Silent night

21 décembre 2015 à 16:27

A quelques jours de Jul, la sœur d’Inger Johanne Vik, une psychologue ayant jadis travaillé pour la police nationale suédoise puis le FBI, se marie dans un splendide hôtel. C’est également là qu’un homme mystérieux a reçu pour mission de tuer.

Mais Vik ne s’en doute pas un seul instant, en réalité : c’est sa fille aînée, Stina, qui prend l’homme sur le fait ; en dépit du choc, la jeune fille n’en dit pourtant pas un mot : son autisme l’empêche d’exprimer clairement ce qui la trouble. Sa réaction immédiate est de quitter l’hôtel, pieds nus et en pyjama ; en pleine rue, un camion manque de la renverser mais au dernier moment, c’est le tueur qui la sauve. A l’arrivée de la police, et notamment de l’inspecteur Ingvar Nymann qui est intrigué par l’évènement en apparence mineur d’une jeune fille manquant de se faire renverser en pleine nuit, le tueur est déjà loin.
Le lendemain, il reçoit sa deuxième « mission ».

Je ne vous cache pas que les thrillers scandinaves, là, euh, bon, je suis un peu en overdose, pour être honnête. C’est une position un peu inconfortable pour moi parce que d’un côté, j’abhorre les procedurals, donc j’aimerais dire du bien d’affaires filées comme celle de Modus… mais de l’autre j’aimerais bien qu’à un moment, on parle d’autre chose que de meurtres ou disparitions.
L’avantage de Modus dans ce contexte c’est que, pour son premier épisode, le côté policier est très light. On a le sentiment que ça ne va pas durer (l’affiche de la série comporte trois personnages, dont deux ayant travaillé ou travaillant pour la police), mais pour le moment je tiens le coup. Lorsque le pilote se conclut, personne n’a encore retrouvé de cadavre (même si ça ne saurait plus tarder à présent), personne n’a commencé à relever des empreintes ou dresser un profil psychologique, et c’est le genre de suspension de peine téléphagique qui me permet d’envisager la série sous ses autres angles, de considérer ses autres qualités, sans céder à l’impression d’étouffement.

Modus-650

Ces qualités, quelles sont-elles ? Eh bien pour commencer le fait que l’absence d’enquête à proprement parler, dans ce premier épisode, laisse le champs libre à la mise en place des personnages. TOUS les personnages. Alors bien-sûr, Inger Johanne Vik et Ingvar Nymann y tiennent une place prépondérante, on en apprend beaucoup sur leur situation, aussi bien professionnelle que sentimentale ou familiale. De fait, se dessine vite un portrait très large de toute une communauté de personnages qui, s’ils ne sont pas forcément très détaillés, montre que Modus ne veut pas balancer ces éléments de contexte pour meubler, ou pour faire genre, mais vraiment parce qu’elle a à cœur de n’isoler aucun personnage.
Et du coup, dans cette démarche, les victimes de ce premier épisode bénéficient d’un gros travail d’exposition. Elles ne sont pas juste des victimes ; ce que l’épisode décrit d’elles est de l’ordre du professionnel, du sentimental, du familial. Ce sont des personnes, pas des prétextes. Modus ne se cache pas de s’intéresser à l’angle dramatique de son enquête, et pas seulement à passer d’un problème à une solution, d’une enquête à une résolution, d’une série de meurtres à un emprisonnement. Peut-être que ce que nous percevons pour le moment de la vie de ces victimes offrira plus tard une explication sur la raison pour laquelle elles sont ciblées par ces « missions », mais actuellement, ça nous dit surtout que ce sont des personnes, qu’elles ont une vie, avec ce que cela représente de complexité autant que de banalité, et que cette vie va être interrompue.
Au passage, ça pose aussi subtilement sur la table une certitude : ce n’est pas parce que la vie d’un personnage est détaillée qu’il ne peut pas être ciblé par une « mission » plus tard ; finalement pour un thriller, c’est plutôt futé d’accepter de passer du temps sur tout ça !

Et puis ce qui frappe aussi dans Modus, c’est que cette décision de s’orienter vers une remise en contexte de chaque protagoniste de la série, quel que soit son rôle, quelle que soit son espérance de vie, participe à un thème plus large.
Dans Modus, toutes les familles décrites sont pour l’instant des familles décomposées/recomposées. Il n’y a aucun personnage qui vit l’image d’Épinal : un mari, une femme, deux enfants, une maison. Inger Johanne Vik est séparée de son époux et a la garde de leurs deux filles ; Ingvar Nymann est séparé de son épouse depuis deux ans (on apprendra pourquoi en fin de pilote) ; la première victime est elle-même divorcée ; la seconde continue de vivre avec son époux pour maintenir les apparences. Même autour d’eux, les portraits familiaux sont modernes, loin du cliché de la famille scandinave typique : un couple de lesbiennes et un couple de gays qui se partagent la garde de leur fils, un couple racialement mixte, des enfants adoptés…
Ces représentations si diverses fonctionnent d’autant mieux dans le contexte de Jul. Là encore, on ne sait pas si tout cela a un quelconque lien avec les motivations des « missions ». Mais, au moment de l’année où toutes les relations familiales se trouvent exacerbées, où il faut discuter de qui a la garde de qui, et de chez quel grand-parent passer le jour de Jul, Modus a choisi de se pencher sur des meurtres qui bouleversent ces équilibres fragiles. Et ça c’est une démarche intéressante.

Du coup la diffusion de Modus, tant dans son pays natal (elle a démarré à la fin septembre sur TV4) qu’en France (elle débute début janvier sur 13e rue) semble persister à se faire à contre-temps, ce qui est dommage. Surtout que la réalisation appuie énormément sur la présence de sapins, d’angelots, de crèches, de messes de Jul. Allez, peut-être que la deuxième saison aura un meilleur timing.
En attendant, il n’est pas trop tard pour souscrire à 13e rue : au vu de ce premier épisode, la série scandinave semble vraiment se distinguer du lot.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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