Citizen Jamais

25 novembre 2012 à 23:38

Comme chacun sait, la téléphagie a horreur du vide. Grande est la tentation, lorsqu’on finit une série d’un certain genre, de vouloir la remplacer dans notre programme par une série ayant des points communs. Et comme je lis peu de littérature sur mes séries anglophones avant de les commencer, ce point commun peut parfois être extrêmement ténu.
Maintenant que la saison 2 de Threesome est terminée, je voulais donc me lancer dans une nouvelle comédie britannique. Je m’étais tournée vers Citizen Khan. whisperintherain, dans le cadre de notre défi, devra s’y coller aussi… et j’espère qu’il n’est pas trop tard pour tenter de l’en décourager, avant que l’irréparable ne se produise.

La principale raison pour laquelle je regarde des séries, à plus forte raison dans le cadre de ce défi qui consiste à ne pas en laisser de côté, c’est parce que j’aime imaginer ce que c’est que de vivre une vie totalement différente de la mienne. Essayer de marcher, pendant quelques pas, dans les chaussures de quelqu’un d’autre, puis réintégrer les miennes au bout de 25mn à 1 heure, parce qu’elles sont à ma taille ; mais avec une compréhension du monde un tout petit peu, je l’espère, élargie.
Alors faisons ça, voulez-vous ? Glissons-nous dans les chaussures de quelqu’un d’autre.

J’aimerais savoir ce que ça fait d’incarner le rôle principal de Citizen Khan. De l’avoir, également, créé et co-développé.
Ce que ça fait de créer un personnage dont on sait qu’il n’est pas bien épais, parce qu’on connait bien le temps qu’on a passé à s’imaginer son background comparé au nombre d’heures passées à imaginer son accent et ses mimiques devant le miroir de la salle de bains.
Ce que ça fait d’écrire un texte dont on connaît et on assume (du moins l’imagine-t-on) chaque gag, chaque plaisanterie.
Ce que ça fait de répéter le texte avec ses partenaires et de commencer à avoir une idée assez précise de la façon dont tout cela va sonner.
Ce que ça fait de se lever un matin pour aller au studio, de prendre sa voiture en, peut-être, essayant de réciter quelques lignes de dialogues qu’on craint d’avoir mal mémorisées, et d’aller enregistrer un pilote ; de refaire la check-list dans sa tête : le costume, c’est bon, les décors, normalement c’est bon.. Est-ce quand dans sa voiture, que je présume être tout-à-fait « normale » et pas nécessairement un modèle comparable à celui du personnage, Adil Ray a essayé de repenser à la façon dont il en était arrivé là ? Ou s’est-il dit qu’il pouvait peut-être prendre le temps de s’arrêter faire le plein, même si ça ferait un peu juste en cas de bouchons ?

Est-ce que c’est un projet auquel Adil croyait vraiment ? Ou bien voulait-il juste vendre un projet à une chaîne, et advienne que pourra ?
Ressent-il Citizen Khan comme un défi créatif ? Y a-t-il des moments où, pendant l’écriture, il se relit et pense sincèrement qu’il doit faire mieux ? D’ailleurs combien de drafts jetés dans la corbeille de son Mac, jugés par lui insuffisants ou pas assez drôles ?
Quand il dîne avec ses amis, Adil leur tape-t-il dans le dos d’un air ravi en leur disant « eh bah, mate, on dirait bien que ça y est, j’ai réussi à avoir ma propre série ! » ou bien leur reverse-t-il un verre en ricanant « t’avais parié que personne m’achèterait mon script, allez je suis beau joueur, le vin est pour moi ce soir ! ».
Quand il essaye de tomber une fille, et qu’il dit qu’il travaille à la télévision (où effectivement, sous la barbe factice, il est méconnaissable), Adil raconte-t-il avec quelle série il a réussi à se rendre célèbre ? Et si c’est le cas, dit-il cela avec un ton fier, ou préfère-t-il opter pour l’auto-dérision histoire de ne pas rentrer tout seul ce soir ?

Et plus tard, bien plus tard, lorsqu’il a vu le résultat final, puis lorsque son pilote a été montré pendant un showcase apparemment consacré aux sitcoms, Adil s’est senti fier de Citizen Khan ? Quand la polémique a fait rage, a-t-il trouvé que les gens exagéraient, réagissaient totalement à côté de la plaque, passant à côté de ce qui le rendait satisfait d’avoir travaillé sur ce projet, ou a-t-il secrètement convenu qu’il n’avait pas franchement fait un boulot épatant ?
Quand une deuxième saison a été commandée, a-t-il simplement décidé d’appeler un entrepreneur pour refaire la cuisine, ou s’est-il dit qu’il avait réellement réussi quelque chose d’un point de vue artistique ?

Je peux croire, et je peux même admettre, qu’on travaille dans un milieu artistique (ou à peu près) de façon alimentaire. Par exemple, je doute qu’Alan Cumming compte The High Life parmi ses plus grandes fiertés à ce jour. Mais à quel point est-ce fait de façon consciente ? A quel point les premiers concernés sont-ils dans la confidence que leur série est absolument ridicule ?

Autant de questions, je suppose, auxquelles je n’aurai jamais la réponse. C’est la limite de l’art de marcher dans les chaussures de quelqu’un d’autre, j’imagine… on peut le faire pour les personnages, pas pour ceux qui les créent. Aucune interview, aucune autobiographie, même, ne répondra jamais à ces interrogations, que les créateurs, j’en suis convaincue, gardent jusque sur leur lit de mort.
Mais dans le cas de Citizen Khan, j’ai quand même de fortes présomptions d’avoir sauté à pieds joints dans de la merde.


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1 commentaire

  1. capecodmiss dit :

    beau billet, qui décourage bien! et belle chute! (oui oui, mes commentaires sont constructifs)

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