They don’t have a name for what it is

30 janvier 2013 à 23:28

Je commence un peu à désespérer de ce mois de janvier américain, je vous l’avoue. whisperintherain et moi-même avons résolu de regarder puis reviewer un maximum de pilotes cette saison, mais parfois cela ressemble à un sacerdoce. Les déceptions se multiplient et du coup, à chaque pilote, les espoirs sont plus grands encore. Le pilote de The Following sera-t-il celui qui remontera la moyenne de cette morne mid-season ? Sans plus de suspense, la réponse…

Soyons réalistes : l’écriture de séries, ce n’est pas de la médecine de pointe.
On ne saurait exiger des scénaristes, comme on le fait des praticiens, qu’ils aient une obligation de formation continue afin de se tenir au courant des dernières innovations. Oh, évidemment, on peut se perdre en conjectures, et imaginer que des séminaires gigantesques seraient organisés afin de disséquer la structure narrative expérimentale d’un collègue ; que des visiteurs scénaristiques viendraient régulièrement faire le tour des writers’ room avec des échantillons de scripts ultra-performants ; et que, pour finir, les spectateurs maltraités par des épisodes piteux pourraient se retourner contre les scénaristes peu scrupuleux pour négligence caractérisée.
Mais nous ne vivons pas dans ce genre de société, et jusqu’à nouvel ordre, rien n’oblige un scénariste, ou une équipe de scénaristes, à se tenir au courant des « avancées » narratives des séries de la concurrence.

Mais tout de même. Il y a des questions à se poser sur une série qui aurait pu être écrite exactement de la même façon dix années plus tôt. C’est le cas de The Following, qui fait peu de cas de tout ce que le spectateur a pu voir, sur le sujet du crime ou pas, depuis. Et Dieu sait que des criminels, on en a vu défiler quelques uns !

Il est très triste, pour ne pas dire pénible, de voir une série s’intituler « following » et, par exemple, traiter aussi mal la façon dont son personnage de psychopathe a pu se créer un réseau de « suiveurs ». Et ce n’est pas un point de détail : quand un enquêteur soit-disant très qualifié prétend que Joe Carroll a trouvé des admirateurs via « dedicated web sites, over a thousand blogs, chat rooms, online forums », il y a de quoi rester sceptique… Vraiment ? Et pas les réseaux sociaux ? Comment peut-on lancer un thriller moderne, une partie d’échecs avec un esprit extrêmement intelligent et machiavélique, et l’écrire encore comme si les moyens d’accomplir un plan ou de créer un réseau terrifiant sur internet étaient les mêmes qu’il y a une décennie ?
Ce n’est pas anodin parce que ce genre de choses montre combien The Following est peu engagée dans son sujet, celui dont elle porte le nom, celui de la quasi-secte qui se crée autour de son criminel ; la série tente juste de reprendre à son compte des recettes vue des dizaines de fois, le face à face entre Carroll, le criminel à l’intelligence dangereusement fascinante, et Hardy, le justicier brisé qui ne vit que pour son enquête ; il s’agit tout juste de les rafraîchir, et encore. Je n’ai à l’heure actuelle vu que le pilote de The Following, évidemment, mais je ne suis pas totalement convaincue de l’absence de redondance entre The Following et Hannibal, par exemple, tant le face à face me semble similaire pour le moment.
Ce qui devrait faire toute l’originalité de The Following semble n’avoir pas été vue comme un véritable outil, mais plus comme un gadget scénaristique permettant de cyloniser les « bad guys » de la série : attention, ce pourrait être absolument n’importe qui, et nous nous réservons le droit à tout instant de lever le voile sur une partie du réseau tentaculaire de l’ennemi de notre héros.
Dans cette perspective, The Following ne fait pas grand’chose d’autre que de jalonner son épisode inaugural de visages dont on finit par se douter, au bout de trois quarts d’heure, qu’on ne peut leur faire confiance (ce sera notamment le cas à la toute fin du pilote, d’une fénéantise à faire peur, et prévisible au possible ; c’est emmerdant, on parle là de la scène de fin du pilote, supposée donnée des frissons partout pour revenir la semaine suivante).

Sur un aspect similaire, les références assez peu fines et à peine plus subtilement infusées à l’oeuvre de Poe, martelées à n’en plus finir jusqu’à ce que le spectateur, exaspéré, brûle sa bibliothèque dans un ultime accès de rage, montrent le plus souvent que la littérature cauchemardesque de l’auteur a fait l’objet de lectures soutenues de la part des scénaristes, mais qu’il n’en a été fait aucune interprétation pour la série, plaquant l’oeuvre du romancier américain comme on plaque un diagnostic psychiatrique. La fiche de lecture est assez scolaire, à plus forte raison lorsqu’elle s’applique à du profilage : Poe écrivait ci, donc Carroll veut faire cela. Le ton professoral des enquêteurs donne de surcroît plus l’impression d’assister à un cours magistral que d’entrer dans la tête du tueur.
Il aurait peut-être fallu pénétrer réellement dans l’univers de l’écrivain, provoquer une immersion quitte à créer le malaise ; mais cela aurait impliqué trop de recherche esthétique, sans doute, pour que The Following ne s’y risque. On se contentera donc de quelques tirades littéraires un peu plaquées du genre : « He cut out his victims’ eyes as a nod to his favorite works of Poe, The Tell-Tale Heart and The Black Cat. See, Poe believed the eyes are our identity, windows to our soul. To classify him as a piquerist would be… too simplistic ».
Que The Following ne parte pas du principe que son spectateur connait Poe sur le bout des doigts est une chose (dont je la remercie, car moi-même ne me pose pas en experte), mais qu’elle se contente de quelques poncifs strictement pédagogiques n’aide pas vraiment à se mettre dans l’ambiance. Or, l’ambiance, dans un thriller, n’est-ce pas supposé être important ?

Ce n’est pas que The Following n’ait que des défauts, cependant.
Même si ses personnages sont posés très exactement là où on les attend, avec un héros abimé et à peine fonctionnel qui va quand même reprendre du service, et un monstre poli et cultivé qui charme son prochain aussi sûrement qu’il espère le dépecer, avec une rimbambelle de seconds rôles transparents, ces personnages parviennent à se trouver quelques scènes réussies.
En particulier, Ryan Hardy, incarné par Kevin Bacon, a quelques bonnes scènes assez émouvantes que je ne m’attendais pas de trouver avec un tel degré. Ce personnage conçu pour être cassé d’emblée s’étoffe grâce à la pratique fréquente des flashbacks, parfois un peu brutaux dans la façon dont ils sont amenés sur le tapis, mais plutôt bien construits pour glisser un doigt prudent sur les craquelures du héros et sentir les aspérités de sa carcasse blessée. Ces séquences fonctionnent parce que The Following réussit en fait plutôt bien en matière de drama, rendant son personnage accessible au spectateur, ce qui compense pour l’aspect thriller sans surprise que j’évoquais plus haut. Le rapport que Hardy entretient avec plusieurs figures de la première enquête autour de Carroll, essentiellement féminines, est montré sous un angle qui parfois parvient même à être touchant. Vu le rythme enlevé de l’épisode, les flashbacks réguliers à différents moments de la timeline du héros, et le nombre de personnages introduits en général, on pourrait presque parler de prouesse tant cela n’était pas franchement garanti d’emblée. Et c’est tant mieux, car c’est la seule et unique raison pour laquelle le final de l’épisode parvient à arracher quelque émotion au spectateur.

Cependant, là encore et même là, il y a quelques bémols. En-dehors du duo central formé par les némésis Hardy/Carroll, les personnages qui gravitent autour d’eux sont creux et transparents ; chacun se conforme à son stéréotype, la fliquette dure, le jeune chien fou passionné, etc… Le problème c’est que ces personnages n’ont pas l’honneur d’un approfondissement tel que celui dont Hardy profite, et à travers lui, Carroll.
Les personnages féminins, en particuliers, sont d’une énorme lourdeur : la pseudo-partenaire mal lunée qui ne se laisse pas faire et garde le regard froid, la victime perpétuelle qu’il faut à tout prix protéger, et l’ancien amour pour lequel la passion brûle toujours. Si l’un ou l’autre de ces personnages (pourtant pas trop mal castés à vue de nez) peut offrir la moindre profondeur à l’avenir, ce sera un véritable élément de surprise (mais j’ai cru comprendre qu’au moins l’un de ces personnages n’était déjà plus présent dans l’épisode 1×02 ; on verra). Non qu’une série se juge à l’aune de ses personnages féminins, évidemment, mais l’abus de cliché nuit gravement à la santé.

Bien plus consensuelle qu’elle ne veut bien l’admettre, The Following n’a pas beaucoup à offrir au spectateur exigeant.
Elle remplit son office, bien-sûr : c’est la moindre des choses. Le pire qui puisse lui arriver est de perdre son efficacité, toute balisée soit-elle par les codes du genre.
Mais pour le reste, on peut se brosser : aucun passage de ce pilote ne fait la moindre démonstration d’une envie de nous couper le souffle ou de nous retourner, si ce n’est à travers quelques visions cauchemardesques et souvent sanglantes qui, je suis au regret de vous le dire, ne m’ont pas émue (par contre je me suis tordue d’horreur devant Utopia, donc je pense pouvoir avancer que ça ne vient pas du fait que je sois blasée). Il n’y a pas de concept foudroyant derrière The Following, il n’y a pas non plus, pour autant qu’on puisse en juger ici, de bouleversement dans la façon de conduire l’investigation, il y a simplement l’envie de faire du neuf avec du vieux.
D’aucuns s’en satisferont, je n’en doute pas. Mais je n’en ferai pas partie.

par

, , , , ,

Pin It

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.