Toutes les familles

5 octobre 2014 à 23:18

Regarder une série familiale a pour moi quelque chose de profondément intime, compliqué, et pourtant fascinant. A chacun son histoire familiale et donc, à chacun son rapport avec les séries familiales ; ça fait partie de ces genres qui touchent personnellement avant que quoi que ce soit d’autre ne se produise. En ce qui me concerne c’est une relation d’amour autant que de haine ; ces derniers mois, j’admets que c’était plutôt de haine.
Mais la réconciliation est en chemin et quelle meilleure famille pour cela que les Braverman ? Voilà donc une review suite au revisionnage de la saison 1.

C’est dans une famille de San Francisco qu’on pose cette fois nos valises ; le clan Braverman, c’est 4 générations, 9 membres… plus les pièces rapportées. Sans même parler de celles qui vont s’y greffer en cours de saison.
Il y a d’abord les aînés : Zeek et Camille, retraités, qui vivent dans leur vieille maison familiale où ils accueillent la plupart des rassemblements ; Adam et son épouse Kristina, parents d’une adolescente plutôt sage, Haddie, et de son turbulent petit frère Max ; Sarah, divorcée et assumant seule l’éducation de ses adolescents Amber et Drew ; Julia, une avocate très occupée qui se repose sur son mari Joel pour s’occuper de leur fille Sydney ; et enfin Crosby, phobique de l’attachement qui est en relation depuis des années avec Katie, mais qui a le poil qui se hérisse sur le dos lorsqu’elle parle de son désir d’enfant.

Les Braverman démarrent leur saison inaugurale mi-figue, mi-raisin. Le retour de Sarah, qui revient après avoir élevé ses enfants à Fresno, leur permet de se regrouper pour la première fois depuis des années. Tout n’est pas rose pour autant. Adam et Kristina commencent à avoir une piste d’explication quant aux difficultés qu’ils rencontrent avec Max, par exemple, et elle n’est pas exactement rassurante. Julia essayent d’avaler la pilule lorsqu’elle réalise que Sydney s’est plus attachée à Joel qu’elle, simplement parce qu’étant père au foyer il a plus de temps à consacrer à la petite. Quant à Crosby, il est noyé dans sa terreur de devoir démarrer une famille avec Katie ; ça ne va pas s’arranger quand un ancienne conquête lui tombe dessus et lui apprend qu’il a un fils de 5 ans.
Dans tout ça, ce sont Zeek et Camille qui apparaissent comme les plus stables ; Zeek est un grincheux un peu réac, et Camille a cette présence discrète de tant de femmes de sa génération.

Plus la saison va avancer, plus le couple des grands-parents va devenir une véritable épine dans le pied de tout le monde. Zeek, en particulier, passe de « grand-père un peu chiant » (Adam s’engueulera avec lui dés le pilote, après tout) à « gros boulet certifié » en ayant absolument tout faux, toujours, tout le temps. Il est d’autant plus agaçant comme personnage qu’il n’a finalement de lien privilégié avec personne (là où Camille, toute effacée qu’elle soit, noue clairement des rapports avec Sarah et dans une moindre mesure, Julia), ce qui ne lui donne aucune qualité rédemptrice.
Lorsque les Braverman apprennent, un à un, que non seulement il est financièrement dans la panade, mais en plus il a trompé son épouse par le passé, il devient encore plus difficile à apprécier (pour un peu on le rendrait presque coupable de la crise des subprimes). La saison s’oriente alors vers une opération de sauvetage financier, pilotée par Julia qui peut enfin se servir de son univers professionnel pour sa famille, et non contre elle comme elle en a souvent le sentiment.
L’intrigue n’est pas toujours extraordinairement gérée, mais il en sort une intéressante façon de casser la tendance de tant de séries familiales (comme Brothers and Sisters ou même Modern Family) de ne s’intéresser qu’à des cercles familiaux où l’argent semble toujours être a non-issue.
Certes on parle quand même de problèmes financiers de gens qui ont investi dans l’immobilier, d’une famille où le PdG d’une entreprise essaye d’aider et où une avocate pouvant se permettre d’être le seul salaire de son foyer intervient, mais globalement ça fait quand même du bien que le problème numéro un des familles depuis que le monde est monde, c’est-à-dire l’argent, soit représenté dans une série familiale.

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Pour toutes les fois où Zeek tape sur les nerfs de tout le monde et sort encore une bourde monumentale, fort heureusement, il y a d’autres intrigues de Parenthood pour compenser.

La palme revient sans hésitation à Max, dont on découvre le diagnostic d’Asperger en même temps que ses parents, et aux côtés duquel on fait progressivement le chemin. Adam et Kristina sont perdus, mais ils ont la chance de n’avoir pas trop à se poser la question financière ce qui leur permet de faire appel à des professionnels ; l’arrivée de l’auxiliaire Gaby dans la vie de Max a un petit côté Helen Keller au départ, mais devient finalement un outil puissant pour montrer à la fois l’évolution de Max, et celle de ses parents.

Ensuite je dirais que toutes les intrigues relatives à Amber arrivent en seconde position, essentiellement parce qu’elles sont magnifiquement portées, et généralement plutôt bien écrites aussi. Amber c’est cette adolescente écorchée vive qui n’a pas mauvais fond mais se refuse obstinément à le montrer, et qui va donc aligner les maladresses à cause de ça. Si on se désintéresse totalement des affaires sentimentales de Sarah, c’est quand elles touchent directement Amber que ça devient réellement touchant ; si Haddie semble invisible et docile, c’est quand elle a des points de friction avec sa cousine qu’elle prend des couleurs… Amber est puissante comme ça. Dommage pour elle qu’elle ne le sache pas toujours. L’avantage c’est qu’en étant la force motrice de tant d’intrigues et même, de personnages, Amber sort du stéréotype dans lequel elle aurait pu très vite être enfermée, celle de l’adolescente à problèmes ; cela lui permet au contraire d’avoir de la complexité, de la profondeur, et d’explorer de nombreuses facettes de sa personnalité.

On se prend de sympathie pour les errances de Crosby ; le leitmotiv de la série étant que la parentalité est incontournable (bon, c’est son principe, admettons), Parenthood questionne son statut parental en lui flanquant un enfant dans les bras plutôt qu’en essayant de définir, autrement que par des clichés, ce qui le retient vraiment. Dommage. Il en ressort cependant une jolie histoire avec son fils Jabbar, qu’il ne connaît pas et dont il va progressivement dévoiler l’existence à ses proches. Deuxième regret sur cette intrigue : qu’elle passe totalement sous silence ce qu’il serait étonnant que personne n’ait remarqué (même pas Zeek qui se contentera d’un échange de regards avec son fils), c’est que l’enfant est métis. Parenthood ne fait pas preuve de beaucoup de bravoure lorsqu’elle évite soigneusement la question raciale (se contentant de l’amener sur le tapis… sous la forme d’accusation de racisme anti-blanc pendant une scène d’engueulade !), et c’est d’autant plus regrettable que sur la question de Max, la série ne s’épargne absolument aucune question complexe, ne laisse aucun recoin non-exploré, alors que pour Jabbar, elle ferme totalement les yeux à tous les égards. Dans une famille où tout le monde, jusque là, est gentillement resté entre blancs, que l’arrivée de Jabbar et de sa mère Jasmine ne surprenne pas plus est déjà une surprise en soi. Encore heureux que la relation entre Crosby et Jabbar soit bien exploitée, sinon cela deviendrait même le maillon faible de la saison.

En bout de course on trouve Julia, qui bien qu’elle soit personnellement ma préférée des Braverman, a toujours un peu le mauvais rôle, un peu comme son père (pas étonnant qu’elle soit si proche de lui en fin de saison, du coup). La culpabilité qu’elle éprouve dans le pilote, et qui la rendait humaine, sera brutalement balayée pour laisser place à des démonstrations d’arrogance, d’esprit de compétition, de jalousie suspicieuse et de complexe de supériorité. Julia ravive les Mommy Wars et n’apporte malheureusement rien au débat ; lorsqu’elle s’exclame maladroitement qu’une autre mère de famille (un peu trop proche de Joel à son goût) ne travaille « même pas », il aurait par exemple été intéressant de la voir se confronter à sa belle-sœur Kristina… qui est exactement dans la même situation de mère au foyer. Mais pas du tout. Le personnage de Julia est gravement lacunaire à plein d’égards (sa jalousie vis-à-vis de la femme en question n’a absolument aucune incidence sur la façon dont elle ramène dans sa vie l’un de ses ex, en fin de saison), et malgré cela il parvient tout de même à totalement écraser celui de Joel, qui n’existe à l’heure actuelle que par son statut de Tony Micelli.

De la même façon que toutes ces intrigues ne sont pas égales, il y a aussi des personnages et des dynamiques qui sont mieux choyés que d’autres. Ainsi, la relation entre Sarah et Adam (mon Dieu j’ai rarement vu une alchimie aussi évidente !), et dans une moindre mesure celle entre Adam et Crosby, montrent qu’il y a des membres de la famille qui sont proches les uns des autres… et qu’il y a les autres.
Julia a presque systématiquement des intrigues à l’intérieur de son foyer ; les intrigues de Sarah lorgnent toujours vers l’extérieur au contraire. Crosby a une capacité de compartimentation impressionnante, de son côté : il lui faudra ce qui ressemble à une moitié de saison (j’ai pas pris de notes) avant de finalement dévoiler l’existence de son fils à ses parents puis organiser leur rencontre. Adam, quant à lui, agit plutôt comme le ciment des relations intra et intergénérationnelles (ce sera d’ailleurs explicité vers la fin de la saison), tout en étant très, très présent dans son propre foyer, et même en trouvant le temps d’être père de substitution pour son neveu Drew (pas étonnant qu’il nous fasse un petit burn-out).

De par les intrigues elles-mêmes et par les échanges entre certains personnages plutôt que d’autres, certains Braverman se retrouvent ainsi mieux mis en avant que d’autres ; ça met quand même un peu de plomb dans le concept d’ensemble show. Certains joueurs de la saison se retrouvent en forte carence, ou cantonnés à un ou deux épisodes glorieux (Kristina n’a par exemple pas le traitement qu’elle mérite mais quand elle l’obtient, c’est puissant ; Drew est en sous-emploi alors que ses problématiques sont extrêmement intéressantes sur la question-même de parentalité ; Joel est totalement inexistant… mais je crois me rappeler qu’il en prend précisément conscience ensuite). Cela rend la saison imparfaite et même parfois bancale.

Reste que Parenthood cerne plutôt bien son sujet, sans jamais totalement mettre l’humour de côté mais avec une grande sincérité, et donc une bonne dose d’émotion.
Elle fait partie de ces séries familiales qui ne sont ni totalement dans le réalisme, ni absolument déconnectées de la réalité. On y vit dans une espèce de fantasme de la famille, une vision un peu idéalisée où aucune intrigue ni aucun personnage ne fait appel à l’identification, mais où on n’a pas l’impression d’être sur une autre planète. Les quelques scènes de réunion familiale autour d’un repas ou autre (hélas trop peu nombreuses à mon goût, surtout si on persiste à comparer à un Brothers & Sisters) sont pleines de vie, et ont quelque chose de très réaliste, mais le reste du temps, c’est presque comme si Parenthood remplaçait la chaleur par un discours sur la chaleur. Ce qui n’est pas un tort, c’est un choix et il se respecte.
Mais l’émotion de la série ne parvient pas de l’impression qu’on s’est trouvé une famille d’adoption, comme c’est le cas de tant de familles télévisées. On suit à la fois le quotidien de ces gens, et on est invités à réfléchir dessus, mais pas forcément à y entrer et s’y intégrer. C’est rarement le but recherché d’une telle série, mais dans le cas présent, ça marche.

Reste qu’on se lie quand même aux Braverman, et la meilleure preuve, c’est que j’attaque la semaine prochaine la saison 2 !

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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