Faites des fins d’année

19 décembre 2010 à 11:02

A l’approche de Noël, les blessures ressortent. On pourrait penser que c’est la solitude qui me pèse, mais pas du tout. Ce qui fait vraiment mal, c’est de retourner cinq années en arrière avec une seule chanson.
Et pourtant difficile de ne pas l’écouter, comme il est difficile de ne pas penser à cette période de ma vie. Cela fait cinq ans et pourtant c’est comme si c’était hier.

Je recommence à y penser le 7 décembre, quand je fête mon anniversaire le plus douloureux et le plus joyeux à la fois : cette année, ça fait trois années consécutives que je n’avais pas connu un seul jour de chômage. Des arrêts de travail, oui, du chômage, non, pas un seul jour. Et c’est certainement la commémoration la plus importante de ma vie. Je peux me passer de Noël, du Jour de l’An, de tout. J’ai appris. Mais célébrer une nouvelle année sans un seul jour de chômage, c’est sacré. Je n’ai pas encore défini vraiment la forme de cette célébration, il n’y a pas vraiment de rituel même si, ce qui se dessine, c’est justement de ne pas prendre un jour de congès et d’aller travailler, et puis de dépenser quelques sous juste pour le plaisir de dire que je le peux. Cette année c’était un petit resto chinois. Dans le fond ça n’a pas d’importance. Tout ce qui compte c’est que je travaille et que j’ai de l’argent. Un peu. Mais suffisamment pour fêter ça.
Maintenant que je suis titulaire, depuis la fin août, on pourrait penser que ça prend moins d’importance, que je m’habitue, que je me sens en sécurité. Mais il n’en est rien.

Alors dés le 7 décembre, je commence à sentir remonter mes angoisses de fin d’année. Celles que j’ai connues il y a cinq ans et que l’anniversaire du 7 décembre devrait apaiser, mais qu’au lieu de ça, il ravive. Je devrais certainement me sentir mieux mais Noël, c’est devenu une putain de blessure sans que je m’en rende compte. Je pense que je n’ai pas fini d’avoir un contentieux avec Noël. Avant c’était une histoire de blessure familiale, la métaphore de tout ce qui me manque dans ma famille, et aujourd’hui c’est devenu un résumé global de tout ce qui me blesse dans la vie.
Il y a des chances pour que je ne puisse plus jamais être réconciliée avec Noël.

Alors voilà, pendant tout le mois de décembre, instinctivement, je reviens vers cette chanson.

Il y a deux chansons, en fait, en décembre. Une que j’écoute tous les ans depuis trois ans, qu’on pourrait presque lier au 7 décembre parce qu’elle évoque le bon côté de la période de Noël, de tout ce mois qu’au fond j’adore, entre marché de Noël, neige, et rues plongées dans le froid. J’écoute Baby don’t cry de Namie Amuro en remontant le boulevard Saint Germain depuis le ministère jusqu’à Saint Michel, à pieds, avec la chanson dans les oreilles en boucle, et c’est devenu mon petit rituel qui dit que ça y est, c’est Noël. Je crois des cabanes où ça sent bon le vin chaud, les gens sont emmitouflés jusqu’aux yeux, il y a des décorations, des paquets et des machins partout, et moi j’ai les mains dans les poches, ma petite chanson, et le rythme cadencé de mes pas. C’est certainement ce qu’il y a de plus proche de l’esprit de Noël pour moi. Je ne le fais qu’une fois, ça suffit, en général je m’achète pour 50€ de pain d’épices que je vais offrir et/ou manger avant la fin du mois, et j’arrive à Saint Michel où je prends le RER pour rentrer. C’est le moment magique des fêtes de fin d’année. Ça semble peu pourtant.

Sans doute parce qu’il y a l’autre chanson. Celle qui est bien plus entêtante, parce qu’elle me ramène à quelque chose de tellement sordide. Et ça fait donc cinq ans. Cinq ans que je crevais la faim dans mon appartement glacé.
La chanson n’a rien de spécialement lié à Noël. C’est une ballade, une ballade pluvieuse sans aucun doute, plutôt quelque chose d’automnal, et qui n’a rien à voir avec ce que j’ai expérimenté à cette époque.

Mais je n’avais plus internet, je n’avais plus à manger, je n’avais plus rien. Et surtout, je n’avais plus ma musique. Sans internet, la Jmusic, c’est mission impossible… Pour Noël, je suis allée chez mes parents, comme chaque année inexorablement. Et en attendant de passer à table, je me suis dépêchée de télécharger les derniers PV d’Ayumi Hamasaki, sortis quelques jours en avance afin de promouvoir son nouvel album. C’est tout ce que j’ai eu le temps de télécharger et, une fois rentrée chez moi, je les ai écoutés. Et celle-ci a retenu mon attention. Elle m’a aidée à évacuer les larmes qui ne sortaient pas, ou trop difficilement. J’en ai pleuré pendant des soirées -je n’avais guère mieux à faire.
Cette année-là, mon menu de Noël, c’était un saladier de pâtes avec une boîte de sardines à l’huile que je n’ai même pas eu le courage de finir. Je n’en pouvais plus, des pâtes. Au moins cette fois il y avait un assaisonnement.

Alors, pour Noël, oui, depuis que j’ai les moyens, j’ai tendance à dépenser des sous, et à les dépenser dans la bouffe.
Cette année, ce ne sont pas mes cadeaux pour ma famille qui vont me ruiner de toute façon, puisque chaque année ils s’arrangent pour que Noël soit encore plus dépecé de ses rituels que l’année précédente. D’ailleurs j’ai même refusé d’avoir un cadeau de leur part si c’était pour me creuser et inventer un truc qu’ils puissent m’acheter sans avoir l’impression de cultiver mon vice, puisqu’ils pensent que mes passions ne sont que ça. Alors ce ne sont vraiment pas les cadeaux qui vont les étouffer, ils ont un truc pour deux pour la valeur exorbitante de 11€ chacun, et puis merde. Qu’ils aillent se faire foutre. Je suis déjà bien gentille d’avoir consenti à y aller alors que rien ne me fait moins envie au monde que d’aller les voir, et attendre que mesquinement ils entament le sujet du déménagement, parce qu’ils auront peur de l’aborder frontalement mais qu’ils ne seront pas capables de mettre cette question de côté pendant UNE soirée. Ils l’aborderont l’air innocent, sur le ton de « ah tiens et alors, au fait, où ça en est ? », et je sais très bien que tout ce qu’ils pensent, c’est que je n’y ai pas encore vraiment réfléchi ni vraiment commencé. Qu’ils croient ce qu’ils veulent, rien ne les empêchera jamais d’être convaincus que je suis une nulle qui ne fait jamais rien comme il faut.
Je sais que dans le fond, le seul cadeau qu’ils veulent vraiment, c’est que je sois quelqu’un d’autre. Et ça je ne le leur offrirai jamais. Jamais.

Mon argent, je vais le garder pour les gens qui importent un peu plus dans ma vie que ces deux-là qui pensent qu’on peut fêter Noël avec quelqu’un en la culpabilisant et en sous-entendant des menaces sourdes. J’ai entendu « oui mais si tu ne viens ni à Noël, ni au jour de l’an… », et j’ai aussi entendu ce qui n’a pas été dit derrière. Les gens qui comptent dans ma vie n’agissent pas comme ça avec moi. Ils ne me forcent pas à fêter Noël enchaînée à la table de la salle à manger en ayant le culot de soutenir que la famille c’est le plus important. Les gens qui comptent un peu dans ma vie savent très exactement qui je suis et ne me demandent pas de le changer.

C’est la dernière année. L’an prochain je vais le finaliser, ce déménagement. Les angoisses de décembre resteront peut-être dans l’ancien appartement, avec un peu de chance. Et si ce n’est pas le cas, c’est pas grave. J’emmènerai mes angoisses, mes souvenirs et mes blessures, je dépenserai mes 50€ de pain d’épices le 7 décembre 2011 en remontant le boulevard Saint Germain, je dépenserai beaucoup d’argent pour me nourrir pour Noël, et je fêterai les fêtes de fin d’année avec ceux qui apprécieront ma présence pour ce qu’elle est, et non pour ce à quoi elle est censée ressembler.
Ils veulent que je déménage. Oh oui je vais déménager. Careful what you wish for.

Peut-être que c’est la dernière année que j’écoute cette chanson en souffrant. Peut-être que l’an prochain, au lieu de rester bloquée dans cette chanson triste et grise et pluvieuse, peut-être que je ferai enfin attention au dernier plan de la video. Peut-être que je me serai enfin échappée par là.

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