Peacekeepers

23 avril 2016 à 14:00

Vous savez ce que c’est, je ne vais rien vous apprendre : lorsqu’on s’intéresse à une série alors qu’elle n’est qu’en cours de développement, puis en tournage, il est vite arrivé de s’en faire une idée qui a de grandes chances de ne pas coller à la réalité du résultat final. C’est la mésaventure qui m’est arrivée avec la série norvégienne Nobel, projetée hier soir en avant-première mondiale pendant Séries Mania, et que je guette depuis 2014 maintenant ; quand l’imagination a eu autant de temps pour travailler (ravivée à intervalles réguliers par des news, des bandes-annonce…), le pire ne peut que se produire.

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Ce n’est pas que je n’aie pas aimé Nobel, notez bien. Au contraire : je lui vois de toute évidence beaucoup de potentiel. Mais j’ai aussi le sentiment que le seul épisode d’exposition, de par les limites de l’exercice notamment, ne répond pas entièrement à mes attentes. Or, Nobel est encore en post-production (en fait, même le premier épisode présenté hier est incomplet : il lui manquait des effets spéciaux et une partie du travail sur le son) et il n’y a pour le moment pas de deuxième épisode disponible.
Tout d’abord, résumons : Erling Riiser est un soldat norvégien actuellement déployé en Afghanistan, où les quelques centaines de militaires assurent notamment des missions de maintien de la paix. Après plusieurs mois, Riiser obtient une permission et revient auprès de son épouse et son fils. Mais la lente reprise de sa routine est interrompue par un incident dont les répercussions pourraient être immenses…

Le premier épisode de Nobel est, en gros, divisé en trois phases. La première, qui se déroule en Afghanistan, montre le quotidien de Riiser et le type d’actions auquel il participe. Une longue scène se déroulant sur un marché s’inscrit ici dans ce qui semble être une continuité (les soldats norvégiens protègent le marché et un hôpital proche du risque d’attentat-suicide), mais offre aussi un tournant (pendant l’intervention, trois personnages afghans essentiels apparaissent, sur lesquels la série attire ostensiblement notre attention). La deuxième s’intéresse plutôt à la vie de l’épouse d’Erling Riiser, Johanne, qui travaille au sein du cabinet du ministre des Affaires étrangères. On est dans une toute autre ambiance : bureaux propres et feutrés, discussions posées autour d’une table… Quant à la troisième, elle est l’élément perturbateur : informé de façon étrange de la présence d’une personnalité afghane, Erling se lance sur sa piste, avec des conséquences fatales. On est alors plus dans de l’action et du suspense, quelque chose qui justifie certains médias pour qualifier Nobel de « Homeland norvégien » (la pratique m’agace au plus haut point, ne me lancez pas).

Ce qui est fascinant dans cet épisode, c’est que le couple Riiser incarne deux façons d’intervenir en Afghanisan.
Erling est sur place, où les interventions des militaires norvégiens se font sous haute tension. Toutefois, il semblerait que l’impact ne soit pas toujours celui espéré sur la population locale, avec laquelle il faut composer et savoir se montrer ferme en situation de crise, tout en respectant les citoyens. On sort aussi de la glaçante scène du marché avec l’impression que ces opérations de routine, si elles sauvent sans conteste des vies, ne résolvent pas grand’chose de la situation du pays. A l’inverse, Johanne n’a aucune idée de la réalité de l’Afghanistan au quotidien ; elle et son ministre prennent des décisions à distance sur l’avenir du pays dans son ensemble, sans toujours réfléchir aux conséquences sur les individus. Il est qui plus est assez effrayant de voir tous ces Scandinaves discuter posément de la meilleure façon d’instaurer la démocratie… sans jamais consulter les Afghans, voire en tentant d’écarter ceux qui s’opposent au projet tel que conçu par des ressortissants norvégiens civils.
Nobel met bien en place ce contraste, et il sera utile pour la suite. Mais pour le moment il apparaît un peu comme binaire. Encore une fois on est d’accord qu’il s’agit d’un premier épisode (sur huit, soit précisé en passant). J’en suis entièrement consciente et c’est la raison pour laquelle je pense que la série ne peut que gagner en profondeur et en nuances par la suite. Mais à ce stade c’est vraiment du noir et blanc.

Les actes de la fin de l’épisode (premières scènes de violence montrées à l’écran ; Nobel a évité soigneusement de montrer quoi que ce soit d’aussi direct pendant ses séquences précédentes, y compris en Afghanistan) auront sans aucun doute des retombées internationales, et cet angle est intéressant.

Mais je crois que ce qui me fascine le plus dans Nobel, et sûrement ce qui me motive à attendre d’en voir plus avant de former un avis définitif à son propos, c’est la démarche profondément politique de la série. Rien que le titre en dit beaucoup : au pays du prix Nobel, où l’on aspire au pacifisme et où l’opinion publique n’est pas exactement encline à soutenir les troupes déployées en Afghanistan, la démarche a du cran. Combien de séries prennent volontairement le parti d’aller à l’encontre de la culture nationale pour confronter tout un pays à ses opinions, ses contradictions, voire son hypocrisie ? Pas des masses.
Et Nobel a vraiment le potentiel pour cela ; elle le montre bien avec ses deux personnages principaux, mais aussi par le biais de petites répliques (tous ses camarades et professeurs présupposent que le fils d’Erling est transi de peur pendant le déploiement, le père d’Erling est quant à lui fermement opposé à toute intervention militaire…), qui forment une constellation de jugements de l’activité des soldats norvégiens en Afghanistan. Ont-ils raison d’être soulagés à l’idée de ne pas avoir de troupes là-bas ? Nobel n’ambitionne pas de répondre à cette question par un « non » massif, mais en tous cas la série me semble très claire sur son intention de refuser un « oui » monochrome.

Nobel sera diffusée à la fin de l’automne dans son pays natal (je veux parler de la Norvège, pas de l’Afghanistan !) et devrait arriver sur arte dans les mois suivants. Donc, vous savez quoi ? On en reparle à ce moment-là.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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