Dix degrés de corruption

18 avril 2015 à 18:00

L’an dernier c’était Gomorra, cette année Sky Italia nous envoie 1992 pour rappeler la fiction italienne à notre bon souvenir. J’appelle ça une collaboration fructueuse et pleines de promesse… étant donné le cœur que met Sky Italia à l’ouvrage en matière de fiction originale
Aujourd’hui je vous parle uniquement du premier épisode, projeté à 18h pendant le festival.

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Six destins se croisent dans l’Italie des années 90. En apparence, rien ne les lie : ils viennent de couches économiques et sociales très différentes, et n’évoluent certainement pas dans les mêmes cercles. Mais leurs ambitions personnelles et l’opération Mani Pulite (« mains propres ») vont pourtant faire s’entrecroiser ces Italiens.

Luca Pastore est un jeune policier qui a réussi à se faire muter auprès de l’équipe d’investigation travaillant pour Antonio Di Pietro, le procureur qui vient de commencer à nettoyer Milan de sa corruption à très haut niveau. Acharné, bosseur, observateur, mais surtout fin psychologue un rien manipulateur, Pastore met toute son énergie dans ce travail, si bien qu’il est impossible d’imaginer que ce ne soit qu’une question de performance personnelle. En particulier, il en a après le riche Michele Mainaghi, un entrepreneur milanais dont on découvre qu’il a (indirectement) causé une tragédie pour Pastore. C’est donc personnel, et Pastore, en dépit de sa gueule d’ange et ses grands yeux, va en fait dévoiler progressivement au spectateur jusqu’où il est prêt à aller pour obtenir « justice », y compris approcher la famille de Mainaghi.

En rejoignant la police, Pastore a fait la rencontre de l’officier Rocco Venturi, son supérieur, un homme qui lui aussi est tout entier lancé dans le passage au karcher de l’élite milanaise. On en sait encore peu sur lui, si ce n’est qu’il se montre patient avec son équipe et qu’il sait reconnaître l’intelligence de ses subordonnés. On sent que quelque chose se tisse avec Pastore, autour de leurmême quête de résultats, qui pourrait aussi bien devenir une relation professionnelle fructueuse… qu’un motif d’opposition violente. Tout dépend de qui Venturi est vraiment : un policier limité par la loi ou un policier qui au contraire contourne déjà la loi par ailleurs ?

En attendant, sur son temps libre, Pastore poursuit ses investigations sans en avertir personne. Et à mesure que le premier épisode avance, on découvre qu’il est résolu à aller très loin, au point de draguer à la sortie d’un club une jeune femme… qui s’avère n’être nulle autre que Bibi Mainaghi, la fille de Michele Mainaghi. Un peu rebelle, un peu à la dérive, Bibi est le mouton noir de la dynastique Mainaghi, dont elle affectionne peu les obligations sociales et les ambitions, sans vraiment réaliser qu’elle profite quand même beaucoup du confort apporté par les affaires pas très propres de papa. Elle va se prendre d’affection pour Pastore, offrant à celui-ci une opportunité en or de pénétrer l’univers de Michele Mainaghi, mais ce n’est pas sans risque…

Loin de prêter attention à sa fille, Michele Mainaghi est un homme fort occupé. Outre l’argent sale, les dessous de table et autres petits arrangements très lucratifs avec la loi, il mène également une double vie. Car outre son épouse, une femme raffinée mais en apparence un peu austère, il a également une maîtresse, la jeune et belle Veronica Castello. La jeune femme n’est pas désintéressée : elle entend bien que son riche amant, qui connaît les décideurs de toute l’Italie, fasse jouer le piston pour faire progresser sa carrière à la télévision ; Victoria ne rêve en effet que d’argent, de statut et de notoriété. En gros, elle « baise utile » avec l’homme d’affaires.

Pour le plaisir, elle a un autre amant : Leonardo Notte, un publicitaire de génie qui brasse des sommes d’argent colossales, grâce à son talent pour la manipulation et sa capacité à donner aux annonceurs ce qu’ils veulent sans oser le dire trop fort. Notte se contrefiche des méthodes, ou de la provenance de l’argent ; une disposition d’esprit qui intéresse beaucoup son supérieur, qui a énormément d’estime pour lui et qui est en passe de lui permettre d’orienter sa carrière vers la manipulation des médias à l’échelle politique, puisque l’Italie est à un tournant et que la plupart des partis sont en pleine campagne. Notte pourrait bien obtenir bientôt le pouvoir de donner du pouvoir au politique le plus offrant.

Ce politique, demain, ce sera peut-être Pietro Bosco. Cet homme issu des couches les plus populaires de la société italienne faisait partie des troupes italiennes envoyées dans le Golfe. Cela fait un an que la guerre et finie, mais il n’a pas fait grand’chose depuis, et se laisse vivre, entre bières, rugby, et chômage. Un soir, il repère Veronica Castello dans un restaurant, juste après une dispute avec Mainaghi qui l’a plantée là pour aller s’occuper de ses affaires. Pietro tente sa chance avec la jeune femme, mais dans son polo de rugby crasseux, il ne fait pas forte impression. Quand un peu plus tard, il intervient dans une agression de rue et sauve la vie d’un homme, tout s’apprête à changer : il vient de secourir un membre du parti politique Lega Nord, qui lui propose de devenir l’une des têtes d’affiche du parti. Peut-être qu’après tout, Pietro pourrait bien obtenir le statut qui lui donnerait droit d’exister aux yeux de Veronica ?

Il faut suivre la façon dont se connectent ces destinées (et quelques autres plus accessoires, comme Michele Mainaghi que la série détaille peu mais utilise comme pivot à plusieurs reprises) pour comprendre réellement l’enchaînement de personnages de 1992. Sûrement qu’avoir connaissance du contexte historico-politique de l’époque, comme c’est le cas pour les spectateurs italiens, aide à comprendre la démarche de la série ainsi que ses nuances. La façon dont s’emboite la politique dans les affaires de corruption ou tout simplement d’ambition est sûrement l’aspect le moins clair à l’issue de ce premier épisode ; c’est aussi le plus prometteur.
Car 1992 n’est pas qu’une enquête judiciaire, ou une histoire de corruption : elle est un avant tout un drama sur une époque où l’Italie se trouve devant un embranchement sur de nombreux égards ; ce sont les décisions individuelles de personnages tels que les 6 héros présentés ci-dessus qui vont influencer la direction que prend le pays. Et pour renforcer cette impression de vivre une année qui est importante au point de devenir son titre, 1992 ne mise pas tant sur la reconstitution visuelle que sur la reconstitution d’un état d’esprit. La série nous plonge dans un monde qu’on avait presqu’oublié, avec des phénomènes culturels (la télévision italienne apparaît plusieurs fois en arrière plan pendant ce premier épisode) ou sociaux (comme les débuts de l’épidémie du SIDA, présente dans la backstory d’un protagoniste).

1992 est une véritable réussite dans ce qu’elle présente complexe au spectateur : il n’y a pas vraiment de mystère insondable dans la série, mais il y a l’impression d’être au bord du précipice. L’opération Mani Pulite est une bonne chose en théorie, mais quand on voit la noirceur de chacun, on a du mal A la fin de ce premier épisode, on a l’impression que 1992 s’apprête à prouver qu’une bonne intention ne peut rien contre les ambitions de ceux qui composent le système : nous. à croire qu’elle puisse purifier en profondeur la façon dont fonctionne le système. La vérité c’est que le sens de l’Histoire dépend de chacun.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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