique, avec de premières émissions à Moscou. Malheureusement, l’initiative sera de courte durée : avec l’entrée en guerre, la télévision soviétique fait une pause entre 1941 et 1945.

Mais dés la fin de la Seconde Guerre Mondiale, l’État remet tout ça en ordre de marche avant 1950 : la télévision fait partie de ses priorités. Compréhensible, quand on sait que le gouvernement n’envisage la télévision que publique, et qu’elle lui permet de communiquer sur son idéologie auprès du plus grand nombre. Mais qui dit priorité ne veut pas forcément dire développement effréné. On se contente alors de deux chaînes principales (publiques, ça va de soi), progressivement diffusées à l’échelon national, et deux chaînes secondaires, disponibles aléatoirement d’une région à l’autre. Le tout est placé sous la responsabilité de la Télévision Centrale d’URSS, qui en est l’opérateur public, et de la Gosteleradio, l’autorité de surveillance des médias dirigée par un membre du Conseil des Ministres. Et ça durera comme ça jusqu’en… 1991 ! Car pourquoi changer une équipe qui gagne ? Les chaînes publiques sont des pros de l’autocensure, et la communication du gouvernement passe comme une lettre à la poste, alors ?

Mais à défaut de diversifier son offre, la télévision russe va connaître deux importantes avancées technologiques. La première intervient en 1967, avec l’arrivée de la couleur ; l’URSS devient le 4e pays à diffuser intégralement ses programmes avec cette nouvelle technologie, bien que le procédé ne soit étendu à tout le pays que 9 ans plus tard. La seconde évolution se produit tôt dans les années 80, quand la Russie devient l’un des premiers pays à proposer une véritable offre satellite ; la problématique, vous l’aurez compris, était de ne plus laisser de zone géographique hors de portée de la télévision publique. La chose a d’autant plus d’importance que 75% des foyers ont la télévision… mais plus encore, en 1988, le satellite Gorizont permet aux chaînes d’être vues par des spectateurs européens, dans plusieurs pays d’Afrique du Nord…et même dans certaines zones de l’ouest des États-Unis !

Retransmission du lancement d'un satellite  russe
Retransmission du lancement d’un satellite russe

– La fin de la télévision soviétique

C’est pourtant bel et bien en 1991 que la télévision va faire sa plus grande révolution, avec la création d’une nouvelle autorité dont le rôle est essentiellement d’accorder de nouvelles licences, souvent publiques, mais parfois aussi privées. Avec la chute de l’URSS, la télévision va donc s’adapter aux changements de la société russe, sous la pression du parlement qui obtient qu’une organisation privée diffuse 6 heures de programmes par jour, sous la forme de décrochages de la seconde chaîne. A partir de là, l’univers cathodique s’engage dans une décennie de mutations, qui avaient commencé à la toute fin des années 80, lorsque les chaînes publiques avaient (après beaucoup d’hésitation) accepter de diffuser quelques publicités, le comble pour la télévision d’un pays communiste ! Mais le ver est dans la pomme et désormais plus rien n’arrêtera la libéralisation de la télévision.

Avec l’arrivée des premières chaînes privées dans le panorama, comme NTV, STS ou REN, la télévision publique est bien obligée de changer aussi. Les quatre chaînes soviétiques sont refondues, renommées, et leur programmation est affinée. Ainsi, en 1995, la première chaîne se rebaptise ORT, et sa grille comporte de nombreux programmes de l’ère soviétique légèrement rafraîchis pour l’occasion. Mais globalement, le problème demeure le même : les chaînes publiques sont taxées de serviles, et leurs informations, notamment, manquent d’indépendance aux yeux des spectateurs. En fait, la seule chose que produise l’ORT elle-même, ce sont justement ses journaux télévisés ; tout le reste est simplement acheté à des sociétés de production ; on comprend que ça paraisse suspect !

Avec l’entrée progressive de la publicité dans les finances des chaînes, ce sont les contenus de toutes les émissions qui changent : désormais, il faut être compétitif. Pour ses fictions comme pour ses émissions de divertissement, ses jeux ou ses magazines, la télévision russe pratique de plus en plus l’achat de formats et de droits de diffusion ; un changement qui n’est pas forcément bien vu par la population, qui a le sentiment d’une invasion culturelle. Mais il en va désormais de la survie des chaînes, et la télévision va forcer la main à ses propres spectateurs. A la pression commerciale, il faut cependant toujours ajouter la pression politique ; la plupart des chaînes les plus regardées sont encore des chaînes d’État, après tout. Dans les informations mais aussi dans les autres émissions et fictions, la censure et l’auto-censure sont de mise sur la plupart des sujets touchant de près ou de loin à la politique.

Pour ce qui est des perspectives d’avenir, la Russie a commencé dés 2008 à opérer la transition vers le tout numérique ; elle devrait s’achever en 2015, ce qui est plus que raisonnable vu les distances à couvrir. Ce sont en effet les sociétés de câble qui vont faire le plus gros du travail, même si le gouvernement injecte l’équivalent de 10 milliards d’euros dans ce programme. Plus récemment, la Russie semble se prendre de passion pour la télévision mobile, à l’instar de plusieurs de ses voisins asiatiques. MegaFon, le leader sur le marché, a vu son nombre d’abonner tripler pendant les 6 derniers mois, grâce à une offre très attractive : 20 chaînes de TV mobile pour 20 centimes par jour ! Pour le moment, cela concerne déjà 450 000 abonnés, auxquels il faut ajouter les souscriptions auprès de l’opérateur mobile MTS, qui propose une offre réservée aux smartphones et déjà souscrite par 100 000 Russes.

La tour de télévision Ostankino et les bureaux de Perviy Kanal
La tour de télévision Ostankino et les bureaux de Perviy Kanal

– Les principales chaînes russes

Encore aujourd’hui, l’offre est dominée par le public, mais ça n’a rien de très étonnant pour un pays qui s’est ouvert très tard au secteur privé. Parmi ces nombreuses chaînes publiques, on trouve des chaînes généralistes qui ont gardé une grande importance dans le paysage télévisuel du pays :

– NTV : lancée en 1993 par un groupe de banques, NTV est une chaîne commerciale qui remplace la 4e chaîne soviétique, et s’est longtemps distinguée pour son ton corrosif. Elle a progressivement été rachetée par le groupe Gazprom, appartenant à l’État ; l’acquisition s’est finalisée en 2001 et depuis, le ton y est étrangement plus policé…
– Perviy Kanal : celle dont le nom signifie « première chaîne » est détenue à 51% par le gouvernement, et se trouve être l’héritière directe de la première chaîne soviétique, devenue entretemps ORT. Elle est aussi la première chaîne en accessibilité dans le pays, ce qui explique que sur les audiences, elle soit… première, c’est bien, vous suivez.
– Rossiya 1 : attention, il y a un piège ! Il s’agit en effet de la version moderne de la 2e chaîne soviétique, contrairement à ce que son nom pourrait indiquer. Le gros de ses fictions est en général constitué de telenovelas brésiliennes.
– Rossiya K : la troisième chaîne soviétique, qui avait une vocation culturelle, a transmis le flambeau à Kultura devenue ensuite Rossiya K. Laquelle, en dépit de cette étiquette qui semblerait la cantonner aux documentaires et émissions littéraires, diffuse également quelques films et séries.

Heureusement, ne vous inquiétez pas, on trouve aussi quelques chaînes nationales privées :
– REN : lancée au tout début de l’année 1997, REN est devenue la chaîne privée considérée comme la plus libre du pays, ce qui reste tout relatif. Sa grille est hétéroclite sur la forme, mais sur le fond, elle s’adresse essentiellement aux jeunes actifs.
– STS : lancée en 1994, sous le nom d’AMTV, cette chaîne privée est désormais la 4e chaîne la plus regardée du pays. Le fait que STS commande énormément de fictions, qu’elles soient russes ou étrangères, y est pour beaucoup.

On pourrait également mentionner TV3 (chaîne généraliste reçue dans environ 49% des foyers), MTV Russia (première déclinaison étrangère de la fameuse chaîne musicale, et qui produit quelques séries depuis une poignée d’années), TV Centre (détenue par la municipalité de Moscou), Zvezda (une charmante chaîne publique dirigée par le ministère de la Défense)… En tous cas, avec un total de 13 chaînes nationales généralistes ou spécialisées, plus encore les chaînes locales, la télévision d’État a encore de beaux jours devant elle !

Tikhiy Don, un classique
Tikhiy Don, un classique

– Fictions

La télévision soviétique n’est pas dénuée de fictions, au contraire, dés les années 50 (et après un galop d’essai sous la forme d’une diffusion en différé d’un spectacle au Bolchoi), les chaînes publiques se lancent dans l’aventure. Simplement, ces séries n’apparaissent pas forcément sous la forme qu’on connaît aujourd’hui : la plupart du temps, il s’agit d’un film de plusieurs heures, tourné avec les moyens du cinéma mais destiné uniquement à la télévision, et découpé en deux parties ou plus. A mi-chemin entre le téléfilm et la série, donc, ces fictions sont souvent inspirées par les auteurs russes, piochant allègrement dans un patrimoine littéraire riche qui ne demandait que ça ; la censure étant également à l’ordre du jour dans le milieu littéraire, il semble également préférable de se tourner vers les grands classiques.

De ce fait, beaucoup de fictions ont aussi une inspiration historique ; de surcroît, cela fait appel à des valeurs russes que le gouvernement aime à raviver dans le cœur de ses spectateurs (quitte à réécrire certains classiques pour servir ce but). Tikhiy Don est l’un des pionniers de ce courant : diffusé à cheval sur 1957 et 1958, ce film est tronçonné en trois parties, chacune durant environ 1h50. L’histoire est inspirée des romans éponymes de Michail Aleksandrovich, une œuvre colossale souvent qualifiée d’équivalent à Guerre et Paix. Ces productions, mêlant souvent romance et évènements historiques, vont constituer l’essentiel des fictions russes pendant l’ère soviétique, tournées comme un seul film, et dont la diffusion s’étend au maximum sur 10 ou 12 épisodes, très rarement plus. Par contre, le budget y est élevé, et ces fresques historiques bénéficient d’une réalisation soignée, d’un casting pléthorique et prestigieux, de reconstitutions de batailles, de décors impressionnants… En URSS, on fait de la propagande, certes, mais on la fait bien.

Version américaine / Version russe
Version américaine / Version russe

Pour trouver des séries, au sens moderne du terme, il faudra attendre une fois de plus les années 90. C’est une étrange mutation qui attend la télévision russe à cet égard : soudain, comme si elle craignait de n’être pas capable de créer elle-même des séries, elle va se mettre à en adapter énormément, sur le modèle des séries qu’elle importe massivement. Parmi ses inspirations : la telenovela, qui fait souvent appel aux mêmes thèmes que les sagas des décennies soviétiques, mais dont le format, plus moderne, s’accorde mieux avec les attentes des spectateurs qui ont désormais accès à des séries étrangères. Après avoir consommé avec ardeur des séries brésiliennes (dont Perviy Kanal s’est fait une spécialité), grâce au succès retentissant de la telenovela Escrava Isaura, la Russie s’est donc engagée sur cette voie en commençant à produire ses propres telenovelas. Le plus simple étant… d’adapter les concepts étrangers. Ainsi, on a pu voir sur STS la série Margosha, une transposition quasiment littérale de la série argentine Lalola.

Les comédies, également, sont touchées par le phénomène des remakes, et il existe, par exemple, des versions russes de Madame est Servie ou Une Nounou d’enfer. Des adaptations qui se font souvent avec l’intervention active des équipes de la série d’origine : ainsi, Maia Prekrasnaia Niania, qui met en scène la version russe de la fameuse gouvernante, a-t-elle pu utiliser le même habillage et les mêmes scénarios que la série d’origine (du moins, pour ses premières saisons).

Dans tout cela, existe-t-il encore de la place pour des idées inédites ? C’est un peu le problème, mais il trouve des solutions. D’abord parce que la fiction historique a encore de beaux jours devant elle, même si cela ne se fait plus autant avec une arrière-pensée idéologique (ce qui ne veut pas dire que ce n’est plus du tout le cas). Et puis, surtout, on voit aussi émerger des idées originales, sur le fond et/ou la forme, à l’image de Shkola. Tournée à la manière d’un documentaire par une réalisatrice habituée au circuit indépendant, voire underground, la série dépeint sans faux-semblant le quotidien des lycéens d’aujourd’hui. Exploitation exagérée des maux d’une génération, ou portrait criant de vérité ? La série a déclenché une tempête de controverse, tant sur sa forme (le langage peut châtié des élèves, leur promiscuité sexuelle régulière…) que sur le fond, de nombreuses associations familiales et/ou religieuses contestant que la jeunesse russe moderne ressemble de près ou de loin à cette description. Pourtant, avec ses moyens peut-être un peu radicaux, et son propos dérangeant, Shkola a réussi son pari en devenant l’une des créations russes les plus débattues de l’année.

Il y a donc de l’espoir pour la télévision russe… sitôt qu’elle sera sortie de la période d’observation et de copie dans laquelle elle est entrée, il y a tout de même deux décennies.

Article également publié sur SeriesLive.com.

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