Affaires re-classées

3 juin 2016 à 16:13

Sur internet, un homme recrute des jeunes femmes qu’il tue et abandonne dans la forêt, le corps en morceaux. Après la découverte de 8 corps, la police finit par clore l’enquête lorsque le cadavre d’un homme est repêché, qui correspond au portrait du tueur en série. Et hop, un problème de moins.
Affaire close, vraiment ? Non, car voilà que des mois plus tard, la police des police décide de jeter un oeil au dossier. Envoyée auprès de l’inspecteur Marek Kaszowski, qui avait conduit l’enquête, la commissaire Joanna Majewska tente de déterminer dans quelles circonstances le dossier a été bouclé. Car la personne qui a tué le tueur en série n’a jamais été identifiée, et tout ce qu’on en sait, c’est que cette personne est gauchère. C’est effectivement peu pour conclure quoi que ce soit. Mais cela ne signifie pas forcément que l’enquête a été conduite de façon irréprochable…

La série policière Paradok§ (à lire « paradoks« , qui veut dire en polonais exactement ce que vous croyez) n’a pas l’air très captivante sur le papier. Au terme du visionnage du premier épisode, je suis hélas qualifiée pour vous dire que c’est à peine mieux une fois qu’on est devant. Il y a des bonnes idées, mais elles sont noyées sous les clichés et les longueurs, et desservies par les personnages.

Paradoks-650

L’un de ces clichés, c’est l’utilisation constante de flashbacks sur l’enquête menée par Marek Kaszowski et son jeune adjoint Jacek Czerwiński. Oui, absolument, le flashback, cet outil qu’on a vu et revu à toutes les sauces ces dix voire quinze dernières années. Ici, pour indiquer qu’il s’agit de scènes passées, la série a opté pour un filtre bleu. Hélas, si je suis sincère, il me faut admettre que je n’ai pas tout de suite perçu cette astuce, tant la palette de couleurs de la série est froide d’une façon générale ; le temps que ça me parvienne au cerveau, près d’un quart de l’épisode était derrière moi. Mais ok, admettons : on va dire que c’est ma faute et que je suis un peu lente dans mon genre.
Sauf que les soucis ne s’arrêtent pas là : ces flashbacks sont si longs qu’ils finissent par occuper l’essentiel de l’épisode. Ce qui aurait pu être, en théorie, une façon intéressante d’interroger les agissements passés de l’inspecteur, devient finalement un prétexte plutôt qu’autre chose. On suit en effet l’enquête d’une façon qui apparaît comme chronologique, ce qui fait perdre beaucoup de force à l’exercice. Il m’a semblé que Paradok§ essayait de semer le doute sur ce que Majewska allait trouver dans cette affaire classée, mais la linéarité des flashbacks (sans parler du contenu de l’un des tous premiers d’entre eux) explicite plus qu’il ne le faudrait les méthodes de Kaszowski.

Notre homme a en effet tendance à prendre des… comment dire, des « raccourcis déontologiques » ? Lorsqu’on lui refuse l’accès à la base de données d’utilisateurs d’un chat de rencontres, il menace le gérant du site. Tout simplement ! Lorsque la légiste trouve une preuve, il demande qu’elle la garde sous le coude le temps qu’il procède à quelques vérifications avant que cela n’apparaisse dans le rapport. En plus il est très proche de la légiste, ça aide. Lorsque l’interrogatoire de la sœur d’une victime sème le doute sur son alibi le soir où est mort le tueur en série, il la laisse partir sans l’inquiéter. Et ainsi de suite.
Évidemment, dans cette suite de flashbacks, on comprend ce que Paradok§ a décidé de nous dire : pour Kaszowski, non seulement la fin justifie les moyens, mais il préfère que les « vrais » criminels soient hors d’état de nuire. Pour la série, ce sens moral est un idéal qui ne s’embarrasse pas des obligations administratives ou légales de la police ; contrairement à lui, Majewska est toujours le nez dans les dossiers, à poser des questions chiantes pendant que dehors des gens tuent ou pire, et si ce qu’elle fait est juste sur un plan légal et déontologique, sur un plan purement moral on est enjoints à avoir envie de l’envoyer balader. Il est là, le paradoxe de Paradok§, explicité à longueur de scènes. C’est vite usant.

Et si encore il n’y avait que ça. Mais les personnages sont insupportables. Majewska débarque dans le commissariat avec sa tête de Maggie Gyllenhaal du dimanche, un petit sourire satisfait tatoué sur le visage, le regard scrutant ses interlocuteurs tandis qu’elle pose ses questions avec toute la patience perverse de celle qui est persuadée de connaître déjà les réponses. Face à elle, Kaszowski fait juste la gueule. Il grommelle, il refuse de la regarder lorsqu’elle lui parle, il n’est que mépris. Lui aussi est sûr de sa supériorité, mais l’exprime avec l’amabilité d’une porte de prison. Au milieu de tout ça, Czerwiński apparaît toutes les 15 minutes pour sortir une réplique inutile, et le supérieur de Kaszowski, un dénommé Henryk Talak, tente désespérément d’arrondir les angles entre les deux personnages centraux.
Leurs confrontations reposent essentiellement sur le fait qu’ils n’ont pas envie de se parler. C’est captivant, hein ? Très franchement, c’est tellement assommant que j’ai été tentée de jeter mes somnifères ; mais vu que les personnages sont aussi très irritants, j’avais trop peur que l’agacement ne me tienne quand même éveillée.

Dans cette débâcle, Paradok§ parvient à offrir UNE bonne scène : quand Majewska va interroger la sœur d’une des victimes du défunt tueur en série.
On avait déjà vu, par le biais d’un flashback (bien-sûr), que Kaszowski était allé lui parler suite au repêchage du cadavre du tueur. On avait assisté à leur entretien pendant lequel la sœur en question avait tenté maladroitement de se trouver un alibi. On avait bien vu Kaszowski la laisser partir malgré tout, malgré le fait qu’elle soit gauchère, même. On avait bien-sûr suivi Majewska lorsqu’avait posé des questions à l’inspecteur sur cet interrogatoire, et que celui-ci, avec la cordialité qui le caractérise, lui avait offert des réponses minimalistes. Bref on pensait déjà avoir tout compris. On avait raison.
Alors que peut bien nous offrir cette scène ? Eh bien, Majewska va voir ladite frangine, et pose les mêmes questions que Kaszowski. Et il s’avère que la sœur, pendant les mois qui ont passé depuis que Kaszowski est allé la voir, a peaufiné son histoire. Désormais elle répond parfaitement. Elle a un alibi impeccable. Elle offre même de donner les numéros de téléphone de personnes pouvant le corroborer. Naturellement ses réponses sont trop parfaites, et Majewska, fidèle à elle-même, sourit en coin parce qu’elle sent ce qui se passe et n’est pas dupe. Mais elle n’y peut rien. Ce petit jeu du chat et de la souris marche plutôt bien, et c’est assez génial de voir comment la sœur a gagné en assurance depuis son premier interrogatoire, comment elle a étoffé son récit avec des détails, comment elle a pensé à tout.
Le clou du spectacle, c’est quand à la fin de leur conversation, Majewska accepte l’offre de la frangine et lui demande de lui écrire les numéros de téléphone dans son carnet. La sœur prend le carnet avec désinvolture, et commence à écrire… main droite.

J’avoue, j’ai jubilé. C’était bien joué. Majewska sait, bien-sûr, mais elle n’a absolument rien pour étayer sa théorie. A ce stade tout le monde (commissaire, inspecteur, sœur… et spectateur) sait que Kaszowski a donné un passe-droit à une femme qui a vengé la mort de sa sœur, et a tué un tueur en série. Mais il n’y a pas un fil qui dépasse qui puisse être tiré pour détricoter l’affaire.

Si Paradok§ était capable de ce type de malice à longueur d’épisode, au lieu de faire tout trainer en longueur et soudain se réveiller dans une scène, la série serait absolument géniale. Ce serait jouissif à observer, plutôt que soporifique. Dans un monde parallèle, Paradok§ est une série qui interroge les concepts de moralité et de légalité, qui joue sur les flashbacks pour nous semer le doute sur la véritable nature du crime et sur les libertés prises par Kaszowski, qui, peut-être, fait jouer à Majewska un rôle un peu plus passionnant que celui d’inspectrice des travaux finis. Mais rien à faire, ça ne décolle pas.
Le manque d’imagination, d’audace et de réflexion pèse sur Paradok§ comme un kilo de golabki sur l’estomac.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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