Jamais je ne t’oublierai

27 décembre 2015 à 21:30

Ah, les histoires de famille ! Elles font le bonheur de la télévision québécoise depuis 1953 avec La Famille Plouffe. Derrière cet ingrédient essentiel du téléroman se cache, toutefois, une grande palette de variations. Celle qu’offre Mémoires Vives, autour de la disparition, du deuil mais aussi de la recomposition de la structure familiale, n’est pas une simple redite.
Je vous parlais le mois dernier du premier épisode de Mémoires Vives, voici donc venu le moment de faire le point sur sa première saison. Pour ces raisons, de terribles spoilers peuvent être lâchés sans prévenir sur les lecteurs innocents, après l’image.

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Voilà 30 ans que Laurie a disparu, laissant ses parents désœuvrés. La peine étant trop forte, à l’instar de beaucoup de couples dans une situation similaire, Jacques et Francine se sont bientôt séparés ; puis Jacques s’est remarié avec Claire. Au terme de leur union d’un quart de siècle, ils se sont également séparés voilà trois ans. Jacques apprend maintenant que sa nouvelle compagne, Mélissa, est enceinte.
Derrière cet arbre généalogique complexe, qui inclut des enfants et même des petits-enfants, se cache une forêt de relations complexes. Jacques et Francine ne sont par exemple pas en très bons termes, et se sont d’ailleurs très peu parlé depuis que Francine a entrepris de voyager. Un séjour au loin qui a d’ailleurs soulagé leur fils, Nicolas, qui a ainsi été libéré de l’emprise d’une mère particulièrement étouffante. Au contraire, Claire se présente encore souvent comme une partenaire à laquelle Jacques (un illustrateur de livres d’enfant) peut parler, sur laquelle il peut compter ; en outre ils ont ensemble deux filles, Flavie (désormais psychologue) et Mathilde (une jeune mère au foyer). De son côté, Mélissa a l’âge de Mathilde, une situation un peu maladroite pour beaucoup, et de fait parfois, Jacques ne sait pas trop comment lui parler.

La première saison de Mémoires Vives va détailler plus encore ce canevas de relations. En fait, une grande partie de la saison sert à exposer toujours plus en avant les dynamiques, parfois imperceptibles à l’œil nu, de cette gigantesque famille ; c’est une façon très polie de vous expliquer qu’il ne se passe pas toujours grand’chose, mais que les révélations se succèdent quant à la nature des sentiments que les uns nourrissent envers les autres.
Par exemple, Francine, qui n’est que rancœur personnifiée, en veut toujours à Claire de lui avoir « volé » son mari, nonobstant le fait que leur union n’était pas qu’une simple aventure mais bien un mariage qui a duré 25 ans. Certes, on apprendra que Jacques a séduit Claire dés l’adolescence de celle-ci, alors qu’il était déjà marié à Francine, mais cela ne change rien au fait que Jacques et Claire ont passé l’essentiel de leurs vies côte à côte. Mémoires Vives fait beaucoup d’efforts pour, d’ailleurs, nous présenter ces « révélations » comme des éléments expliquant les situations familiales, mais la plupart de ces ingrédients n’ont rien de nouveau pour la plupart des protagonistes. Francine ne dévoile rien à ses proches en exprimant son amertume, tous connaissent déjà cette histoire ; il n’y a que le spectateur qui l’ignorait jusqu’à ce que soit abordé à l’écran. De cette façon, la série évite des tournures trop soapesques de son intrigue ; les « révélations » ne sont en fait que de longs éléments de background, apportés progressivement au spectateur, et non pas des informations ayant pour objet de changer quoi que ce soit à la vie des personnages ou à leur ressenti.
Cela donne à la série un rythme tranquille, voire parfois pépère, mais en contrepartie, celui lui permet de conserver un ton plus authentique qu’un soap à proprement parler. Dans la vraie vie, on ne vous fait pas une déclaration qui bouleverse le fondement des relations à vos proches tous les quatre matins ; eh bien, Mémoires Vives est un peu comme ça : on s’y connaît depuis suffisamment d’années pour que les choses ne soient pas dépendantes de la moindre déclaration. Cela donne au spectateur l’impression d’investir un univers complet, et abouti, riche de ses personnages et de leurs certitudes sur leur entourage. Ça fonctionne généralement plutôt bien.

Ça fonctionne d’autant mieux que ça donne à la série côté chronique : ce qui meuble l’essentiel des épisodes, c’est le quotidien de personnages aux préoccupations normales (leur vie de famille, leur situation amoureuse, leurs ennuis d’argent…). On s’appelle au téléphone pour partager tout cela, on se retrouve chez l’un ou chez l’autre pour parler de tout et de rien, on discute de ce qui occupe l’esprit à un moment donné, mais on n’est pas dans le clash permanent, dans une confrontation de ressentis, dans une quête de revirement de situation.
Ce procédé permet de donner à Mémoires Vives une touche authentique, difficile à acquérir pour une fiction qui n’est, en essence, qu’un soap. Cela témoigne aussi d’un sujet plus vaste, sur la déconstruction ET reconstruction d’une famille après une tragédie ancienne, laquelle est à l’origine de bien des dynamiques actuelles. Après 30 ans, les membres de cette famille étendue n’ont pas fait du sur-place, ils ont tous, tant bien que mal, dû faire en sorte que « la vie continue ». Eh bien voilà comment elle a continué, dit Mémoires Vives, de façon imparfaite et parfois fragile, mais enfin, c’est la vie telle quelle, voilà. Et tant que la démarche fonctionne, tout va bien.

En fait suivre les protagonistes de Mémoires Vives, avec leurs préoccupations légèrement triviales (faire garder un môme, être en retard à un rendez-vous amoureux, etc.), m’ont vraiment donné le sourire. Il était rare que je finisse un épisode sans une jolie banane sur mon visage, tant tout ce petit monde est hautement sympathique. Et si je ne nie pas qu’on se trouve vite des préférés (la Claire de Marie-Thérèse Fortin est une force de la nature, de ces personnages féminins que j’adore voir à la télévision), le fait que ce toute la distribution est charmante à suivre, intéressante à regarder même dans ses moments les plus banals, facile à aimer en somme.

Du coup, quand Mémoires Vives introduit une « vraie » révélation, par un secret soudain révélé après des décennies de silence conspirateur, la série fonctionne d’autant mieux. Et c’est un sacré témoignage de qualité quand on voit l’énormité du secret (Laurie n’était en fait pas la fille de Jacques et Francine). Justement : avoir maintenu cette atmosphère d’authenticité permet de garder la tête froide et d’autoriser la série à explorer cette nouvelle information avec une certaine dose d’intelligence, de bon sens, et de tendresse. Le résultat fonctionne plutôt bien, et aboutit à une scène de dîner (la première à mettre en scène la famille au sens large, même si tous ses membres ne sont pas présents physiquement) qui a d’autant plus de force émotionnelle qu’on a appris à composer avec le puzzle subtil d’émotions et de dynamiques de la famille dans tous les épisodes précédents.

On ne va pas se mentir : Mémoires Vives est imparfaite. Ses longueurs (qui sont un peu le revers de la médaille de sa patience envers les banalités du quotidien) ne lui rendent pas toujours service, et on a parfois l’impression que la saison n’est en fait qu’un long préambule à quelque chose qui arrivera plus tard dans la série. Je n’ai pas encore décidé si je le vérifierai.
Il n’empêche que son effort, a fortiori vu son registre, est louable ; j’imagine assez peu de séries essayer de composer avec ces thèmes tout en préservant un ton somme toute familial et grand public, sans tomber dans le drame tragique (Mémoires Vives est au contraire lumineuse, jusque dans ses décors d’ailleurs). La série ne fascine pas, mais elle berce, chaleureusement, le spectateur dans son giron, pour lui donner l’impression de faire partie de cette famille moderne qui panse ses blessures. Et après tout, on n’en est pas à une pièce rapportée près.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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