Tout le monde descend

20 février 2015 à 12:00

Comme je n’ai pas fini de mettre de l’ordre dans mes notes sur la saison finale d’A la Maison Blanche, pour notre rendez-vous du vendredi dédié aux reviews de saison, j’ai décidé de vous emmener au Japon à bord de l’Orient Express.

Ne froncez pas les sourcils ! C’est de la mini-série Orient Kyuukou Satsujin Jiken qu’on va parler, après sa diffusion le mois dernier sur Fuji TV. Bien qu’ayant conservé la référence à l’Orient Express (et encore, dans son titre uniquement), Orient Kyuukou Satsujin Jiken se déroule en fait dans un train reliant la ville provinciale de Shimonoseki à la capitale Tokyo. Les noms des passagers ont également été changés par rapport à l’œuvre d’Agatha Christie, et ils sont à présent tous sans exception des Japonais. Une adaptation pas absolument littérale, donc.

Trois ingrédients avaient initialement piqué ma curiosité avec Orient Kyuukou Satsujin Jiken. D’une part, le choix curieux de transposer l’histoire au Japon, et, d’autre part, la structure-même de la mini-série. Celle-ci avait en effet décidé de procéder en deux volets : le premier est consacré au déroulement de l’histoire, telle que présentée dans le roman original (depuis l’embarquement à bord du train jusqu’au dénouement de l’enquête), mais le second épisode est entièrement dédié à la reconstitution du crime (j’en profite pour préciser que j’ai tâché d’écrire une critique spoiler-free). Là encore, un choix original que je voulais voir de mes propres yeux.
Oh, et le troisième ingrédient, c’est la distribution quatre étoiles de la mini-série.

OrientKyuukouSatsujinJiken-650Orient Kyuukou Satsujin Jiken n’a pas lésiné sur le cast.

…Alors, bon. Une nuance, pour commencer.
Le cast d’Orient Kyuukou Satsujin Jiken est épatant, c’est une belle affiche avec plein de monde, et si vous êtes un familier des séries japonaise, la mini-série regorge d’acteurs à retrouver avec plaisir : Michiko Kichise (Bloody Monday, Mousou Shimai, BOSS, Hagane no Onna, Hanawake no Yon Shimai, Hirugao…), Anne (Namae wo Nakushita Megami, JOKER, Gochisousan, et cette saison dans Date), Ikki Sawamura (Shomuni, Gokusen, DOCTORS…), Nanako Matsushima (Hana Yori Dango, Kyuumei Byoutou 24 Ji, Kaseifu no Mita…), Hiroshi Tamaki (Last Christmas, Nodame Cantabile, Taira no Kiyomori…), Sumiko Fuji (Ooku, CHANGE, Tenchijin…). Bon, j’ai pitié, je vous fais pas toute la liste, sachez en tous cas qu’il y a du peuple.
Mais ! et ce n’est vraiment pas un « mais » de moindre importance : le rôle principal est incarné par ce qui est sûrement le pire acteur de la création. Comme il n’a pas joué dans beaucoup de séries (et que je n’en ai vu aucune), je ne le connaissais pas vraiment, mais oh mon Dieu qu’il est mauvais.

Dans Orient Kyuukou Satsujin Jiken, le célèbre détective Takeru Suguro (notre Hercule Poirot, donc) est un type qui parle bizarrement, fait des moues sans arrêt, et a des allures de clown. C’est comme si Nomura Mansai, qui l’incarne, avait voulu interpréter un vieil homme caricatural dans une émission pour les enfants de 3 ans et moins ; ça n’a aucun sens de voir son interprétation dans le contexte de la mini-série.
Je ne sais pas comment vous donner la mesure du fiasco. Si vous avez vu la série, imaginez le personnage de Kobba dans Hellfjord, mais sans aucun second degré. Ou bien, essayez de vous représenter le Charlot de Chaplin dans une série non-muette, et qui persisterait à tout surjouer. Ou encore imaginez le Juge DeMort dans Qui veut la peau de Roger Rabbit ?, quand il commence à dévoiler sa nature de toon et que même Roger Rabbit a l’air normal à côté. Et même en mélangeant ces exemples on est en-deçà de la vérité. Le délire est total. Je ne sais pas qui a eu cette idée, c’est atroce. Et c’est encore plus mauvais quand on voit le reste du cast s’efforcer de jouer normalement face à lui, dans la mesure du possible en tous cas. Ça ne fait que renforcer le contraste, c’est pire. Non mais franchement, on n’a pas idée.
Le résultat c’est que, comme vous le savez, Poirot/Suguro est omniprésent dans l’histoire ; il interroge un à un les passagers du train, il réfléchit, il évoque des pistes, bref, il est partout. Passer l’intégralité du premier volet à le voir faire l’imbécile relève de la torture. Au bout de cinq minutes, j’étais déjà en train de fantasmer à l’idée que ça pourrait être lui la victime de l’Orient Express. Ça a rendu le reste du visionnage très long, ne nous mentons pas.

Déjà que. Parce qu’il faut noter qu’avec sa structure en deux volets, la mini-série ne paie pas de mine sur le papier… mais elle dure un peu moins de 5 heures. Ah, ça, quand les Japonais vous disent qu’ils ont préparé deux soirées évènement, ils bloquent vraiment toute votre soirée pendant deux jours, hein.
Tout cela étant posé, tenter Orient Kyuukou Satsujin Jiken a aussi des bons côtés. Essentiellement parce que la seconde partie de la mini-série est réussie.

OrientKyuukouSatsujinJiken-Suguro-650Et le Prix Masato Sakai d’interprétation est décerné à…

Comme on l’a dit, le premier volet suit d’assez près (en dépit de ses libertés géographiques) le déroulement du roman : embarquement dans le train avec exposition des personnages, découverte de la victime, enquête et interrogatoires, conclusions de Suguro.

Mais le second épisode prend ce qu’Agatha Christie n’avait relégué qu’à des éléments secondaires pour l’intrigue et/ou le meurtre, pour en faire son objet pendant plus de 2 heures ! La reconstitution non seulement du crime, mais aussi des motivations de ce crime, sont étudiés en détails. A un tel point que là où le premier épisode couvrait environ 24 heures des personnages dans le train vers Tokyo, l’épisode de clôture de la mini-série, lui, dresse les origines de l’intrigue depuis 1928, jusqu’à son dénouement, dans le train, en 1933. Et du coup Orient Kyuukou Satsujin Jiken propose finalement une grande fresque dramatique, et c’est un joli pari.

Je n’ai pas vu d’autre adaptation de ce roman d’Agatha Christie, mais je présume que toute autre fiction aurait procédé de la façon suivante : utiliser les scènes se déroulant dans les années 20, à mesure que progresse l’enquête de Suguro, comme des flashbacks. Cela aurait ainsi permis d’illustrer ce qui progressivement est découvert sur les motivations du meurtre. Mais Orient Kyuukou Satsujin Jiken ne mange pas de ce pain-là ! Et comme on a déjà eu droit à des flashbacks sur certaines preuves évoquées pendant l’enquête ou certains témoignages, ce n’est d’ailleurs pas plus mal.
En faisant le choix de dédier toute sa seconde partie aux 5 années précédant le crime, Orient Kyuukou Satsujin Jiken double sa durée totale, certes, mais se permet aussi de décrire en détail l’histoire de ses personnages, d’aller au fond des choses, de vraiment approfondir la dimension dramatique des choix de chacun.
Toute la seconde partie permet ainsi non seulement d’avoir une chronologie des évènements, mais d’aller réellement plus loin pour comprendre par quoi les personnages sont passés. La planification du meurtre occupe une bonne partie de ce volet, mais on s’y interroge, surtout, sur les choix moraux, le concept de Justice, les éventuels doutes d’ordre spirituel. Et c’est, finalement, la substance d’Orient Kyuukou Satsujin Jiken, car plus qu’une simple enquête comme pourrait le laisser penser le premier épisode, il s’agit avant tout d’une situation dramatique très riche. Explorer tout cela va vraiment au bout du sujet ! Alors certes, il y a des longueurs (entre autres parce qu’entre l’idée du meurtre et son exécution, pour ainsi dire, il s’est passé 5 années, et donc il y a eu des moments de flottement), mais finalement elles participent à la mission plus large de l’intrigue.

Et en prime, s’offrir un second volet aussi détaillé rentabilise l’effort énorme fait autour de la reconstitution historique. Si ces scènes avaient été limitées à quelques flashbacks incorporés dans l’enquête, ç’aurait sans nul doute été beaucoup de travail pour pas grand’chose, mais là on peut admirer un vrai revenge drama dans toute sa splendeur entre la fin des années 20 et le début des années 30, et une panoplie assez folle de costumes.
Tout ça avec le bénéfice, vraiment pas négligeable, de donner maximum cinq minutes de temps d’antenne à Suguro pendant la deuxième soirée. Bon sang, voir cet abruti même quelques instants dans la seconde partie de la mini-série m’a vraiment rendue furieuse, une fois qu’on a vu tout ce qui se jouait et qu’on a ressenti toute l’émotion du truc. Je n’en reviens pas que le réalisateur ne l’ait pas viré manu militari.

Bon alors, du coup, que vous conseiller ?
Eh bien, si vous connaissez déjà la solution à l’énigme du meurtre dans un train-couchette (pour avoir lu Agatha Christie, ou après avoir vu une adaptation précédente), j’ai très envie de vous dire : zappez la première partie, et passez directement à la seconde. Vous serez ainsi délivré de la plupart des performances calamiteuses de Suguro, et je suis sûre que c’est meilleur pour le système nerveux. En tous cas sincèrement, c’est un plutôt bon drama, ce second volet.
Mais si vous êtes du genre puriste, que vous vous dites que ce serait quand même plus pratique de savoir qui est qui, ou si tout simplement vous avez un trou de 5 heures dans votre emploi du temps, bah allez-y, regardez Orient Kyuukou Satsujin Jiken dans son intégralité. Mais ne venez pas vous plaindre après !

ReviewdeSaisonChaqueVendrediMinimum-650

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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