Sur un divan avec Hagai Levi

11 novembre 2013 à 19:38

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A l’occasion du « Focus sur les séries israéliennes » de ce weekend, Hagai Levi était présent afin de présenter au public français deux séries : d’abord, BeTipul, qu’il a créée, puis Nevelot, dont il a été l’un des co-scénaristes, et le story editor. Déjà que Levi partage sa vie professionnelle entre Israël et les USA, il ne fallait surtout pas manquer l’une de ses rares venues en France pour lui poser quelques questions, et c’est donc ce que j’ai fait ce weekend !

Une occasion de parler à la fois de BeTipul et Nevelot, présentées lors du Focus de ce weekend, mais aussi de parler de ses projets télévisuels à venir…

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lady – Vous avez déjà eu l’occasion, je crois, de discuter de BeTipul avec le public français ?
Hagai Levi – Oui, il y a un ou deux ans, il y a eu une projection au Forum des Images, lors de Séries Mania. J’étais donc là une ou deux fois déjà.

lady – J’étais pour ma part surprise lors de la projection du pilote ici : les gens riaient, par exemple pendant les propos explicitement sexuels… Les pilotes de la version américaine, la version argentine ou encore la version québécoise ne suscitent pas exactement le rire. Comment expliquez-vous cela ?
Hagai Levi – Vous savez, je pense qu’il y a un peu plus d’humour dans la version israélienne, elle est plus cynique et ironique, d’une certaine façon. Je pense aussi que dans la version américaine et certaines autres versions, cette histoire est traitée de façon très dramatique, et la femme est présentée sous un angle qui est plus celui de la séduction. Les choix dans la distribution que nous faisons sont également importants, et ont un impact sur le ton de la série. C’est un peu différent ici, parce que même si c’est encore tragique, l’héroïne est beaucoup plus consciente d’elle-même et de ses limites. Elle est aussi un peu plus âgée que son homologue américaine, plus sage, elle a affronté des choses… La façon qu’elle a de se connaître mène à une introspection plus ironique, et c’est ce qui rend cet épisode un tout petit peu plus humoristique.

lady – Avez-vous supervisé les différentes versions de la série ?
Hagai Levi – Oui, dans la plupart d’entre elles, en général. Je suis consultant sur les versions, je dois approuver les changements, donc oui, je garde un oeil. J’ai des coffrets DVD de chaque version à la maison, donc c’est plutôt sympa. Je ne peux pas vraiment les regarder parce que je ne parle pas la langue, mais elles sont là !

lady – Comment expliquez-vous le succès de BeTipul dans des cultures si différentes ?
Hagai Levi – C’est une énigme, je ne me l’explique pas totalement. Peut-être parce que c’est bien ? Plus sérieusement, je me disais que le spectateur manquait à la télévision de séries où il y avait une forme de vérité, et qui laissait une place au silence. La télévision, telle qu’on la connaît aujourd’hui, repose sur le mensonge assumé. C’est une telle approche, qui tente de s’approcher d’une certaine vérité, peut séduire le spectateur. Si on prend par exemple Breaking Bad : le moteur de la série, c’est quelqu’un est en train de mentir aux autres, et c’est comme ça que ça marche dans toutes les séries, c’est le cas de Mad Men aussi. Ici, au contraire, on ne peut pas mentir. On peut se mentir à soi-même, mais pas à son analyste ; je pense que c’est l’une des sources de l’attraction exercée sur le spectateur. L’autre raison, c’est peut-être aussi que l’analyse est devenue tellement présente dans la société occidentale, que ça parle à tout le monde.

lady – Cela fait maintenant une décennie depuis que vous avez commencé à travailler sur BeTipul, et huit ans que la série a débuté sur les écrans israéliens. C’était une pionnière parmi les séries israéliennes à trouver un succès international. Quel regard portez-vous sur ce phénomène maintenant, avec les nombreuses séries (Hatufim, Bnei Arova, prochainement Ta Gordin) à s’être engouffrées dans cette brèche ?
Hagai Levi – Evidemment, c’est quelque chose de formidable. Déjà parce que c’est difficile de vivre de sa plume à la télévision israélienne, il y a peu de moyens. Mais d’un autre côté, j’ai envie de dire que c’est aussi un peu inquiétant, ce processus. Je trouve que c’est important pour une télévision, dans ce cas la télévision israélienne, de refléter une culture, de refléter sa propre culture, sa propre âme. Et il y a un danger, qui est que les auteurs pourraient être tentés d’écrire de façon à vendre une série à l’étranger, comme par exemple en écrivant uniquement des séries d’un certain genre juste pour accroître leurs chances de vendre la série. Je pense que c’est un peu ce qui se passe ici. Donc c’est délicat, vous voyez. Je pense que les meilleures séries israéliennes sont des séries qui n’ont pas été vendues, et qui sont invendables dans d’autres pays pour être adaptées ; elles sont trop locales. Ce ne sont pas forcément les meilleures séries qui sont vendues à l’étranger, ce sont des séries qui sont plus adéquates pour un public mondial. C’est pour ça que ce procédé est à la fois bon, et un peu dangereux pour la création.

lady – Quelle série, par exemple, considérez-vous comme l’une des meilleures séries israéliennes du moment ?
Hagai Levi – Il y a un exemple ici, ça s’appelle 30 Shekel Leshaa, à propos de 3 travailleuses, trois employées d’entretien. On y parle d’immigration, entre autres. C’est le genre de séries qui sont, pour moi, brillantes et importantes. Personne ne l’adapterait, c’est trop déprimant, ce n’est pas glamour du tout, et ainsi de suite… et tant mieux ! Ces gens [ndlt : qui ont travaillé sur cette série] représentent leurs propres idées et leur propre réalité.

lady – Je crois que vous, vous ne développez pas le même projet dans deux pays en même temps, mais plutôt deux séries différentes ?
Hagai Levi – En effet. On peut dire que j’ai deux projets, un pour l’argent, et un pour le cœur ! [rires] D’une part je travaille aux USA sur The Affair, pour Showtime, dont j’ai appris il y a quelques jours qu’elle allait prendre vie. Ce sera l’anatomie de ce qu’est une aventure extra-conjugale. L’autre, en Israël, s’appelle Hamikulalim, « les maudits » [ndlt : en français dans le texte !], je veux parler de personnages historiques des années 60 à 80, m’inspirer des poètes maudits et raconter des artistes « totaux », des gens qui s’impliquaient totalement dans leur art. On ne retrouve plus cet engagement dans la pratique artistique aujourd’hui. Je veux essayer de comprendre ce qui m’a amené, aussi, à délaisser mes idéaux de jeunesse.
C’est un très bon exemple, c’est une histoire qui est très, très locale ; très personnelle. Ça ne sera pas un succès, ce ne sera pas vendu à l’étranger, c’est impossible. C’est trop philosophique. Mais c’est important pour moi de faire une telle série après le succès d’In Treatment, pour me prouver que je peux encore avoir foi en moi-même, en tant que créateur. L’autre série, The Affair, est quelque chose que j’ai développée directement pour le marché américain, avec une co-créatrice américaine, Sarah Treem. Elle a écrit pour In Treatment, sur les 3 saisons, c’est comme ça qu’on est devenus amis, donc ça reste en famille.

lady – Vous avez commencé à travailler à la télévision israélienne sur des telenovelas, notamment. Comment cela vous a-t-il inspiré, dans la façon dont vous envisagez la sérialisation ou les personnages ?
Hagai Levi – Bon, vous savez, les telenovelas, ce n’est pas très intelligent. Les personnages sont stupides, et les acteurs sont souvent mauvais. Ça, on ne peut pas le reprendre, la façon dont c’est fait. Mais ce que j’en ai retenu, c’est le pouvoir de la télévision quotidienne. Après tout, nous vivons une routine quotidienne ; nous mangeons, nous dormons, et ainsi de suite, chaque jour. Et j’ai pu voir le pouvoir que cela donnait d’entrer dans cette routine quotidienne avec une série.
Ce que j’en ai retenu, c’est aussi la simplicité de la production ; les telenovelas ne sont pas chères, et elles sont tournées très rapidement ; on tournait un épisode par jour. Et c’est une autre chose que j’ai faite avec BeTipul, tourner un épisode par jour, et pour chaque jour. C’est l’une des raisons pour lesquelles ce n’était pas cher. Et ce que j’ai appris, ce que je vois, c’est que plus on fait quelque chose de pas cher, plus on est très libre. Si on ne travaille pas dans un contexte coûteux, on peut faire ce qu’on veut, personne ne vient vous dire quoi faire. Après tout, ça ne représente pas beaucoup d’argent, ce n’est pas grave, vous voyez ? Et c’est souvent comme ça que je préfère travailler. Je n’aime pas travailler avec de gros budgets, parce que là tout le monde fait attention à son investissement sur le projet, et veut donner son avis sur la façon de dépenser l’argent.

lady – Vos prochains projets ne seront pas quotidiens cependant…
Hagai Levi – Non. Mais aujourd’hui c’est différent, la signification de « quotidien » et « hebdomadaire » a changé, ce n’est plus aussi important d’entrer dans le quotidien des gens. Avec internet, la VOD, Netflix ou ce que vous voulez, ça a changé les choses, la question est différente. On fait des projets de façon à ce que tout le monde puisse les regarder de la façon qui lui plaît.

lady – A propos de Nevelot maintenant, vous n’en êtes pas le créateur, mais l’un des auteurs ?
Hagai Levi – Voilà, je suis ce que l’on appelle un script editor. Il faut savoir que c’est l’adaptation d’un livre, Nevelot, et c’était un travail très difficile d’adapter ce livre, ça nous a pris quelque chose comme trois ans pour l’adapter. Mon travail était de trouver la bonne structure, les bonnes règles pour que cet étrange livre puisse fonctionner. Ce livre est, en gros, une seule ligne : « les vieux tuent les jeunes » ; c’est ce que dit le livre, c’est brillant, mais tout est dans les mots, pas dans l’histoire. Ce que nous avons dû faire, c’était prendre ce principe très simple, et créer une histoire autour de ces quelques mots, pour en faire une série.

lady – Vous avez trouvé une histoire autour de l’idée, et non l’inverse ?
Hagai Levi – Exactement. Nous avons ajouté des éléments, nous avons cherché un ton aussi. Le ton du livre est quasiment de la comédie noire, nous avons essayé d’en faire quelque chose de plus dramatique, de plus réaliste aussi. C’est impossible de croire à ce livre, l’auteur ne prêtait aucune attention aux faits, à la cohérence, il se moquait que vous pensiez que l’histoire puisse être vraie. Nous avions besoin de la rendre possible.

lady – Nevelot fait énormément de références à l’histoire, à la fois à l’histoire des personnages, leur passé, mais aussi l’Histoire israélienne en général. Comment pensez-vous qu’un public international réagisse à ces éléments ?
Hagai Levi – Bonne question. Peut-être que le sujet est universel, l’amertume des anciennes générations, la perte des valeurs, des manières, par les jeunes… Le film Falling Down de Joel Schumacher nous a inspiré en cela ; ces thèmes sont plutôt universels, vous voyez. Bien-sûr c’est très spécifique au regard de la réalité israélienne, ces gens se sont battus pendant la guerre, ils ont littéralement construit le pays, donc ils ont beaucoup plus à perdre. Mais j’imagine que le public pourrait réagir à la façon dont le monde change sans nous.

lady – C’est ce que vous ressentez ? Comment l’histoire de Nevelot a résonné pour vous ?
Hagai Levi – Ce n’est pas ce que je ressens, mais j’ai utilisé une partie de ma rage envers la société, ainsi que les autres auteurs, et nous l’avons mis dans la série. Nous pensons tous les trois que la société israélienne en particulier à Tel Aviv, est décadente, et matérialiste, superficielle. Il y manque tout sens des valeurs. Alors même si nous ne sommes pas si vieux, nous avons utilisé cette critique de la société pour la série.

lady – Avez-vous parfois pensé que les personnages étaient trop extrêmes, qu’ils allaient trop loin ?
Hagai Levi – Trop loin, comme en tuant des gens…?
lady – …Par exemple.
Hagai Levi – C’est-à-dire que c’est l’histoire, on ne pouvait pas intervenir là-dedans. Et puis c’était supposé depuis le début être extrême. En fait, nous voulions en faire plus, ajouter plus de meurtres, mais c’était un problème de budget. Mais si nous avions pu, nous l’aurions rendue encore plus violente, parce que c’était une partie de l’histoire, et puis aussi du livre. Mais dans le livre, c’est assez simple, presque désarmant, l’auteur pouvait dire en une seule phrase « nous avons tué 100 personnes de plus », et c’était tout. Qu’est-ce que vous faites avec ça ? Comment le mettre dans une série ? On ne peut pas se permettre d’ajouter toutes ces scènes. Le livre est sanglant, mais une fois de plus, c’est aussi un livre drôle, avec son propre ton de comédie noire. Mais sur un écran, on voit quelqu’un tuer une autre personne, ça n’est pas drôle. C’était ça le défi.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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