Fire in Soweto

16 octobre 2014 à 22:56

Les séries sud-africaines ne sont, hélas, pas les séries plus faciles à voir, même en ces heures de mondialisation galopante. Et quand elles sont visibles (généralement par l’achat en import de DVD ou en guettant le compte Youtube de la chaîne publique SABC), rares sont les fictions historiques. Ajoutez à cela le fait que j’ai apprécié l’immense majorité des séries sud-africaines que j’ai pu voir jusque là, et ça fait vraiment beaucoup de raisons de tenter When We Were Black, un drama qui se déroule en 1976 à Soweto.

Trigger warning : torture, violences policières.

Petite remise en contexte : dans les années 70, l’Apartheid est en Afrique du Sud une réalité quotidienne. En fait ça ne semble pas du tout s’arranger, alors que le Gouvernement (blanc) décide d’introduire une nouvelle obligation dans les écoles : désormais les matières scientifiques seront enseignées en afrikaans. Issue du néerlandais et de la colonisation, cette langue est surtout celle des blancs, pourtant en minorité numérique dans le pays ; or jusque là, les cours dans les écoles noires se déroulaient dans un mélange d’anglais et de langues africaines comme le zoulou, bien plus pratiquées par les élèves.
Dans les townships, notamment, ces quartiers pauvres où sont littéralement parqués les Sud-africains noirs depuis qu’ils ont été expulsés de leurs logements, la décision est mal accueillie. A un tel point que le 16 juin 1976, les élèves noirs de Soweto, le township le plus peuplé du pays, vont se lancer dans une manifestation qui va être sévèrement réprimée ; de nombreux adolescents seront ainsi tués par les policiers.

C’est ce que racontent les 4 épisodes de When We Were Black. Mais la mini-série ne veut pas nous décrire les évènements comme dans une leçon d’Histoire, elle ne fait référence à aucune chronologie et se concentre sur le quotidien des townships sous l’Apartheid.
Son héros, Fistos, est un adolescent assez quelconque, bon élève mais franchement rêveur. Il vit avec sa mère, une enseignante, et sa sœur aînée, lycéenne ; son père travaille dans une autre ville. Il a un meilleur ami, Casper, et leur préoccupation principale, ce sont les filles, dont Cas se considère (à tort) un expert. Au début du premier épisode, Fistos rencontre la jolie Mangi et tombe éperdument amoureux d’elle ; ce sera son intrigue principale pendant les 4 épisodes que dure When We Were Black.

En fait, Fistos est le personnage le moins politisé de la série, ce qui est un choix pour le moins surprenant dans une série qui parle de manifestations éminemment politiques. Fou d’amour pour Mangi, il va passer le plus clair de son temps à couler un regard énamouré à la jeune fille puis, quand il a un pamphlet anti-Apartheid dans les mains, il trouve le moyen d’y glisser une lettre d’amour ! Il paraît surprenant qu’un adolescent soit capable de faire abstraction des injustices si flagrantes dont tout son entourage est victime ; dans la dernière heure de la série, même lui ne pourra ignorer ce qui se passe, pourtant, et c’est sûrement le but recherché. Il faut dire qu’entre sa passion par Mangi, celle qu’il éprouve aussi pour l’astronomie, son amitié avec Casper, et ses tentatives d’échapper au caïd du quartier, Thomas, il trouve facilement le moyen de s’occuper l’esprit.
A l’inverse, sa sœur Nozipho est très engagée ; elle est tout ce qu’on imagine trouver de la part d’un personnage dans une fiction de ce type. Elle fréquente un groupe étudiant qui tient des réunions politiques secrètes, lit des auteurs noirs révolutionnaires, tient tête aux figures d’autorité au nom de ses convictions, et quand quelque chose se passe, elle regarde, sans ciller, et ne détourne pas la tête. Nozipho est un personnage secondaire de When We Were Black, toutefois ; même quand elle assiste à des réunions organisée par Modise, le leader des étudiants ou qu’elle argumente face à sa mère à propos de l’afrikaans, ses séquences restent courtes.

Le choix de When We Were Black conduit à des longueurs, c’est certain. En voulant montrer le quotidien (et même pas forcément l’oppression au quotidien), la série est certes très humaine, pas de doute, mais elle est aussi bavarde pour pas grand’chose. Le nombre de séquences pendant lesquelles Fistos pose un regard hébété d’admiration sur Mangi, tente maladroitement de l’approcher, se fait chambrer pour ses hésitations par Casper, rinse and repeat, meuble l’essentiel des deux premiers épisodes. Il ne se passe rien pendant ces scènes, c’est comme si on avait deux épisodes d’exposition.
Il faut ajouter à cela LE grand défaut de la réalisation : les fondus au noir (si vous me passez l’expression) qui finissent absolument chaque scène. La plupart des séries ont arrêté cette pratique dans les années 80, mais When We Were Black persiste courageusement et, même si cela souligne l’aspect chronique, ça reste quand même assez usant, et ça n’arrange rien au rythme déjà lent de la série. Le reste de la réalisation est bon, le jeu d’acteurs, dans une certaine mesure les dialogues (bien que souvent très littéraux), et les musiques, mais ces fondus, ça devient vite pesant…

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Malgré tout, When We Were Black a énormément de chose à dire. Qui plus est, si, comme moi, vous êtes un spectateur occidental qui ne connaît de l’Apartheid à peu près que ce qui a été enseigné dans le cadre scolaire et les médias (c’est-à-dire trois fois rien), ça va être encore plus instructif. Bien que la mini-série le fasse par touches très peu appuyées, et noyées dans une intrigue adolescente romanesque, When We Were Black explique très bien les causes des émeutes.
L’enseignement en afrikaans pose ainsi problème parce que les populations des townships ne parlent pas la langue ; faire les cours à des collégiens/lycéens dans cette langue, c’est quasiment l’assurance de voir les élèves se planter, ne pas comprendre, ne pas être capables de participer. Ce sont, qui plus est, les matières scientifiques qui sont visées par cet enseignement en afrikaans, privant à terme les élèves des professions les mieux payées. La jeunesse noire est ainsi condamnée à un avenir de soumission socio-économique, comme ses aînés, reproduisant le cycle de l’oppression. La démonstration en creux que fait When We Were Black des évènements est saisissante et pédagogique, même si elle reste minoritaire en termes de temps d’antenne. D’ailleurs, les quelques fois où la série tente d’être explicite, elle le fait avec de tels gros sabots que c’est peut-être mieux qu’elle n’en ait pas fait son propos principal.

Il faudra attendre le dernier épisode de When We Were Black pour que la série s’intéresse aux évènements historiques eux-mêmes (pour cela il vous faudra survivre à des scènes de torture assez infâmes). En-dehors du character development de Fistos, tous les éléments étaient déjà en place dés le premier épisode, ce qui semble un peu frustrant, mais l’épisode est franchement réussi.
N’attendez pas, si vous allez regarder la série (elle est intégralement disponible, avec sous-titres anglais lorsque nécessaire, sur Youtube grâce aux bons soins de la chaîne SABC), une reconstitution historique impressionnante, telle que beaucoup de fictions anglophones, par exemple, nous ont délivrées sur des sujets similaires de révolutions et d’émeutes raciales. D’ailleurs, le recours très limité aux images d’archives pendant la plus grande partie de la mini-série le souligne bien ; la plupart des images, à l’instar du générique, sont totalement banales, et montrent essentiellement les rues des townships avant le soulèvement. When We Were Black se veut vraiment une photographie de la vie de Fistos, une romance et une série dramatique de proximité.

A l’époque de sa première diffusion en 2006, When We Were Black avait dominé les SAFTAs, les récompenses de la télévision sud-africaine. Il y a quelques mois, SABC a rediffusé la saison 1 juste à temps pour le Youth Day, soit le 16 juin, date anniversaire du soulèvement de Soweto et désormais devenue une journée de commémoration de la jeunesse sud-africaine. En dépit du fait qu’il s’agissait là de la 3e fois que les spectateurs la voyaient sur les écrans de la chaîne publique en moins de 10 ans, la série est devenue le 4e programme le plus regardé pendant sa diffusion.
Alors qu’il s’agissait initialement d’une mini-série, When We Were Black a contre toute attente été renouvelée pour une deuxième saison, qui cette fois se déroule en 1986 et comporte 6 épisode. Cette nouvelle saison a démarré ce soir sur SABC1.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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