Escapismo

21 juin 2014 à 12:00

SpanishGlitch-650

Première partie de notre weekend de « Dystopies espagnoles » aujourd’hui, avec le pilote de La Fuga.

Dans un futur pas si lointain, les ressources pétrolières de la planète sont quasiment épuisées, ce qui a conduit le monde tel que nous le connaissons à se détruire. Après des émeutes, désormais, une immense dictature contrôle le globe :  nul ne peut échapper à la tyrannie. C’est la raison pour laquelle la Résistance se dresse, seule, contre ceux qui contrôlent à la fois les biens et les personnes.
Le risque ? Être capturé par les autorités, et envoyé dans une des prisons de haute sécurité qui jalonnent les océans : toutes les plateformes pétrolières sont en effets devenus des geôles dont il est impossible de s’échapper…

LaFuga-650

Dans tout cela, Daniel et Anna font figure de couple idéal, comme ayant échappé à la brutalité du monde. L’épisode commence à l’eau de rose, alors que tous deux sont en train de roucouler dans une chambre baignée d’une lueur sublime. Épris l’un de l’autre, romantiques comme c’est pas permis, ils décident sous nos yeux de se marier… mais la cérémonie est de courte durée lorsque la police intervient : ils font en effet partie de la Résistance. Daniel est arrêté en cherchant à protéger leur chef, Jan, tandis qu’Anna échappe aux autorités. Elle assiste à l’arrestation de celui qui est désormais son mari, et c’est ainsi que naît la décision de le sauver.
Cette décision va mettre 5 ans à se concrétiser (oh oui, on va avoir droit à un fast forward, c’est la loi maintenant vous ne savez pas ?). Après des années d’entraînement et d’excellents résultats au sein de l’État, Anna a réussi à se faire embaucher comme gardienne de prison. Elle est affectée à la Torre (la Tour), l’une des plateformes pétrolières transformées en prison, où Daniel est incarcéré. Son but ? Le faire s’échapper, ce qui semble assez difficile comme cela ; pire encore, comme elle accepte l’aide de la Résistance, qui a déjà quelqu’un à l’intérieur de la prison, elle doit aussi faire s’évader quatre autres prisonniers…

Évidemment, La Fuga a une petite dette envers Prison Break, mais pas seulement, puisqu’elle évoque aussi un peu Logan’s Run par son côté dystopique. Si ce premier épisode ne se distingue pas spécialement par sa subtilité, particulièrement pendant son introduction un peu précipitée, en revanche il se montre franchement efficace. La Fuga mélange ainsi deux genres : l’anticipation d’une part, puisque son commentaire politique est explicite, et rappelé à plusieurs reprises pendant ce premier épisode, et la série carcérale d’autre part.
Bien que le côté carcéral occupe la majeure partie de l’intrigue, le côté dystopique n’est jamais loin. Il aurait uniquement pu servir pour l’exposition, après tout : une fois qu’on est entre les murs d’une prison, qu’importe le climat politique dehors ? Mais l’épisode inaugural parvient très bien à exploiter le contexte idéologique dans lequel tout le monde a grandi. Derrière la question du pétrole, qui m’avait fait craindre une fable écologique et qui est rapidement écartée (en fait elle est surtout destinée plutôt à expliquer la situation géographique de la Tour), c’est principalement le concept de police de la pensée qui intervient régulièrement. Cette idée sous-jacente réoriente même l’intrigue de façon à lui éviter de verser dans un extrême.

Cela s’illustre très bien par la façon dont le capitaine Miguel Reverte mène l’équipe des gardiens.
Imaginez un connard musclé avec des tendances à la cruauté touchant au pervers, et vous avez un portrait plutôt complet de cette raclure (maintenant imaginez-le dans un Tshirt en lycra noir très moulant ? bingo). Lorsqu’Anna arrive, il l’accueille, lui assigne une formatrice, et lui montre aussi les astuces de la vie dans la Tour. Si jamais un nouveau gardien chercher à savoir comment torturer un prisonnier, par exemple, c’est clairement à Reverte qu’il faut demander un tuyau ! Il expliquera même volontiers comment laisser le moins de traces possible. Charmant, je vous le disais.
Alors qu’une bonne partie de l’épisode va nous montrer le capitaine dans diverses situations de ce genre, en cours de route, La Fuga va l’obliger à mettre de l’eau dans son vin. Les ordres vont venir d’en haut et, même si Reverte semble de toute évidence tirer une jouissance malsaine de la souffrance des prisonniers, il va être contraint de devoir renforcer leur sécurité… ce qui ne manque pas d’ironie vu qu’il n’aime rien tant qu’en voir se faire exécuter ! Reverte va donc devoir s’inventer une morale ou, à défaut, quelque chose qui y ressemble, pour conserver son statut dans la Tour. Il ne devient pas « gentil », mais il n’est pas un « méchant » monolithique, et ça rend les prémisses de la série d’autant plus intéressantes.

Il y a d’autres choses que j’ai particulièrement appréciées dans ce premier épisode.
Par exemple, même si cette enflure de Reverte est un salaud fini, et que beaucoup d’autres gardes sont comme lui plus ou moins par habitude, tous ne sont pas unilatéralement montrés comme des brutes. Ainsi, la camarade de chambrée d’Anna, et également son instructrice à son arrivée, Marla, est un personnage qui prend part à la violence ambiante de la Tour (quand il faut intervenir, elle ne reste pas les bras ballants), mais son compas moral n’est pas en panne. Elle a peu de scènes, mais son interprète Jennifer Rope évoque quelque chose de subtil, bienveillant et même émouvant, d’une certaine façon.
Certains autres personnages, bien que dans une moindre mesure, sont montrés comme de véritables êtres humains et pas des tortionnaires dans l’âme ; c’est le cas du la psychologue, Dr Marta Romero, ou du directeur de la prison, Enrique Graus. La raison pour laquelle ils participent à l’ambiance terrifiante de la Tour ne se loge pas dans un sadisme latent, mais plutôt dans la façon dont leurs faiblesses les gouvernent, voire même dans leurs qualités. Leurs choix (notamment dans la seconde partie du pilote) sont intéressants à observer, car ils totalement sortent de la caricature et les rendent ambigus.

D’une façon générale, La Fuga évite beaucoup des poncifs habituellement servis. Par exemple, les groupes de prisonniers ne se forment pas par ethnie ou par religion, mais plutôt par similarités de caractères et/ou de valeurs politiques. Les membres de la Résistance qui sont emprisonnés dans la Tour font figure de parias, car ils sont incompris des prisonniers condamnés pour des crimes plus classiques, et détestés par les geôliers qui comme la plupart des civils se conforment à l’idéologie du pouvoir en place. Personne ne veille donc sur eux, si ce n’est la mystérieuse personne que la Résistance a déjà infiltré dans la Tour (et j’avoue que j’ai eu un doute pendant un court moment sur son identité, qui nous sera révélée avant la fin du pilote).
Pour finir, une autre originalité de la Tour, c’est qu’il s’agit d’une prison mixte où les prisonniers hommes comme femmes sont enfermés au même endroit, séparés seulement par un grillage ; il leur arrive même de partager ponctuellement un couloir ou un atelier. De la même façon, et cette partie-là sert totalement l’intrigue évidemment, les gardiens exercent indifféremment dans le quartier des hommes et des femmes. Ça donne un ensemble drama très mouvant, très fluide, où potentiellement tous les personnages peuvent se croiser, ce qui ouvre des tas de possibilités. C’est plutôt bien joué sur le principe, et tout aussi bien exploité dans ce premier épisode où visiter un quartier puis un autre permet d’aérer le récit avec intelligence. D’ailleurs la mission d’Anna est compliquée par ce facteur de façon implicite, puisqu’elle doit faire s’échapper trois hommes et deux femmes. Vu qu’ils ne crèchent pas dans les mêmes quartiers, ça va être sportif !

Il y a donc pas mal d’éléments intéressants dans ce premier épisode de La Fuga.
Mais je conclurai par celui-ci : bien que le premier épisode dure 85 minutes, il est clairement pensé pour pouvoir s’adapter à une diffusion par épisodes de 40 et quelques minutes. Concrètement, à peu près vers le milieu, il y a une possibilité de coupure assez claire pour une chaîne qui voudrait, oh je sais pas moi, disons, diffuser La Fuga dans un créneau d’1h pub comprise. J’ai rarement vu une césure aussi nette ! La Fuga a été pensée, au moins en partie, pour l’exportation ; d’ailleurs l’épisode se garde parfaitement de citer des noms propres, et le fait qu’il y ait une dictature globale aide à rendre le contexte très universel.
Rien, absolument rien ne s’oppose à son voyage hors des frontières espagnoles, en-dehors de la frilosité des diffuseurs. Pas faut de les avoir encouragés à plusieurs occasions : La Fuga faisait notamment partie de la (w)IT List, la liste des fictions fortement encouragées à être acquises pendant le MIPTV 2012. A leur décharge, même Telecinco a eu des doutes, d’ailleurs on y revient dans le fun fact de ce soir. Diffusion en primetime espagnol traditionnel (ou français…) ou pas, elle peut tout faire ! C’est assez intéressant, une série qui a ce genre de flexibilité, au moins sur le premier épisode : je n’ai pas encore vu la suite.

Ce que je vais m’empresser de faire, d’ailleurs. Et si votre moteur de recherche favori vous démange, sachez que je ne saurais que vous encourager à vous lancer vous aussi à l’assaut de la Tour !

Le reste du weekend sera consacré au thème « Dystopies espagnoles », alors ne loupez pas le fun fact de ce soir… ni les publications de demain !

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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