Sous les pavés… rien

28 avril 2013 à 23:41

Ce n’est pas tous les jours qu’on a l’occasion de découvrir une série venue de République Tchèque ; pour moi, c’était d’ailleurs la première fois, pour ce dernier jour de la semaine Séries Mania. Hořící Keř (dévoilée aux festivaliers sous le titre Burning Bush) est une mini-séries en trois épisodes qui, paradoxalement, si sa réalisatrice n’avait pu tenir une conférence pendant 1h30, aurait sûrement pu jouir d’une diffusion intégrale pendant le festival comme cela a été le cas de Torka Aldrig Tårar Utan Handskar ; il nous aura fallu nous contenter aujourd’hui du premier volet.

Enfin, je ne dis ça, mais je ne serais probablement pas restée pour plus d’un épisode de toute façon. Agnieszka Holland, réalisatrice de Hořící Keř, a un style bien à elle, mais la voir à l’oeuvre pendant 1h24 ne m’a pas spécialement emplie d’une joie téléphagique intense. Pour une histoire aussi émouvante que celle choisie, Hořící Keř manque d’émotion.
Tout commence en effet lorsqu’un jeune homme, Jan Palach, s’immole en janvier 1969 afin de protester contre l’occupation soviétique, promettant dans une lettre qu’il laisse derrière lui que d’autres le suivront. Outre le choc que cet évènement génère auprès du public, et bien-sûr de ses proches, la série s’intéresse à une avocate qui va se trouver impliquée dans cette affaire, ainsi qu’un flic chargé de savoir si oui ou non, d’autres immolations suivront, ou si Palach était un homme isolé.

Il s’est passé à peu près 12 secondes, au début de l’épisode, pendant lesquelles j’ai été emplie d’horreur : quand celui que nous ne savions pas encore qu’il était Palach s’est renversé un premier sceau sur la tête. Malheureusement, tout le reste n’a été qu’ennui et torpeur, car même la séquence pendant laquelle la torche humaine, désemparée, traverse la rue en hurlant de douleur, effrayant les passants aux alentours, ne contenait déjà plus la moindre émotion. Là où le premier épisode va nous répéter à plusieurs reprises que la tentative de suicide (Palach survit en effet, un temps, à ses blessures – c’est pas spoiler si c’est dans les livres d’Histoire !) est devenue un deuil national, la mini-série se contente de nous montrer, comme dans un inventaire à la Prévert des réactions de chacun, des personnages auxquels il est impossible de se connecter. L’empathie ne fonctionne pas du tout devant ces gens qui, tour à tour, prennent connaissance de la tragédie. C’est même assez incroyable d’être capable d’offrir des scènes si longues et de ne pas en sortir la plus petite goutte d’émotion. Qu’il s’agisse du frère aîné de Jan, sa mère, l’avocate, le flic, les jeunes étudiants qui veulent organiser une grève nationale, et sûrement le mari de la boulangère, conservent toujours une certaine distance ; ça n’empêche pas la camera de les suivre pendant des plombes, mais on ne ressent RIEN. Et croyez-moi j’étais la première surprise.

Lors de la discussion avec Agnieszka Holland, après la projection, j’ai mieux compris d’où cela venait. Les différents extraits avaient tous un immense point commun : celui d’être longs, silencieux (même quand il y a des dialogues), chirurgicaux, vidés de toute énergie. Holland semble capable de disséquer les histoires qu’elle met en image comme un étudiant en biologie dissecte un batracien : en oubliant de s’émouvoir du coeur qui bat sous son scalpel. Accessoirement j’ai mieux compris pourquoi je n’avais jamais aeu envie d’aller plus loin que le pilote de Treme. La réalisation de Holland agit comme un garde-fou pour empêcher d’accéder à quelque chose de vibrant ; ça colle cela dit assez bien avec l’univers de Hořící Keř tel qu’il nous est présenté, un monde où l’anormal est devenu normal (ce que soulignera notre avocate à un moment : « Qu’est-ce qui est normal ? Des chars dans les rues ? Des coups de feu en plein milieu de la journée ? Aujourd’hui, ce qui est normal ne l’était pas il y a 6 mois »), et dans ce climat d’acceptation apathique générale, ou, au mieux, d’impuissance pour les rares qui osent remettre le nouvel ordre établi en question, le ton glacial et distant est finalement bien vu. Mais en tant que spectatrice, j’y réagis mal. J’attends de me lier aux personnages, pas de les couver du regard en me disant que leur réaction est compréhensible, mais que je ne la partage pas. Ne pas être capable de partager quelque chose que la série elle-même définit comme un « drame national » m’a énormément manqué.

Et tout cela est d’autant plus étonnant que la réalisatrice avait 17 ans quand elle est venue étudier le cinéma à Prague, et 18 ans quand les évènements racontés dans Hořící Keř ont eu lieu. Quel dommage d’investir si peu ce drame qu’elle a pourtant vécu aux premières loges ! Elle nous a expliqué : « pendant longtemps, il a été politiquement impossible de raconter ces évènements. C’était tourné en comédie absurde dans les fictions », et « c’était un deuil national, mais les gens ont très vite oublié ». Difficile de ne pas inclure Holland dans le lot, tant elle semble déconnectée de tout ce qu’elle nous montre.
Le frère aîné de Jan Palach, Jiri Palach, apparaissait dans les remerciements du générique de fin de Hořící Keř ; je me demande quelle a été sa participation à la mini-série, et surtout, si lui a pu reconnaître ses émotions passées dans cette litanie de scènes lentes et austères.

J’aurais aimé que ma première série tchèque soit une expérience plus positive ; ce n’est jamais bon de ne pas aimer la première fiction qu’on rencontre d’un pays, ça a tendance à fausser les découvertes ultérieures (de la même façon qu’un coup de coeur a tendance à créer un a priori positif systématique). Tant pis, je n’ai rien ressenti devant Hořící Keř, c’est comme ça. Mais au moins, ça m’aura donné l’occasion d’aller faire un peu de lecture sur Jan Palach, et donc sur l’Histoire tchèque. On ne dira jamais assez combien les séries étrangères sont aussi une façon de faire la lumière sur l’Histoire de pays dont nos études ne nous ont rien appris ou si peu ; c’est déjà ça de prix, c’est déjà ça que la série aura su apporter. Mais on ne m’ôtera pas de l’idée que c’est dommage de ne pas avoir pu aller plus loin que cela…

Voilà, la semaine Séries Mania s’achève sur ce blog ! Il aurait fallu en dire bien plus sur les projections, les conférences, et tout et tout, mais bon… Vous avez déjà pas mal de lecture !
J’espère que cette semaine exceptionnelle de posts quotidiens vous a plu… mais que vous ne vous êtes pas trop habitués, le blog repasse à un rythme hebdomadaire. A vendredi !

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1 commentaire

  1. Jérôme dit :

    « Sous les pavés… rien »

    Si, des cendres…

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