Gravité

16 janvier 2015 à 12:00

Après un season finale qui fait encore frissonner presque 15 ans plus tard, A la Maison Blanche fait son retour pour la saison 3, et du coup moi aussi.

Oyez, oyez, braves téléphages, voici la review qui commence avec un nœud dans la gorge et des étoiles plein les yeux, avec ce qui est sûrement l’un des plus grands épisodes de l’Histoire de la télévision, si-si : Isaac and Ishmael. Ce qui est incroyable dans cet épisode, c’est la pédagogie, l’intelligence, la diversité des points de vue… bref tout ce que fait A la Maison Blanche lorsqu’elle est au mieux de sa forme… mais écrit dans les jours suivant le 11 septembre, et diffusé moins d’un mois après. Ce qui ne cessera jamais de m’émerveiller tant l’épisode semble avoir une certaine dose de recul dont on sait qu’elle n’était pas forcément de rigueur dans l’émotion du moment.
Il faudrait des épisodes comme ça pour chaque catastrophe, à pouvoir regarder pour raison garder. Et jusqu’à nouvel ordre, ça, seule la télévision peut le faire : ni le cinéma, ni même pour l’instant les séries Netflix & co, ne travaillent au rythme qui permet cette réactivité, cette façon de coller non seulement à l’actualité et à nos préoccupations, nos douleurs, nos doutes après une tragédie. Isaac and Ishmael est la preuve, s’il en fallait une, que la télévision américaine de network peut accomplir de grandes choses. Et ça va quand même mieux en le répétant.

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Bon alors, passé cet épisode hors-norme (et hors-chronologie), où on en est ?
A la fin de la saison 2, Bartlet s’est réengagé dans la course aux votes. Eh bien par la même occasion, avec la campagne des présidentielles qui bat son plein, A la Maison Blanche se met définitivement au feuilletonnant ; là où la saison précédente tâtonnait, désormais les choses sont claires, en tout cas sur ce point. Certes des arcs courts continuent d’exister à l’intérieur de la saison, et c’est leur droit le plus strict, mais on sent qu’il y a un objectif. C’est d’autant plus intéressant que, les élections ayant forcément lieu en novembre de l’année suivante, on sait que ça va nécessairement nous occuper pendant la saison, quoiqu’il arrive. Qu’il y ait des bas ou des hauts, la campagne, ce sera forcément l’objet de toute la saison. C’est une perspective plutôt unique, quand la plupart des séries suivent simplement le calendrier.

Après avoir posé les jalons nécessaires dans la saison précédente, la série fait également un effort sur la représentation des personnages féminins, et ça se voit au générique. Aux visages connus (CJ, Donna, la Première Dame) s’ajoute aussi l’importance croissante d’Amy, qui est cette année notre Mandy. Enfin, notre Ainsley. Sauf qu’Ainsley est encore dans le coin, de temps en temps. En tout cas le but reste le même : taquiner les hommes (Josh ou Sam dans le cas présent).
Mais avec leur mise au premier plan, les « women’s issues » s’invitent aussi dans les conversations, et ça devient plus intéressant que dans les saisons précédentes, même si c’est parfois pour traiter tout ça par-dessus la jambe. Il y aurait long à dire du regard que pose la série sur les droits des femmes, et je vous proposerai peut-être de revenir dessus dans un article dédié, mais pour l’essentiel, le message est : on a fait un effort, maintenant ça va bien, hein. C’est un peu agaçant parfois, comme par exemple quand il s’agit de constater que CJ est la seule à s’émouvoir pour les femmes du Qumar dans son équipe.
En tous cas l’étoffement du nombre de personnages, et de leur importance dans la série, permettra à A la Maison Blanche d’accomplir ce qui est probablement sa plus longue (et peut-être même la première) scène répondant au Bechdel test, pendant l’anniversaire d’Abbey Bartlet. Et c’est déjà un bel effort de la part d’une série qui avait commencé avec une seule femme au générique.

Et puisqu’on parle de représentativité, notons qu’A la Maison Blanche développe dans cette saison un petit problème de classes, aussi. Car avec l’importance grandissante de Donna, ses interactions ou commentaires, mais aussi le besoin croissant de remplacer Madame Landingham, on a un peu l’impression d’une condescendance grandissante pour les « petits ». Alors que les « personnes importantes » de la série se comportent de façon rarement sympathique, notamment à cause du scandale de la sclérose en plaque, on trouve des épisodes pendant lesquels des gens comme Charlie ou Donna ont une influence sur des actions de la Maison Blanche. Ce qui sur le principe est intéressant voire louable. Mais on a l’impression qu’il s’agit plus d’une concession faite aux acteurs, que d’une véritable volonté d’entendre tout le monde.
Leur rôle est toujours dans le détail (Charlie répond à un courrier, Donna veut célébrer une ancienne prof…), de l’ordre du personnel. Une bonne action isolée, touchante, humaine, animée d’intentions nobles et conduite avec intelligence… mais jamais qu’une action isolée. Par contre, pour ce qui est de la politique nationale… non, laissez ça aux grands, tout coupés du monde qu’ils soient en bossant 30h par jour. On sait depuis la première saison, par exemple, que les préoccupations de Donna sur la politique ne sont jamais prises au sérieux, et Josh ne manque pas d’être condescendant à son égard pour lui expliquer la position du gouvernement. Eh bien là, ça se produit juste beaucoup plus souvent. « Tout le monde a une voix », semble dire la série, « mais on veut pas forcément l’entendre ». A la Maison Blanche n’a jamais caché son élitisme, après tout.

Bon, je râle, je râle, mais il faut dire que la saison est très négative elle-même, et c’est un sacré changement par rapport aux saisons précédentes.
Jusque là, on avait vu l’administration Bartlet s’efforcer de toujours faire au mieux, faisant preuve d’optimisme ou, au moins, ayant a niaque. Dans cette saison 3, la lune de miel est finie : la Présidence paye les frais du mensonge par omission sur la sclérose en plaque du Président, des manipulations sont orchestrées pour maintenir une place dans la course aux élections, et un assassinat est même commandité !
Le Président Bartlet a toujours sa bonhommie de grand’père, mais désormais il est clair qu’il n’a plus rien d’inoffensif. D’ailleurs, ses colères sont de plus en plus fréquentes, et sont d’autant plus violentes qu’elles ciblent, absolument systématiquement, des personnes qui ne sont pas responsables ou concernées au premier chef par sa colère. On avait pu assister par le passé à quelques scènes du genre (quand il s’en était pris à sa fille Zoey par exemple ; il a failli aussi rebuter Charlie de travailler pour lui exactement pour ce motif, dans le 2e épisode de la série), mais là, comme il est à cran, il dépasse les bornes encore plus souvent. Et le plus frustrant de mon côté de l’écran, c’est que je constate que personne ne le lui fait remarquer ; ça détruit un peu l’image de Président idéal, et pourtant, il est, plus que jamais, en temps de crise, l’image-même de l’homme présidentiel, accablé, pris d’assaut de toute part.

Faut dire, c’est pas facile d’être le Président dans cette troisième saison. La série a tenté, après Isaac & Ishmael, d’éviter le sujet du terrorisme ; mais en cours de saison, A la Maison Blanche s’avoue vaincue et finit par succomber à la tentation. Beaucoup de dialogues feront ainsi référence, en passant ou non, au « climat » autour du terrorisme, de la peur, du Moyen-Orient… alors que factuellement, aucune crise gérée par le Président ou son équipe ne semble impliquer qu’il s’est passé quoi que ce soit de nouveau. La série a tellement absorbé l’anxiété post-11 septembre, comme si c’était une évidence dans son monde aussi, qu’elle crée plein de non-dits. A regarder à l’époque, ça devait tomber sous le sens ; mais à voir aujourd’hui, ça surprend un peu car le contexte, il n’est pas dans la série : il est tout autour !
Après avoir mis en place cette aura oppressante et cette espèce d’ennemi invisible, A la Maison Blanche va pourtant comprendre qu’il n’est plus possible de reculer. D’où la création du Qumar en fin de saison, où les relations avec le pays (fictif) occuperont une place dominante, pour arriver au final glaçant que l’on sait.

N’ayez crainte, A la Maison Blanche n’est pas que peur et gestion de crise. En fait, plus que dans les deux saisons précédentes, la série a désespérément envie de romance. Et, comme Amy le fera remarquer à Josh dans ce qui sonne vraiment comme une conversation vécue : ce que la série aime en amour, ce sont les préambules, pas la concrétisation. En-dehors du couple Bartlet, on n’assiste jamais à aucune relation stable. La série aime les beaux discours, en politique comme en amour, mais déteste devoir matérialiser une union dans le temps. Plusieurs relations en souffrent car en plus, A la Maison Blanche est une série avec assez peu de character development (et soit dit en passant : peu de séries parviennent à le faire sans paraître creuses, donc chapeau), où ce sont les revirements qui déterminent le devenir d’une relation, et non les émotions des protagonistes. Par exemple, ce qui sépare Donna de son Républicain, c’est forcément politique, extérieur ; pas leur relation à proprement parler, et certainement pas leur individualité.
Alors du coup, pour éviter toute relation stable, qui serait inévitable puisque les personnages, eux-mêmes, sont stables… eh bien la série fait parfois des contorsions pour séparer des personnages qui se tournaient autour depuis longtemps. CJ et Danny n’ont par exemple pas eu de véritable séparation, Danny étant kelleyrisé entre la saison 2 et la saison 3 (…pour le moment). Ce genre de chose.
L’avantage, c’est que ça offre des pauses taquines, des conversations à double-sens, du flirt (surtout quand il s’agit d’Amy), et des rebondissements, sans avoir à donner dans le pathos. Ces respirations font un bien fou à cette saison très dure sur le fond, et très concentrée sur sa forme.

Une saison 3 sur la brèche, donc, avec plein de défis à relever, à l’écran comme derrière la camera. Bon mais avec tout ça, du coup, on le réélit, Jed Bartlet ?

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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