Itinéraire d’un politicien gâté

15 octobre 2015 à 19:50

Après de nombreux mandats en tant que Premier ministre (il est le 3e homme d’État à avoir tenu ce rôle le plus longtemps), et une plus longue encore carrière en politique, Andrew Dugdale prend sa retraite ; une retraite un peu forcée par le fait qu’il n’a pas réussi à être réélu une fois de plus. En tous cas, c’est le moment idéal pour écrire une autobiographie ! Le problème est que Dugdale, habitué à un certain train de vie, a eu vite fait de dépenser l’avance de son éditeur… cela, sans avoir pondu le moindre mot. Dans un dernier effort, une jeune femme lui est envoyée pour écrire le livre à sa place. Ellen, « ghost writer » de son état, débarque donc dans la maison déjà bien remplie d’Andrew Dugdale afin de l’interviewer et de réunir suffisamment d’éléments pour écrire à sa place l’autobiographie de l’ancien homme politique ; en emménageant temporairement avec son sujet, elle se retrouve plongée dans l’univers étrange de l’ancien homme d’État.

Tel est le point de départ de The Ex-PM, une comédie qui a démarré hier en Australie. Derrière ce pitch sympathique se cache hélas une comédie peu politique, là où pourtant on aurait pu penser qu’à l’abri derrière la retraite de son personnage principal fictif, la série puisse se permettre de se lâcher sans viser quiconque directement.

Il n’en est rien. Dans ce premier épisode hautement introductif, Dugdale va au contraire passer le plus clair de son temps à vouloir éviter les questions, politiques comme personnelles, donnant assez peu de matériel à Ellen mais aussi aux spectateurs. Pendant toute le pilote, elle va tenter de s’asseoir avec son sujet pour lui poser des questions ou simplement converser avec lui et découvrir quel genre de personne il est, mais rien à faire. L’ancien homme d’État a toujours mieux à faire, comme insister pour lui proposer un café (elle ne boit pas de café mais peu importe) et la trimbaler aux quatre coins de la demeure pour y trouver un meilleur endroit où discuter. Cette valse hésitation permet ainsi de faire la connaissance des diverses autres personnes peuplant le logis de l’ex-Premier ministre : son ancien chef de cabinet et aujourd’hui conseiller le plus proche, son agent de sécurité, son chauffeur, sa cuisinière d’origine étrangère, son épouse, leur fille et le fils de cette dernière. Tout ce petit monde, auquel s’ajoute dorénavant Ellen, vit donc dans une maison en apparence élégante et confortable, mais qui en réalité tombe lentement mais sûrement en ruines, une métaphore en elle-même. L’épisode va arpenter ses nombreuses pièces ainsi que son jardin, offrant un périple assez exhaustif qui, à défaut d’autre chose, prouve en tous cas que The Ex-PM jouit d’un décor extrêmement versatile et non d’un petit studio de tournage avec trois plateaux.

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On comprend bien que l’évitement, voire la couardise, sont au centre du personnage de Dugdale ; après tout n’a-t-il pas développé une faculté étonnante à ne pas voir sa femme s’envoyer en l’air avec son conseiller… même quand il les prend sur le fait ? N’est-il pas capable de garder son plus grand calme et répondre avec flegme à la cuisinière qui l’insulte et lui hurle dessus sans arrêt ? Son visage ne garde-t-il pas une expression placide même quand son propre petit-fils lui pisse littéralement dessus ?
The Ex-PM parvient (de justesse) à éviter l’humiliation permanente en décrivant un homme politique qui aime s’écouter parler, mais qui refuse de dire à sa propre biographe quoi que ce soit de significatif ; en montrant un homme imbu de lui-même, méprisant envers ceux qu’il juge inférieurs (tel son éditeur auquel il ne parle pas directement au début de l’épisode… alors qu’ils sont en visio-conférence ; ou même Ellen que sans avoir encore rencontrée il juge déjà durement), et tirant, même, très peu de fierté d’un parcours qu’il semble considérer comme normal et allant de soi, même quand dans un carton plein de « vieilleries » se trouve une photo de sa rencontre avec Nelson Mandela.

Avec un héros comme Andrew Dugdale, on comprend vite que la série aura plus de matière avec les personnages secondaires (quelque chose dont le pilote se moque gentillement dans une blague assez meta). Le bras droit de Dugdale vient immédiatement à l’esprit. Sonny a accompagné de nombreux hommes politiques pendant sa carrière, mais il semble avoir pris sa retraite en même temps que Dugdale un peu à contre-coeur, d’autant qu’il porte peu d’affection à son patron. Heureusement, on l’a dit, il a trouvé quelques avantages à rester dans le giron des Dugdale ! Si le personnage de Sonny est généralement assez drôle (in a Niles kind of way), à lancer des piques l’air de ne pas y toucher à son boss et à tirer sa femme littéralement sous son nez, c’est dans une scène précise qu’il se révèle dans toute sa splendeur : après que Dugdale les ait surpris à forniquer dans la salle de jeu (en détournant immédiatement la conversation), Catherine demande à son amant : « tu crois qu’il suspecte…? ». Ce à quoi Sonny répond : « il suspecte quelque chose pour toi… il a aucune idée pour moi ». Et c’est génial de voir en cet instant combien Sonny, qu’on voit quasiment lire dans les pensées de l’ex-PM et se montrer en apparence docile devant lui, a en fait un immense sentiment de supériorité ; ça fait une excellente dynamique qu’on peut espérer voir exploitée par la suite.
Le reste de The Ex-PM est hélas beaucoup plus limité, les autres personnages apportant des touches de comédie sans grande originalité, et pas forcément hilarantes, qui en outre sont très éloignées de tout propos politique. Il pourrait en somme s’agir des « domestiques » de n’importe qui, et ces bizarreries n’apportent pas grand’chose à l’affaire.

En revanche, ce qui est appréciable est que The Ex-PM avait tous les ingrédients réunis pour tenter un mockumentary, et semble avoir refusé de se plier à la facilité de l’exercice. Il faut dire qu’en refusant de dire quoi que ce soit à Ellen, Andrew Dugdale aurait fourni de bien piètres séquences de talking head, mais dans l’ensemble la série semble se refuser à mettre en place une idée d’hypocrisie constante, grâce à son insistance sur l’évitement pleutre de son héros. Ce point seul a du mérite, mais ne suffit pas à rendre The Ex-PM indispensable, car une fois la lâcheté du personnage établie, il faudra quand même proposer un peu plus pour rendre les épisodes suivants intéressants. Toute la question est de savoir à quel point ce premier épisode pose simplement des bases, ou a carrément mis en place une structure sur laquelle les épisodes suivants s’appuieront ; évidemment, il faudra un peu plus qu’une demi-heure de The Ex-PM pour le savoir.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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