Welsh noir

18 février 2015 à 11:03

Le corps d’une femme, inanimée sur une moquette blanche. Qui est-elle ? Comment en est-elle arrivée là ? 35 Diwrnod nous propose de revenir sur les 35 jours qui précèdent cette image funeste. C’est après tout la traduction littérale du titre.

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Dans une communauté résidentielle protégée par un épais mur de briques et lourd portail en fer forgé, se trouvent une poignée de maisons au fond d’une impasse. L’endroit est cossu, les maisons massives, les bosquets parfaitement manucurés. Tout est comme tiré d’une brochure d’agent immobilier… si ce n’est le froid, palpable, et le brouillard, dense. La communauté est en effet bordée par une forêt qui l’enserre dans ses bras comme pour étouffer tout son qui pourrait s’en échapper.
Dans ce contexte à la fois idyllique et glaçant démarre 35 Diwrnod, un thriller gallois en 8 épisodes diffusé l’an dernier sur S4C.

C’est comme si Desperate Housewives avait forniqué avec la Scandiwave pour accoucher dans les forêts galloises. De cette union improbable naît une créature hybride parfaitement réussie, pourtant, qui met l’accent sur son ambiance froide tout en cultivant le sentiment d’une communauté aisée repliée sur elle-même, et d’un microcosme abritant (forcément) de lourds secrets.

Et ça marche d’autant mieux que ces personnages sont riches en possibilités, et imprévisibles ; ce dés le premier épisode. L’homme marié qui se fait draguer, jusque dans sa propre cuisine, par la petite amie de son adolescent de fils ? Le couple de retraités qui héberge leur fils unique se tirant difficilement d’un divorce récent ? Le couple qui revient de vacances et annonce qu’il s’est marié sur un coup de tête ? La femme transgenre qui gardait leur maison en leur absence et qui a du mal à accepter la nouvelle ? Le gardien de prison dont la maison est perquisitionnée à la recherche de drogues ?
Non seulement ces personnages ne répondent que très peu à un stéréotype au terme de l’épisode inaugural de la série, mais ils s’obstinent à surprendre au-delà. C’est absolument vital pour une série telle que 35 Diwrnod, aussi ce traitement est-il le bienvenu.

Dans ces maisons semblables et pourtant différentes, si proches mais où on s’observe généralement de loin, depuis un perron ou une fenêtre, se vivent des existences surprenantes. On se mélange parfois, mais chacun a son jardin secret, sa vie intérieure, et c’est le plus appréciable dans la série. Même si, en réalité, certaines choses finissent par se savoir…

Elles finissent par se savoir, mais les personnages ne se lancent presque jamais dans des discussions ou même des confrontations. 35 Diwrnod se distingue plus par ses silences, ses regards lourds, ses soupirs. On observe calmement. Et on a ainsi tout loisir d’y étudier les personnages individuellement. Par effet de contraste, on assiste à leurs relations interpersonnelles quasi-uniquement dans deux circonstances : soit la banalité d’échanges du quotidien, où l’on dit des mots mais on ne se parle pas ; soit les disputes, qui sont souvent très brèves. A l’inverse d’un soap (comme sa marraine Desperate Housewives, donc), les dialogues sont secondaires, et lorsqu’ils se produisent, c’est uniquement pour souligner les non-dits, l’absence d’échanges, en bref : les impasses.
C’est le royaume de l’agressivité passive, de la frustration, de l’inimitié intime.

Une chose rendue possible par un autre choix de 35 Diwrnod : l’absence totale de figures d’autorité dans la communauté. Quoi qu’il arrive (incidents, malveillance…), la série se refuse à montrer des policiers, des ambulanciers ou qui que ce soit d’autre ; et ce, généralement au sens littéral puisqu’on se borne souvent à montrer leur véhicule ou leur uniforme. En cultivant l’entre-soi et en n’imposant jamais un regard extérieur sur les intrigues et les dynamiques, le drama s’assure que nous n’allons jamais prendre de la distance avec le ressenti des personnages. Ici, personne ne va venir sonner à la porte et poser des questions gênantes. Personne ne va chercher « la vérité ».
L’autarcie est à la base de ce qui se joue dans la série, et cette dernière la cultive soigneusement.

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Au départ assez peu fascinant en comparaison avec ces tableaux, le « mystère » de la femme au sol se développe progressivement sous nos yeux. Nous allons apprendre que cette femme qui vient d’arriver dans l’impasse est Jan. Elle qui vient d’emménager dans l’une des grandes maisons qu’elle loue seule, et où personne ne l’a vue s’installer. Les personnages commencent progressivement à lever un sourcil en découvrant son existence, et en s’interrogeant sur cette nouvelle-venue, de loin, depuis la fenêtre ou l’entrée du garage.

35 Diwrnod met en place les acteurs de la petite tragédie grecque qu’elle s’apprête à jouer, avec un mot d’ordre : personne ne sait tout d’eux. Pas même le spectateur ! Même en pénétrant leur monde secret dans les premiers épisode, on réalise à mesure que les épisodes avancent qu’on n’avait pas nécessairement saisi toute la portée de leur personnalité, ou, plus pervers encore, qu’on avait adopté leur point de vue sur les choses comme une vérité ultime, et qu’en réalité les choses sont plus complexes qu’elles n’y paraissent.
Les petits secrets des uns et des autres, leurs rapports souvent frustrés de la simple existence de l’autre dans leur environnement, les non-dits et les rancœurs, vont progressivement mener tout un univers dans le chaos. Mais, et encore une fois c’est appréciable, ce n’est pas un chaos hystérique ; c’est en fait d’autant plus glaçant !

C’est d’ailleurs grâce à cette impression oppressante qu’on ne se lie, finalement, pas trop avec les personnages. En-dehors d’un protagoniste radicalement détestable, ils ne sont pourtant pas forcément antipathiques. Mais même si l’on passe beaucoup de temps avec eux à partager des secrets et des instants de vulnérabilité, les habitants de l’impasse ne sont jamais totalement chers à notre cœur, y compris s’ils sont animés d’intentions plus ou moins bonnes. Rien à faire, je n’ai eu d’affection pour aucun des quinze héros de la série. J’ai arrêté de chercher à me trouver un « personnage favori » assez rapidement, et il s’avère que la série ne perd pas de son efficacité pour si peu ; cela lui est au contraire bénéfique, puisqu’on finit par s’autoriser à douter des personnages.
Les plus parfaits en apparence ne sont-ils pas en fait des monstres ? Et les moins parfaits ne sont-ils pas en fait… euh, des monstres aussi ?

Car c’est là que tout se joue, en fait, dans 35 Diwrnod : dépeindre des personnes ordinaires, aux vies généralement ordinaires, aux secrets souvent à peine moins ordinaires, et aux frustrations ô combien ordinaires… qui en fait révèlent des monstres totalement ordinaires. Il ne faut pas grand’chose pour transformer leur routine désolante en quelque chose de bien plus terrible. Il nous en faut si peu, dans nos jolies maisons de briques, pour basculer dans la démence ou la haine.

Il faut, parce que 35 Diwrnod est dans la contemplation posée avant tout, faire preuve d’un peu de patience devant la série. Un spectateur trop pressé pourrait avoir l’impression qu’il ne se passe rien pendant un ou deux épisodes, ou que les conflits tardent à exploser. Je pense cependant que c’est ce qui fait la richesse de ce drama : la façon dont les personnages s’écœurent les uns les autres, la tension restant invisible mais devenant de plus en plus palpable. Il y a un moment où ces silences vont être excédés, et c’est là que que 35 Diwrnod va faire son effet.
On a tout notre temps, après tout. 35 jours, pour être précise…

…Et pas une seconde de plus, puisque la série s’achèvera au moment où Jan touchera la moquette immaculée. La boucle est bouclée, mais le spectateur, lui, n’en sortira pas indemne.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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