Trouble in paradise

16 mars 2014 à 19:48

Même si ses efforts passent majoritairement inaperçus par le grand public, l’Australie a déployé des efforts considérables ces dernières années pour essayer de rester pertinente en matière de télévision.

L’ambition de la télévision australienne n’est pas tant de réussir à s’exporter à court terme (bien que, hein, si ça devait arriver, eh bah ma foi…), mais surtout parce que les chaînes australiennes ont un problème assez similaire à celui des chaînes françaises : face à la concurrence de la fiction américaine, il y a longtemps eu de gros complexes. Désireuse de casser l’image de n°3 de la bande anglophone, derrière les USA et le Royaume-Uni, auprès de son propre public national, la fiction australienne tente donc par tous les moyens de se mettre en cadence et de ne pas louper le coche. Le résultat recherché ? Essayer de réussir à attirer le public australien avec un produit local qui serait autre chose que la télé réalité, et prouver qu’on sait faire de la bonne fiction.
…Sauf que maintenant il y a tellement de séries de qualité, que les chaînes ne savent plus quand les programmer. Elles en commandent même trop !

Mais je vous le disais, si jamais les séries australiennes devaient trouver de l’écho à l’international, ce ne serait pas de refus ! Et de ce côté-là, les elles peuvent dire que leurs efforts ont été récompensés ces derniers temps. Non seulement les productions australiennes s’exportent pour une diffusion à l’étranger (ce qui a toujours été), mais en plus leur format intéresse de plus en plus de monde. Bonus : là où c’étaient essentiellement des comédies qui attiraient l’attention (avec une portée limitée, comme par exemple Wilfred qui n’est pas exactement un produit mainstream et dont la version US est réservée au câble), désormais les dramas sont anoblis par le marché télévisuel mondial. Wentworth, Rake, The Slap… autant de dramas qui sont adaptés dans un à plusieurs pays.
Sur ce point, avec Secrets and Lies, Ten a décroché le gros lot. Une adaptation a directement été commandée aux USA sans passer par la case pilote… et avant même la diffusion en Australie. Si c’est pas de la confiance, ça.

SecretsandLies-AU-650

Il faut dire que, comme A Place to Call Home dont je vous parlais il y a quelques mois, Secrets and Lies prend le train en marche. La recette est éprouvée par les séries scandinaves de type Forbrydelsen ou Bron/Broen, ou encore par le succès britannique Broadchurch. SURTOUT le succès britannique Broadchurch. J’y reviens dans un instant.
Mais, de la même façon et pour les mêmes raisons que je citais dans ma review sur A Place to Call Home, le pilote de Secrets and Lies parvient à trouver une atmosphère locale, un ton plus personnel, un angle un peu moins usité que les autres, pour réussir à faire de la télévision et pas de la simple photocopie.

Dans Secrets and Lies, le point de vue adopté est celui non pas des enquêteurs, mais de Ben Gundelach, l’homme qui découvre le cadavre d’un petit garçon, un matin en allant faire son jogging. Évidemment, notre homme n’est pas un passant quelconque qui va se désinvestir de l’enquête après cette macabre découverte : il est le voisin d’en face de la famille du petit, et bien-sûr… il est sur la liste des suspects. Quand je vous disais qu’on allait reparler de Broadchurch. La ressemblance est d’autant plus frappante qu’il s’agit ici de radiographier la vie de la famille Gundelach ; après tout, c’est ce que le titre le moins subtil au monde de l’histoire des titres de séries souligne avec la plus grande élégance.

Je vais honnête avec vous, jusque là je n’avais pas été motivée pour regarder Broadchurch parce que j’étais fatiguée des enquêtes policières sur des enfants morts (oui quand on le dit comme ça, Top of the Lake & tutti quanti, c’est moins glamour, hein). Mais devant les similitudes de pitches, j’ai quand même décidé de sauter le pas il y a quelques heures, histoire d’en avoir le cœur net.
Ahem.
Donc j’en suis à l’épisode 4 de Broadchurch, et je peux vous assurer que les ressemblances s’arrêtent à peu près là.

Là où Broadchurch s’ingénie à montrer le travail de deuil sous toutes ses formes, le pilote de Secrets and Lies l’évite singulièrement, et les 5 épisodes suivants ont peu de chances de s’y intéresser beaucoup étant donné que le point de vue de la famille du défunt est totalement observée de l’extérieur. Or comme l’a prouvé Broadchurch, le premier réflexe d’une famille en deuil n’est pas exactement d’aller bavasser avec les amis et voisins, mais surtout de s’enfermer à la maison, sous le choc. En nous privant de la perspective de la famille du petit garçon, Secrets and Lies évite donc presque totalement cet angle dramatique, pour à la place voir l’évènement à travers les yeux d’un homme qu’on n’a pas lieu de soupçonner, puisqu’il n’a fait que découvrir le corps dans les bois, par hasard.

En fait, toute l’ambition de Secrets and Lies est d’observer comment le choc de cette découverte horrible, mais moins personnelle que si elle était celle de son propre fils, va transformer la vie de Ben Gundelach. Parce qu’en tant qu’humain, il est quand même dévasté (j’en suis à 4 épisodes de Broadchurch et tout ce que je sais de la découverte du corps de Danny, c’est qu’on l’a trouvé sur la plage, et absolument pas qui a eu le plaisir de cette trouvaille). Comme c’est aussi un voisin, il va progressivement penser aux liens qui l’unissent au petit (sa fille le baby-sittait). Et puis, il va vouloir aller consoler la mère du gamin… qui n’est pas exactement disposée à cela.
Pour augmenter les enjeux, comme je vous le disais, Ben va apparaître sur la liste des suspects, ce qui est logique. Le pilote se garde bien de nous donner une réponse claire à cette question : l’épisode commence quelques secondes après la découverte du corps. On ignore ce qui s’est passé avant cela.
En comprenant par à-coups que la police ne le considère pas comme un simple badaud, on partage avec Ben Gundelach son étourdissement grandissant. Dans un premier temps, il coopère, puis trouve que c’est quand même trop fort qu’on le suspecte, bref passe, en moins d’une heure, par de nombreuses phases qui sont au premier plan dans l’épisode. Le mystère de la mort du petit garçon reste présent en toile de fond, comme le prouve clairement le cliffhanger de fin d’épisode, mais seulement de façon secondaire.

A travers le bouleversement que vit Ben, on va aussi comprendre que sa vie n’était pas parfaite avant même ce décès et ces accusations. Que l’argent n’est pas au mieux. Que son mariage n’est pas au mieux. Bref que les contrariétés étaient déjà nombreuses et que là ça commence à faire beaucoup.
C’est bien joué d’ailleurs, parce que du coup on peut continuer de croire qu’il est décidément victime des circonstances, que tout lui tombe dessus. C’est pratique. Impossible de savoir si c’est vraiment le cas, et l’ambiguïté joue en faveur de Secrets and Lies.

A cet angle plutôt original, encore faut-il ajouter la photographie réussie de Secrets and Lies. C’est, assez littéralement, comme si vous aviez une série scandinave sous le soleil océanique : couleurs vives, ciel bleu, flore verte et abondante, chaleur, humidité « tropicale », etc… Le dépaysement est complet, et l’impression de chaleur constante, à plus forte raison alors que la série débute juste avant que les personnages ne fêtent Noël, ajoute à la sensation d’étouffement. Résultat, on n’a pas du tout l’impression d’une redite, bien que la longueur des plans indique que la production a été à bonne école en regardant consciencieusement les séries sus-citées.

Le seul défaut de Secrets and Lies, comme évoqué plus tôt, c’est que la fiction australienne est maintenant trop nombreuse sur les écrans ; face à Love Child qui fonctionne si bien depuis quelques semaines, la série a eu énormément de peine à démarrer ; et vu qu’elle ne compte que 6 épisodes, c’est vrai que l’investissement n’en vaut pas la peine pour un téléphage qui devrait faire un choix avec sa télécommande, alors qu’en face, Love Child, hautement feuilletonnante, est déjà renouvelée pour une saison 2. Quelle raison d’abandonner l’une pour l’autre pour le spectateur australien ?
Mais vous n’avez pas ce problème, ni cette excuse ; il ne vous reste donc plus qu’à démarrer Secrets and Lies. Et moi, pendant ce temps, je finis Broadchurch… Deal ?

par

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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