Big on gratitude

23 août 2015 à 14:00

Des comédies sur l’univers du sport, il s’en tente de plus en plus ces derniers temps… avec des résultats très variables. The Rebels, Sin City Saints, et maintenant Ballers, les exemples en environ deux ans se sont multipliés, et on est désormais loin d’Arli$$ comme seule proposition sur le thème. Un nombre croissant de séries américaines s’intéressent aux coulisses du sport, et mettent en scène toujours plus d’agents, de managers, d’entraîneurs, de propriétaires d’équipe et ainsi de suite. La dimension « business » des comédies de sport est plus détaillée à chaque nouvelle série, réussie ou non, et désormais pour se faire une idée du fonctionnement de cet univers, il n’y a pas besoin de chercher très loin.
Mais cette dimension en efface encore bien souvent beaucoup d’autres. Pour toutes les fois où une série nous a raconté (ou a essayé de nous raconter) les rouages financiers qui font et défont les équipes les équipes, et dont dépend forcément la vie des joueurs, peu de ces séries ont eu la franchise de nous parler de la dimension sociale de ces mécanismes. Survivor’s Remorse est cette exception.

Dans Survivor’s Remorse, ce n’est pas que le sport soit un prétexte ; c’est qu’il est un catalyseur. La série commence alors que Cam Calloway, joueur issu des bas-fonds de Boston, vient de signer un contrat professionnel pour intégrer la prestigieuse équipe d’Atlanta. A la clé : un contrat en or massif.
Dans ses bagages, il emmène son cousin, Reggie, qui est également son manager ; sa grande sœur, M-Chuck, une grande gueule à laquelle il doit beaucoup ; son oncle Julius, un branleur qui a hâte de profiter de la belle vie ; et sa mère, Cassie, une femme parfois étouffante mais qui exige toujours le meilleur de son fils ; mais surtout, il a emmené son passé avec lui.
Et Cam est hanté par l’idée de « rendre ». Survivor’s Remorse est, comme son titre pouvait l’indiquer, bien plus qu’un simple Entourage du sport : profiter du privilège nouvellement acquis de la richesse et de la célébrité n’est pas une fin en soi. Cam veut faire passer à d’autres les bonnes grâces qui lui sont désormais délivrées ; il veut partager ce qu’il estime être une chance, et pas juste l’accomplissement de son travail.

Alors qu’a commencé hier soir la saison 2 de Survivor’s Remorse, que vous n’avez pas regardée, je peux le sentir depuis mon côté de l’écran, je me suis dit que j’allais vous pousser au train en vous racontant pourquoi Survivor’s Remorse est l’une des meilleures comédies ayant démarré l’an dernier. Si je m’y prends bien, peut-être que vous allez utiliser la fin de votre weekend pour réparer votre erreur ?

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La culpabilité est au centre de Survivor’s Remorse, mais avec subtilité. Oui, Cam veut avoir le sentiment de donner à ceux qui ont compté pour lui, surtout maintenant qu’il en a la possibilité matérielle. Mais dans quelle mesure ? Et quelle est sa place à lui dans cette distribution ?

Cam est prêt à donner sans compter parce qu’il est dans une euphorie de reconnaissance, mais aussi parce qu’il a une conscience aiguisée d’où il vient. Il se rappelle de la vie à la cité, des deals de drogue et des trafics en tous genres dans lesquels il aurait pu tomber. Parfois c’est arrivé, et il garde à l’esprit qu’il aurait aussi pu ne jamais ressortir du gouffre. Que les conneries d’antan auraient pu perdurer et qu’il n’en serait pas là aujourd’hui. Cam se sent miraculé dans une sous-culture qu’il sait dévastée par la pauvreté, et qui se tourne vers le crime faute d’autre solution ; il le sait parce qu’il a pris ce chemin-là et que, pour diverses raisons, il a bifurqué à temps. Cette reconnaissance lui donne envie de partager ce qu’il vient de recevoir, entre autres parce qu’il a envie d’en tirer d’autres vers le haut.
Généralement, Reggie lui sert d’ange d’épaule en l’appelant à plus de rigueur, de responsabilité, de sobriété. Parce qu’il gère l’argent de Cam en plus de sa carrière, il est en première ligne pour savoir à quel point cette fortune peut se dilapider rapidement ; il tente par ailleurs de l’aider à lui faire gagner toujours plus de contrats, recentrant l’énergie de son cousin, ami, mais aussi poulain, sur des objectifs financiers, donc concrets, là où Cam aurait tendance à avoir la tête dans les étoiles et penser avec le cœur. Reggie voit Cam comme une « marque » et il entend lui faire maintenir certains standards pour pérenniser les fruits de cette marque. Loin des managers de la plupart des autres séries, Reggie n’est pas un vautour : c’est un ambitieux responsable, et il incite Cam à emprunter cette voie autant que possible, généralement par crainte de retourner dans la pauvreté aussi vite que les Calloway en sont sortis. Reggie sait d’où ils viennent… mais il est plus attentif à la direction vers laquelle ils se dirigent. Cela l’oblige, hélas, à passer généralement pour celui qui dit non à tout, et qui n’a pas de cœur.
Refuser à ceux qui sortent du bois est difficile, et chaque fois, Reggie et Cam vont devoir s’entretenir franchement sur la situation. Parfois c’est aussi, étonnamment, Cam qui fixera les limites, comme dans l’épisode où Reggie organise une visite d’hôpital type Make a Wish, ce qui rebute Cam au plus haut point. « Rendre », oui, mais pas à n’importe quel prix.

Les trois autres membres de la famille Calloway (Cassie, M-Chuck et l’oncle Julius) sont extérieurs à cette dynamique. Ils ne poussent Cam ni à donner aux autres, ni à lui faire garder son argent : ils pensent avant tout à eux. Julius est ainsi un épicurien qui, vraisemblablement après une existence de deals pas très nets, profite désormais entièrement des largesses de son neveu. M-Chuck a l’impression d’avoir aidé Cam à divers moments de sa vie à faire les bons choix, à l’avoir éduqué en quelque sorte, et dés le pilote elle exprime clairement son point de vue : le soutien financier de Cam lui est dû en quelque sorte par responsabilité fraternelle. Quant à Cassie, c’est une mère imposante dans la vie de Cam et celui-ci n’imagine pas ne pas lui rendre au centuple ce qu’elle lui a donné, car il est un bon fils. Parfois tous les trois se comportent un peu comme des sangsues, mais là encore, le sentiment de devoir « rendre » prime.
La première saison va aborder divers angles de cette relation. Reggie va ainsi pousser Cam à donner un budget fixe à sa famille, puis carrément leur attribuer un job (sauf Cassie, parce qu’elle est sa mère et que quand même). Vont-ils le remplir, et si oui comment ? Leur responsabilisation fonctionnera-t-elle ou Cam est-il condamné à signer des chèques maintenant qu’il a commencé ?

Survivor’s Remorse aborde, en passant ou à l’occasion d’un épisode plus long, toutes sortes de sujets sur la société afro-américaine. Tous ces aspects sont généralement absents de la plupart des séries, et on commence à les voir discutés seulement maintenant que la télévision commence à être moins blanche.
Ainsi, à l’instar de Black-ish, Survivor’s Remorse va dédier un épisode au « whupping » ; non pas parce que Cassie donne une correction à Cam (il est devenu trop âgé pour cela), mais parce qu’elle explique pendant une interview, devant des caméras, qu’elle avait l’habitude de lui infliger des corrections avec des câbles électriques ou des pièces de circuit Hot Wheels. Le « whupping » est partie intégrante de la société afro-américaine, mais fait partie des choses en cours de déconstruction, et l’épisode va tenter d’expliquer en quoi les temps ont changé et cette pratique appartient au passé… au moins publiquement. Ce que l’épisode décrit du double-discours entre ce qui se dit désormais en public, et ce qui se fait en privé, est intéressant et inédit. Là où Black-ish essayait de poser un regard sur la pratique du point de vue de parent, Survivor’s Remorse pose la question en tant que communauté.
La première saison ne dure que 6 épisodes, alors certains points sont plus rapidement abordés que d’autre. Un épisode pendant lequel Cassie et M-Chuck voulaient acheter la maison de leurs rêves à Atlanta se conclut alors que les deux femmes essayent de faire du chantage émotionnel à la propriétaire ; parce que toutes les trois partagent le même nom de famille, mais que la propriétaire est blanche, M-Chuck décide que ses ancêtres étaient des esclavagistes qui possédaient le pendant noir des Calloway. Par voie de conséquence, vendre la demeure à un prix défiant toute concurrence serait une réparation. Évidemment la ficelle est grosse, mais plus encore, elle est détricotée par la propriétaire rapidement.

Vous le constatez, l’essentiel de l’humour de Survivor’s Remorse tient dans les revirements de situations plus que dans de véritables gags, en tous cas, pas dans des répliques humoristiques. La série n’est pas drôle parce que les personnages sont écrits pour l’être à nos yeux, à chaque instant : elle est drôle parce qu’entre eux, Cam et sa famille se chambrent en permanence, renchérissent perpétuellement aux échanges des uns et des autres, et aiment rire les uns avec les autres. Si le spectateur rit, c’est parce qu’il se sent part de cette petite famille pleine d’énergie, pas parce que les scénaristes veulent susciter le rire et que les personnages sont un moyen. Et pourtant, j’ai parfois du mal à la qualifier de dramédie, tant l’outrance de certaines situations (il suffit de voir la fin de l’épisode à l’église pour s’en convaincre) et de certaines reparties lui font clairement franchir la ligne de la comédie.

Dans Survivor’s Remorse, la thèse est la suivante : le sport est non seulement un divertissement, mais aussi, voir surtout, un outil de promotion sociale. Et ça, c’est archi-nouveau dans le panorama des comédies sportives !

La série veut avant tout étudier tous les ressorts sociaux de cette promotion, pas seulement raconter l’histoire idyllique d’une famille qui s’est sortie de la précarité financièrement. Il faut qu’ils se sortent la tête de la pauvreté aussi, maintenant.
Quel genre de riches les Calloway vont-ils être ? La question se pose parce que les classes sociales aisées noires sont encore une part de la société américaine en pleine création (le premier milliardaire afro-américain ne date que d’il y a 15 ans). Ce n’est d’ailleurs pas un simple hasard géographique (ou fiscal) qui situe la série à Atlanta, l’une des villes préférées de la jet set noire.
C’est un personnage secondaire de Survivor’s Remorse qui personnifie ces interrogations : Missy, la femme de Reggie, qui est née dans une famille aisée et qui est la seule du petit clan à avoir eu une éducation supérieure. Son sens de l’Histoire, et notamment de la place des Afro-américains dans l’Histoire, influence parfois son mari auquel elle ramène parfois les pieds sur terre (preuve qu’il y a toujours plus raisonnable que soi). Mais elle est aussi la première à lui faire tenir sa place de nouveau riche, comme dans l’épisode où elle veut qu’ils intègrent le plus ancien country club à dominante de membres noirs (« je savais même pas qu’il y avait des country clubs noirs, depuis quand il existe ? », demande Reggie ; « onze ans », rétorque en riant son interlocuteur). Missy n’est pas aussi cynique que Reggie (qui pense que le seul moyen de ne pas dire « oui » à la mauvaise demande, est de dire « non » à toutes), mais elle comprend l’importance de ne pas se sous-évaluer.

Dans tout ça, Survivor’s Remorse ne va pas oublier de parler plus légèrement de ses personnages, de leur entourage, de leur vie sexuelle (M-Chuck proclame avoir un quota de propos salaces à tenir par jour, et refuse de s’en excuser auprès de quiconque). Leurs conneries, aussi, bien-sûr !
En six épisodes, Survivor’s Remorse a accompli tellement ; la saison 2 qui a débuté hier comptera cette fois 10 épisodes. Imaginez tout ce qu’une série de cette trempe peut faire avec rien que 4 épisodes de plus… En fait, vous savez quoi ? Je retire ce que j’ai dit : ne vous contentez pas d’imaginer. Nous vivons une période téléphagique géniale aux USA, où les minorités commencent enfin à parler d’elles de multiples façons, alors autant en profiter. Regardez Survivor’s Remorse. Point barre. Vous avez le temps, Cookie ne revient que dans un mois.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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