Fokke me

3 mai 2015 à 14:00

Depuis le temps que je vous parle de Hollands Hoop, je n’allais quand même pas laisser passer une occasion de vous parler de son premier épisode ! Bien-sûr, oh bien-sûr, Hollands Hoop est le genre de série qu’on présente essentiellement à travers des comparaisons (Breaking Bad étant la plus évidente), mais c’est une raison supplémentaire de regarder le pilote afin de déterminer, justement, dans quelle mesure cette comparaison est justifiée.

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…Relativement justifiée. Prenez un personnage introverti, et confrontez-le à une situation qui lui semble extrême, ajoutez quelques plants de cannabis, et effectivement vous obtenez un résultat similaire dans un premier temps.

Fokke Augustinus est ainsi un psychiatre travaillant pour un établissement lui permettant de tester sa théorie : il pense que c’est en étant soi-même d’une sincérité totale avec les patients, quitte à partager avec eux des informations intimes, qu’on peut instaurer un rapport de confiance qui pousse les patients à s’ouvrir à leur tour. Vu que Fokke travaille avec des criminels en apparence impossible à sauver, la démarche est plutôt courageuse. Ainsi au début de l’épisode, Fokke doit annoncer à l’un de ses patients principaux, Dimitri (un homme qui a tué son père puis l’a mangé après l’avoir fait bouillir), qu’un de ses collègues va temporairement s’occuper de leurs séances thérapeutiques. Pourquoi ? Parce que le père de Fokke vient de mourir et qu’il doit aller s’occuper de régler ses affaires. Or Dimitri est justement si intime avec Fokke qu’il refuse de parler à qui que ce soit d’autre… et pour ne rien arranger, le collègue en question est un psychiatre distant et désinvesti, qui croît plus à la médication lourde qu’à la discussion ; l’annonce tourne au désastre, passant à un cheveu de nécessiter l’intervention d’une équipe d’intervention musclée.
Considérant que les patients de Fokke témoignent d’un échec de sa méthode, le directeur des services psychiatriques « invite » Fokke à prendre un peu de temps et ne pas revenir au travail tout de suite, ce à quoi notre héros lui répond, en substance : Fokke you. Et quitte son job séance tenante.

Mais derrière cette situation de départ, Hollands Hoop fait bien plus que trouver un déclencheur : c’est déjà un portrait très solide qui se dessine de Fokke.
En effet, il a appris en début d’épisode la mort de son père, mais s’est pour le moment révélé incapable de répercuter la nouvelle auprès de son épouse Machteld ou de ses trois enfants. Il partage finalement plus avec Dimitri (ils ont après tout chacun une relation tortueuse avec leur père respectif), qu’avec qui que ce soit d’autre.
On comprend aussi que les relations de Fokke avec son père ont été désastreuses. Pour finir, ce qu’on voit, à travers les yeux éteints de Fokke après avoir appris le décès, de son entourage proche, est franchement peu enthousiasmant : Machteld trompe avec son prof de yoga (plus jeune, plus extroverti, et plus musclé), son fils aîné Pepijn est un amateur de cannabis récidiviste (dans le pilote, il a réussi à faire cramer sa chambre en voulant abriter des plants de cannabis dans son placard, lumières chauffantes incluses), sa fille adolescente Lara est le cliché de l’adolescente-qui-aime-les-poneys (et qui s’intéresse à peu d’autres choses que son nombril), et la petite Filippa est de toute façon trop petite pour une quelconque contribution à l’équilibre affectif de notre Fokke. Et à travers ces relations stériles avec sa famille, on découvre un Fokke qui, certes, est en partie responsable de ce qu’il ne reçoit pas des autres (pour ne pas sembler être capable de le donner lui-même), mais qui dépérit quand même énormément, surtout avec cette histoire de deuil, à cause de ce qu’il ne reçoit pas.

Quand finalement les Augustus se rendent dans le manoir du père de Fokke, à la campagne, dans un bled où notre héros n’a pas mis les pieds depuis 20 ans environ, on a déjà largement pris le pouls de la situation, et on attend simplement qu’un arrêt cardiaque métaphorique vienne bouleverser tout cela.
Ça tombe bien, c’est le cas. Car le père de Fokke, dont le notaire et ami de la famille avait assuré que la mort était due à un arrêt cardiaque, n’est pas forcément si anodine que ça. A travers le partage des biens dans le testament, et ce foutu fusil antique légué à Pepijn mais qu’on n’a pas encore trouvé dans la maison, s’annonce aussi une découverte impressionnante : au milieu des champs de maïs, près de la maison du grand-père indigne, on trouve des plans de cannabis. Il faut croire que ça saute vraiment une génération. Une découverte qui d’ailleurs, ravit Pepijn…
…mais qui tombe à un moment déjà bien compliqué, d’autant que Machteld a décidé de quitter Fokke après 20 ans de mariage.

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C’est une pensée qui me hante depuis bientôt 20 ans, moi aussi : quelle sera ma réaction lorsque mon père décèdera ? Moi et moi-même nous sommes fixées il y a plusieurs années déjà sur le sujet, cependant : nous avons conclu d’un commun accord que je serai sûrement tiraillée entre, d’une part, la douleur qui suit la mort d’un proche (quelles que soient les expériences qu’on a avec, un père reste un père, irremplaçable) et d’autre part, le sentiment d’échec (à n’avoir jamais réussi à surpasser les violences vécues pour construire une relation saine), tout en ayant conscience que c’est aussi la mort d’un possible que je pleurerai sûrement (le père que j’aurai pu avoir si les choses n’avaient pas tourné pour le pire il y a des années déjà), et qu’il y aura une part de soulagement (c’est enfin fini pour de bon) et de culpabilité (je devrais me contenter de pleurer). Moi et moi-même sommes également convaincues que sur la ligne d’arrivée, il y aura sans doute quelques inconnues dans l’équation, mais pour l’essentiel, voilà.
Alors, voir Fokke lutter avec son deuil, le voir incapable de l’annoncer, handicapé par des sentiments contradictoires, peiné mais conscient de façon aiguë que la peine d’aujourd’hui ne répare pas les blessures d’hier, le voir jongler avec tout cela, c’était beau et ça m’a touchée de plein fouet.
Je l’ai trouvé tellement humain, le héros de Hollands Hoop, sûrement bien plus humain que je n’ai jamais vu celui de Breaking Bad ; et c’est pour moi la différence notable : l’intention des deux séries a beau avoir l’air d’être la même sur le papier, une fois devant l’écran, on découvre que les émotions ne pourraient être plus différentes. Quand Fokke décrète à son fils : « Je sais que la drogue semble être une solution facile quand on a des problèmes » pour se retrouver (of course) dans un champs de cannabis à la fin de l’épisode, ce n’est pas simplement le parcours d’un homme vers une partie sombre de lui-même à laquelle on nous promet d’assister, mais aussi une façon de se reconnecter, à travers la mort, à son propre père… tout en ayant enfin quelque chose qui le lie à son propre fils.

Le fait, d’ailleurs, que Fokke aille dans le manoir de son père avec sa femme et ses trois enfants, est assez symptomatique de l’essence de Hollands Hoop, et s’inscrit dans une dynamique que je peux sincèrement comprendre. Fokke n’est pas atteint du syndrome Can’t Cash This, ce n’est pas une question d’argent pour lui, mais, depuis le départ, une question de famille, d’héritage affectif, de tentative d’exister dans une sphère qui, même si elle est vacillante, est partie intégrante de ce qu’il est. Pas de Heisenberg solitaire qui va bricoler dans son coin, ici, pas d’homme seul contre les tourments de sa famille, mais un personnage qui au contraire, existe dans un tout, et ne cherche pas à y échapper.
Elle est terrible, cette scène dans laquelle Fokke rassemble tout son courage pour annoncer à Machteld qu’il sait depuis le matin que son père est mort ; la façon dont il a du mal à le dire, non parce qu’il le gardait pour lui, mais parce qu’il lutte pour ne pas garder pour lui. La façon dont aussi, bien-sûr, elle l’interrompt en lui disant qu’elle sait, et qu’elle est soulagée qu’il en parle : oui, elle aussi veut un divorce.

Les efforts de Fokke pour tenter d’exister dans sa famille peu fonctionnelle, avec le bagage terrible qui est le sien après avoir été, on nous le dit, maltraité par son père, ne pouvaient que me toucher.
L’épisode inaugural (peut-être pour le seul bénéfice des professionnels de Séries Mania ?) se conclut par un trailer de l’intégralité de la saison, qui laisse supposer que Fokke va vraiment essayer de faire de ces quelques plans de cannabis une affaire familiale, et pas simplement une affaire personnelle. Pour le meilleur et surtout pour le pire. Pepijn, à ses côtés pendant l’essentiel de l’épisode inaugural, sera évidemment présent, mais Machteld et les filles devraient également faire leur réapparition, et faire ainsi de Hollands Hoop non pas l’histoire d’un homme abimé, abandonné à la solitude de sa condition, mais bien un drama humain sur une famille.

…Et bien plus, évidemment. Mais je laisse le soin à une chaîne bien intentionnée (oh, aaaaaarte ? besoin d’une série pour remplacer… Breaking Bad ?) de nous faire découvrir dans quelle mesure précisément. Des quelques images que j’ai pu voir sur la saison à venir, je crois que Hollands Hoop a une véritable identité, de véritables sujets, des questions intéressantes, à développer tout en utilisant l’appel d’air créé par la fin de la série de Vince Gilligan.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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