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20 mai 2014 à 21:49

Il y a une raison pour laquelle je me méfie des projets, et plus encore, une raison pour laquelle j’essaye d’éviter au maximum d’en attendre avec impatience : c’est qu’il n’y a rien de pire que de finir par découvrir que le produit final, s’il vient à exister, n’est pas à la hauteur de ce qu’on avait imaginé. On suit les petites news, on croise les doigts en attendant les grandes, on surveille les dates de tournage, on guette les premières photos, on retient son souffle en attendant les premières videos… Heureusement parfois on est aidés.
Mais le plus souvent, c’est plus une question de foi qu’autre chose. Les mois passent, le monde n’arrête pas de tourner, et certainement pas le monde téléphagique avec son cortège d’infos à traiter et d’épisodes à regarder, mais en tâche de fond, on a ce projet, là, qui nous rend si impatient. Et plus l’attente est longue, plus l’anticipation est grande… plus cette foi peut être aveugle.
Au bout du compte, on finit par se retrouver là, devant le pilote, le doigt sur la touche du clavier, à se dire : « merde, et si j’en attendais trop ? ». Et dans le fond, on l’aura bien cherché ! C’est tellement idiot d’avoir suivi un projet plus que les autres… « Soit je vais aimer celui-ci, soit je vais être terriblement déçue… et si je l’apprécie, au juste je ne saurai jamais si c’est parce que je l’attends, l’épie et le décortique depuis des mois. Allez zut, tiens, je le regarde pas ! ».

Après 448 jours d’attente, me voilà donc enfin devant le pilote de Halt and Catch Fire, les yeux cachés derrière ma main de peur de voir le crash se produire… les doigts écarquillés pour n’en pas louper une miette.

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Deux visionnages plus tard (chose rare pour moi qui préfère écrire après un seul), je suis plutôt satisfaite de ne pas voir que du bon, mais de ressortir de ce pilote avec une impression largement positive tout de même.

Positive parce que Halt and Catch Fire nous plonge dans un univers complexe sans jamais s’en excuser.
Il n’est pas question que de vocabulaire, de technobabble qui nous serait lancé au visage pour nous impressionner et/ou nous donner l’impression d’arriver dans un milieu spécifique, mais bien d’un véritable jargon que la série impose de comprendre pour suivre l’intrigue (un peu comme Silicon Valley impose, certes sur un tout autre ton, de comprendre la culture des start-ups du pôle dont elle tient le nom, pour saisir les enjeux). Il faut se mettre dans le bain, et la tâche ne nous est pas facilitée parce que Halt and Catch Fire a autre chose à faire que de nous prendre par la main ; d’ailleurs c’est également vrai pour une bonne partie de son exposition. L’épisode s’adresse à des spectateurs intelligents qui, s’ils ne sont pas toujours à même de tout comprendre, auront au moins l’élégance de combler les trous par eux-mêmes ; ce n’est pas le pilote qui va prendre le temps de faire dans la pédagogie.

Car outre les questions purement techniques (et il va y en avoir une partie assez longue vers le milieu du pilote), qui conditionnent des points d’intrigue ultérieurs, et qu’il ne faut donc pas mettre de côté en se disant qu’elles sont cosmétiques, l’épisode inaugural met aussi en place un stratagème qu’il faut suivre, quand bien même il n’est pas certain qu’il ait été planifié dés le départ, ou au moins pas sous cette forme. Halt and Catch Fire ne nous dévoilant rien, ou presque rien, des motivations de l’un de ses héros, Joe McMillan, il faut conclure soi-même, réfléchir à cent à l’heure tout en n’en perdant pas une miette. Ce n’est pas exactement la chose la plus complexe que votre cerveau réalisera dans sa vie, bien-sûr, mais le procédé a le mérite d’impliquer le spectateur intellectuellement, de l’obliger se mettre au même niveau que les protagonistes. Le ton de ce premier épisode est essentiellement logé dans cette caractéristique : les personnages sont tous intelligents, et tous très vifs : le spectateur n’a pas d’autre option que de l’être au moins autant qu’eux.
En fait, l’émotionnel, sans être absent de ce premier épisode, est largement mineur ; on est capable de comprendre ce qui torture certains personnages (certainement pas tous), à l’instar du couple Clark qui apparaît comme très humain, mais Halt and Catch Fire ne joue pas sur l’affectif et dans le fond, ce premier épisode se moque comme de sa première ligne de code que vous aimiez les personnages. Il est beaucoup plus intéressé par la perspective que vous les suiviez dans leur cheminement de pensée.
C’est ce que montre d’ailleurs la façon dont Joe McMillan est suivi dans ce premier épisode. C’est un Don Draper, comme tout le monde vous le dira parce qu’une série dramatique qui n’est pas comparée à Mad Men n’est pas une vraie série, et encore moins sur AMC. Joe McMillan a un passé flou et des intentions plus brumeuses encore… mais le pilote de Halt and Catch Fire se contrefiche totalement que ça n’encourage pas le spectateur à se lier à lui ! Vous n’arrivez pas à apprécier son côté torturé. Pas grave. L’idée est plutôt de voir comment il tente d’en arriver à ses fins. La vraie question qui motive ce pilote est plus de savoir quand il a préparé son coup, et quand il improvise ; le reste viendra plus tard et à vrai dire on n’est pas plus pressés que ça, non plus que les créateurs. D’ailleurs Joe est finalement décrit comme un loser, et qu’il se planque derrière son apparence propre sur lui pour camoufler ce fait ; cette apparence nous convient très bien dans un premier temps. Il importe peu au scénario, pour que les choses se mettent en place, que cet aspect policé ne soit qu’une façade, pourvu que le stratagème se mette en place.

Tout n’est pas parfait dans ce premier épisode, comme je le disais. Les personnages ne sont pas égaux face à leur mise en place ; en particulier, la programmeuse Cameron Howe est traitée de façon très superficielle (elle est badass, la preuve elle a les cheveux courts, joue à des bornes d’arcade avec un unique jeton, couche avec le premier venu et porte des treillis ; there, done). A l’inverse on passe vraiment beaucoup de temps sur Gordon Clark, alors que finalement il n’a pas une grande valeur ajoutée en tant que personne dans cet épisode, mais juste en tant que cerveau qui permet à McMillan d’arriver où il le souhaite. Tous les tourments que Clark connaît de par sa conviction de pouvoir accomplir de grandes choses et d’être actuellement limité, ne sont pas très porteur dans cet épisode d’exposition, et il faut espérer que quelque chose de plus conséquent arrive derrière.
Il y a les performances, aussi : Toby Huss est bon, mais il surjoue un peu par rapport aux autres ; à l’inverse Lee Pace est raide et bien que cela serve en grande partie son personnage, on attend quand même qu’il sorte un peu des clous (ça n’arrivera brièvement que dans une scène).
Halt and Catch Fire tente d’impressionner visuellement, aussi ; la séquence dans le garage des Clark est à ce titre plutôt réussie, tirant bien partie du montage et de la musique qui sont particulièrement mis en avant pendant ces quelques minutes ; par contre toutes les scènes dans l’appartement vide de McMillan sont totalement dispensables et dans la surenchère de filtres et d’effets.
Rien de tout cela n’est irrémédiable, heureusement. Bien au contraire, qu’il y ait une marge de progression me donne une envie supplémentaire de suivre la série.

Mais c’est surtout pour ce que Halt and Catch Fire annonce de profondément feuilletonnant et d’intelligent que ce pilote a du mérite. On n’a pas l’impression qu’il soit possible à un futur épisode de se contenter de s’absorber dans la contemplation des personnages. Les enjeux sont nombreux et trop grands ; on voit se dessiner très vite l’horizon de la série, non parce qu’on en devine la suite mais parce qu’il y a des impératifs dés ce pilote, des objectifs clairement fixés, des échéances même, en quelque sorte. Et tout ça à un rythme soutenu, faisant mentir tous ceux qui pourraient croire qu’entendre parler de microélectronique soit ennuyeux !

Le Dieu de la Téléphagie en soit loué, non,  ce pilote de Halt and Catch Fire n’est pas parfait. Mais il est bon, très bon.
Ça va être un chouette été, tiens.

par

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

1 commentaire

  1. Yann dit :

    L’épisode me plait bien aussi.
    Les scènes avec le couple Clark m’ont fortement fait penser à The Americans.
    Et puis, y a pas un truc bizarre avec les sourcils de Pace ?

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