Tu ne cilleras point

12 décembre 2012 à 18:37

Vous vous rappelez quand j’ai dit que j’avais parfois du mal avec les séries britanniques ? Et la fois où j’ai évoqué le fait d’être assez peu friande de séries d’espionnage ? Voilà.
Donc j’ai testé Spooks.

Cela semblait en effet incontournable. Cependant, je crois que Spooks a relativement mal vieilli, au moins si l’on s’en réfère à son pilote.
Celui-ci a en effet toutes les apparences de la série britannique typique qui me repoussait il y a encore quelques années. Pour autant qu’il s’agisse, sur le fond, d’une fiction qui semble solide, je n’ai pas pu m’empêcher en la regardant de penser à toutes les fois où (c’était alors que j’avais encore la télévision chez moi) je me dépêchais de zapper en voyant Affaires non classées le samedi soir, notamment. Dans le cas d’Affaires non classées, pas de grief contre l’écriture, qui n’était en rien responsable ; simplement j’étais rebutée par le jeu des acteurs (assez rigide), la réalisation (assez chirurgicale), et l’esthétisme (assez glacial). Il se dégageait de l’ensemble quelque chose qui ne me parlait pas, qui ne m’invitait pas à entrer dans cet univers ; j’avais aussi le sentiment d’épisodes qui ne s’adressaient pas à moi, à ma génération (ce qui est ironique quand on sait que je regarde des vieilleries sans aucun froncement de sourcil). On était au tournant des années 2000 et pourtant quelque chose m’y agrippait le pied pour me tenir dans les années 90 ; c’était en tous cas comme ça que je le vivais (alors que, encore une fois, des séries des années 90, j’en ai regardé plein, paradoxalement !).
Le pilote de Spooks m’a ramenée à ce genre d’impressions. C’est vrai que c’est un pilote qui a 10 ans, mais c’est vrai aussi que c’est un pilote qui n’a que 10 ans (d’ailleurs, je ne voudrais pas faire de généralités, mais les séries anglaises ont quant même bien progressé en 10 ans, non ?). Ce genre de réflexe infondé est justement ce que j’essaie de combattre quand je m’attaque aux séries britanniques (et allemandes, ponctuellement). Alors, contrairement à tous ces samedis soirs où j’ai fui peu courageusement devant Affaires non classées, j’ai tenu bon devant le pilote de Spooks, même si, je l’avoue bien volontiers, il y a eu des scènes pendant lesquelles j’ai dû lutter pour rester concentrée.

Pourtant Spooks est d’autant plus impressionnante qu’elle emploie des ressorts typiques de la série d’espionnage, y ajoute des procédés issus de la série policière… pour aborder en réalité un sujet de société. Peu de séries d’espionnage (et peu de séries policières en-dehors de la franchise Law & Order) sont capables de faire ce genre de pirouettes.
Ainsi, le premier épisode de Spooks, dans lequel l’équipe du MI-5 se lance sur la piste d’une terroriste américaine pro-life qui fait sauter des médecins britanniques pratiquant des avortements (et, non, l’ironie de ces actions n’échappe pas aux agents). Comme tous les espions de télévision (ou presque), il va s’agir de mettre des gens sur écoute ou de se faire passer pour quelqu’un d’autre ; comme toutes les forces de l’ordre de télévision, il va être nécessaire de procéder à un interrogatoire… Mais tout cela ne se fait pas sans réfléchir, entre autres, au sens des actions de cette activiste à l’accent du Sud des Etats-Unis. C’est ce qui m’a plu, dans ce pilote, le fait que les agents, et notamment Tom Quinn, ne se contentent pas d’intervenir sur une affaire, mais aussi d’avoir leur propre ressenti à son sujet. La discussion qui en résulte avec la terroriste, pendant l’interrogatoire, se montre à ce titre fascinante.

Après un peu plus d’une semaine passée à observer toutes sortes d’espions et d’agents secrets, c’est là que j’ai réalisé que c’est assez rare, en fait, que ces personnages aient une opinion politique ; ce qui semble être un comble car leur activité est totalement politique ! Beaucoup d’espions tentent de discerner qui sont les gentils et les méchants comme s’il y avait un absolu : je travaille pour les gentils (= le Gouvernement), ou pour les vrais gentils (= les gens de mon organisation qui ne complottent pas contre le Gouvernement, dans les cas où la série d’espionnage mette en place des éléments conspirationnistes).
C’est le cas par exemple dans ALIAS, où une grande partie de la problématique au début était de savoir à qui faire confiance, de choisir son côté. Mais pas d’avoir une opinion, in fine, sur ce qui allait réellement arriver si un camps parvenait à ses fins. Et si le SD-6, en dépit du fait qu’il n’agisse pas dans l’intérêt du Gouvernement, servait mieux le bien général que la CIA ? La question ne semblait pas vraiment se poser à Sydney Bristow. Ces derniers jours, aucune question similaire n’a semblé se poser pour Annie Walker (de Covert Affairs) ou Sam Hunter (de Hunted) non plus, qui travaillent pour un organisme, quel qu’il soit, dont elles ne questionnent jamais les intentions, mais plutôt la nature des agissements.
Ici, Tom Quinn, dont nous pouvons voir qu’il a énormément de mépris (et sans doute un peu de colère voilée) pour sa cible l’activiste pro-life, affiche clairement que la raison pour laquelle il déploie son équipe sur cette affaire : c’est non seulement parce que, tuer des gens en piégeant leur voiture, c’est illégal, mais tuer des gens au prétexte qu’ils tuent des bébés, c’est effectivement absurde et immoral. Cet engagement du personnage dans la cause dans laquelle il a engagé ses forces et celle des agents travaillant avec lui donne une dimension dramatique qui m’a semblée précieuse à ce pilote.
Cela ouvre, en outre et évidemment, le débat sur la question pro-life/pro-choice, de façon plus originale qu’à l’ordinaire ; une tâche dont en général une série juridique s’acccomplit bien plus souvent qu’une série d’espionnage ; en cela, le point de vue sociétal du premier épisode de Spooks semble vraiment original étant donné le genre.

Malgré cette vision ambitieuse de la série d’espionnage (et un coup d’oeil au résumé de quelques autres épisodes de la série semble indiquer que c’est un esprit qui dépasse le cadre du pilote), Spooks, c’est aussi une grande humilité dans sa façon de montrer le travail d’espion. Cette humilité se traduit par le choix, d’une part, de montrer des hommes et non des superhéros (la seule raison pour laquelle la bombe n’explose pas en fin d’épisode… est un vulgaire coup de chance, sans quoi tout le monde sautait), capables de faire du bon travail, mais pas à l’abri d’une bévue. L’exemple absolument génial trouvé par le pilote est quand une maison doit être mise sous écoute, évidemment en laissant l’endroit intact pour que leur cible ne se doute de rien ; sauf que lorsque l’équipe a pénétré le bâtiment, ils craignent d’avoir laissé s’échapper le chat ! Le temps perdu à essayer de mettre la main sur un bête matou, dont l’absence suffirait à compromettre l’opération, et le sentiment d’absurdité de la bévue, renforcent l’impression que parfois, remplir une mission pour le MI-5 tient à peu de choses. A cela encore faut-il ajouter les insécurités des personnages, comme dans l’échange entre Danny et l’une des collègues, laquelle explique qu’elle ne se sent pas à l’aise parce qu’il y a une procédure qu’elle n’a quasiment jamais employée. Cette humilité est précieuse, surtout si on la compare à l’incroyable aplomb d’espions qui, même débutants, semblent toujours savoir comment se comporter, et connaître leur manuel par coeur. Imagine-t-on Jack Bauer (parfait exemple du personnage d’espion pas inquiété par les questions d’humilité) admettre qu’il n’a fait une manoeuvre qu’une fois lors de sa formation ? Pas vraiment. Pourtant cela donne en un instant une épaisseur appréciable aux personnages, et les rend incroyablement plus humains.

Spooks, c’est aussi, un peu, une série dramatique, et c’est Tom Quinn (encore lui) qui incarne cet angle dans cet épisode inaugural. L’homme entretient en effet une relation naissante avec une mère célibataire, à laquelle il doit mentir sur son identité ; il se fait passer pour Matthew Archer, un simple fonctionnaire travaillant dans un service informatique. Il est clair cependant que ce mensonge ne pourra durer qu’un temps, et Quinn en semble éminemment conscient. Lorsqu’il s’absente sous un prétexte fallacieux pour passer un coup de fil (« des serveurs ont sauté ? », lui demande sa dulcinée ; « presque tous », glisse-t-il avant d’aller appeler sa collègue Zoe à propos d’une terroriste internationale), ce mensonge ne reste pas innocent ; il est surpris en pleine conversation par la fille de sa petite-amie, laquelle répètera ensuite le prénom de « Zoe » en se brossant les dents le soir-même.
Quinn s’inquiète-t-il que le nom de « Zoe », répété par la petite, éveille des soupçons chez la femme qu’il aime ? Pas vraiment : un si petit détail ne peut pas suffire à dévoiler son secret, à quoi bon chercher à empêcher la gamine de le prononcer ou s’essayer à une explication précipitée ? Mais il semble aussi tout-à-fait clairvoyant quant au fait que le mensonge ne fonctionnera pas éternellement. En fin d’épisode, il explique tout simplement qu’il a un secret, et qu’il ne peut pas en parler, et que c’est comme ça, mais que ça ne l’empêche pas de ressentir de l’attachement.
J’ai trouvé ça très touchant, bien plus que s’il avait tenté de rattraper le coup. Ce n’est pas que son coup de fil mensonger soit une menace pour son secret, c’est que son secret soit une menace pour son couple qui est immédiatement posé comme question. Cela évite bien des artifices sur l’éternel thème de la double-vie des espions.

Pourquoi j’ai, au regard de ces excellents ingrédients, eu tout de même du mal avec le pilote de Spooks ? Eh bien parce que, comme je l’ai dit, il ne s’agit pas d’une série qui nous invite à entrer aisément dans son univers ; une fois de plus, j’étais rebutée par le jeu des acteurs (assez rigide), la réalisation (assez chirurgicale), et l’esthétisme (assez glacial), quand bien même le fond de cet épisode était, répétons-le encore une fois, parfaitement intéressant. Pour une série capable d’apporter quelque chose de si humain dans sa trame, que des facteurs de forme empêchent l’empathie, l’identification ou la plupart des formes d’émotion, est vraiment dommageable de mon point de vue. Je le ressens comme une mise à distance qui ne m’aide pas à m’intéresser au reste de l’épisode, ces phases plus typique des séries d’espionnage. Ce qui fait la force de Spooks, je le sens bien, c’est qu’elle offre un peu plus que l’espionnage, mais elle ne sait pas le mettre en valeur dans son pilote.

Alors je sais, je sais, ce n’est qu’un pilote, mais tout de même, c’est supposé donner envie, pas suggérer qu’il faudra lutter et s’accrocher pour attraper « le reste », la moëlle, ce qui fait l’intérêt de la série. C’est, très sincèrement, un effort que je ne m’imagine pas faire sur toute une saison, moins encore sur dix.
Cependant, je ne vous cache pas être assez satisfaite de moi : je n’ai pas flanché, j’ai résisté à mon envie d’arrêter le pilote et d’aller plutôt folâtrer dans les couloirs du Sacred Heart Hospital (et ce quand bien même je vienne de commencer la saison 8 de Scrubs), et j’ai réussi à trouver de bons côtés à ce pilote. La téléphage que j’étais il y a quelques années n’en aurait pas eu la patience ; ce n’est pas grand’chose, mais j’ai tenu bon !
Pour ma peine, j’ai gagné le droit d’aller retrouver JD et Turk, tiens !

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2 commentaires

  1. amdsrs dit :

    Moi j’avais adoré ce pilot et j’ai immédiatement accroché à la série, qui reste pour moi un modèle du genre.

    Mais vu l’évolution de Spooks au fil des saisons, je pense que tu n’as pas été la seule à être rebutée par cet aspect froid. Concrètement, avec le départ de Tom et l’arrivée d’Adam, la série joue davantage sur le registre émotionnel. (Je n’ai pas vu les dernières saisons)

    Mais j’ai l’impression que tu n’iras pas jusque là…

  2. ladyteruki dit :

    Non, ça me semble mal barré en effet…

    C’est dommage car j’apprécie le personnage de Tom, je le trouve plein de potentiel (l’acteur n’est pas non plus dégueulasse ne nous mentons pas).

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