Sinners who are forgiven, or saints who still sin

21 juin 2016 à 19:06

Au sein de l’église baptiste Greater Hope la vie ressemble à celle d’une église de congrégation noire comme les autres : son pasteur est écouté et respecté, sa femme et sa fille font partie de la noblesse locale, ses ouailles sont attentives et fidèles, et le tronc de l’église n’est jamais vide le dimanche.
Évidemment il n’y aurait pas de série si tout était réellement aussi simple. Le pasteur Evan Johnson est, de son propre aveu d’ailleurs, un homme qui a jadis succombé au jeu ; il oublie simplement de dire que cette époque n’est pas aussi révolue qu’il le laisse penser. Son mariage avec « Lady Ella » n’est pas des plus simples, chacun défendant ses propres intérêts, et Lady Ella ayant décidé de se lancer en politique et briguer le mandat de maire sitôt que la maire sortante, Pamela Clayborne, aura annoncé sa candidature au Sénat. Or, le budget de la campagne a été absorbé par les dettes de jeu du pasteur… En outre, leur fille Christie, bien qu’ayant réussi à établir une brillante carrière de médecin, est restée meurtrie par la mort prématurée de son frère aîné Evan Jr. alors qu’elle n’était qu’adolescente, et ne semble jamais avoir même tenté de se construire une vie personnelle à cause de cette cassure.
Arrivé récemment dans cette situation tendue, Levi Sterling devient le nouveau protégé du pasteur qui revient en ville après avoir travaillé à Wall Street, qu’il a quitté précipitamment en plein cœur d’une affaire de malversations. Les choses sont d’autant plus compliquées que Levi a grandi en ville, et qu’à l’adolescence, il était épris de Christie avec laquelle il aurait concrétisé si ce soir-là, Evan Jr. n’avait pas été abattu.

Saints & Sinners ne s’embarrasse pas spécialement de personnages complexes. En fait la série, pour son premier épisode, cherche au contraire à s’assurer que tout le monde a bien pris la mesure exacte de chaque protagoniste, sans laisser aucune part d’ombre, ni préserver la moindre ambiguïté. Chaque aspect de la situation de départ, que je viens d’expliquer, est exposée de la façon la plus explicite et détaillée à travers des dialogues peu fins, et des scènes conçues uniquement pour que les personnages puissent nous dire qui ils sont, ce qu’ils veulent et ce qu’ils ont mangé à midi de la façon la plus claire possible.
Le pasteur Johnson doit de l’argent à quelqu’un de peu recommandable, Levi ne veut pas rester en ville car il craint pour son futur, Lady Ella n’est qu’ambition brute et mépris conjugal, et Christie fait figure d’oie blanche. Saints & Sinners s’intéresse à la façon dont ces éléments vont se percuter par la force des pressions internes comme externes. Ce n’est pas exactement ce qu’on aura fait de plus excitant en matière de télévision, mais on peut difficilement reprocher à Saints & Sinners son désir d’efficacité.

Il me faut cependant préciser que la série ne se contente pas uniquement de démêler les fils si clairement étiquetés de ces intrigues : Saints & Sinners en rajoute une autre, en fin de pilote, qui va permettre de semer encore un peu plus de trouble.
Le meurtre qui se produit alors, et qui nous promet par-dessus le marché une enquête criminelle (où, si j’en crois le trailer, les premiers personnages blancs de la série vont faire leur apparition), remet un peu les choses en perspectives : une fois l’épisode fini, j’ai eu l’impression que celui-ci avait finalement assez bien décrit, mais sans m’en prévenir, les motivations de chacun. Bien-sûr que tout le monde est suspect maintenant ! Là encore on n’est pas dans une idée qui déborde d’audace, mais concédons qu’elle fonctionne parfaitement.

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Écoutez, ce qui se passe ici est simple : on a affaire à un soap, ni plus ni moins. C’est sans nul doute un primetime soap hebdomadaire, avec ce que cela implique comme différences dans les décors et dans la qualité de la production de façon plus générale, mais on reste pleinement dans le registre du soap, et il ne faut vraiment laisser aucune ambiguïté à ce sujet. Les dialogues vous défausseront d’ailleurs de toute illusion si jamais il devait en subsister.
A partir de là, le choix est le vôtre. Si le primetime soap, avec ses risques d’excès voire son affection pour ceux-ci, ne vous rebute pas, Saints & Sinners n’est pas plus pire qu’un autre. J’aurais tendance à penser, d’après ma propre échelle de valeur (extrêmement relative, par définition, mais ça fait du bien de le rappeler) que Saints & Sinners malgré sa tentation pour le cliché, est plus regardable qu’un Empire ; la seconde, avec son univers musical clinquant et son goût pour la surenchère jouissive (personnifiée par Cookie), ne semble reculer devant rien pour toujours aller plus loin, tandis que Saints & Sinners a quelque chose de plus simple. Aucune de ces séries ne peut prétendre à beaucoup d’authenticité, mais à mes yeux Saints & Sinners parvient à faire un peu mieux illusion, peut-être parce que les sommes d’argent y semblent (au moins au stade du pilote) moins colossales, et parce qu’en choisissant pour pièce centrale de son décor l’intérieur d’une église, la série s’oblige à préserver un semblant de proximité. Clairement ici le contexte dans lequel les intrigues typiquement soapesques se déroulent a son importance.

Lorsqu’Empire avait débuté, justement, je vous disais que l’avantage était qu’on avait de plus en plus le choix. Et plus les séries s’intéressant aux communautés afro-américaines (et écrites par et pour elles, qui plus est) gagnent en succès, plus ce choix s’étend ; on en a la démonstration avec Saints & Sinners qui, sur une chaîne pourtant assez confidentielle (Bounce TV a la même cible que BET mais certainement pas la même notoriété), a battu des records d’audience non seulement pour une fiction de la chaîne… mais pour un programme de la chaîne, tout court. Dit comme ça, 1 million et demi de spectateurs, ça ressemble à une peccadille comparé à ce qu’engrange Empire, mais pour une chaîne qui n’a que 5 ans d’existence, qui est accessible seulement dans trois foyers sur quatre aux USA, et dont les moyens ne permettent des campagnes de communication qu’autrement plus limitées, c’est épatant.
Et c’est la preuve qu’élargir ce choix est une stratégie gagnante pour les chaînes comme Bounce TV donc, BET bien-sûr (Being Mary Jane est l’un des dramas les plus solides du moment, comme vous verrez que j’ai eu l’occasion de vous le dire à plusieurs reprises lors de reviews sur la série)… mais aussi OWN (Greenleaf démarre ce soir) ou TV One (qui a annoncé pour ses upfronts son tout premier drama original, pour le moment sans titre mais qu’on devrait voir en 2017). Ces autres chaînes, jusque là méconnues des spectateurs, souvent juste bonnes à syndiquer des « black sitcoms » ou à commander des équivalents de seconde zone (quoique je persiste à penser que Belle’s avait du charme, et même quelques bonnes idées), sont en train de grandir à vue d’œil, et de s’épanouir dans le domaine des séries. Ça fait plaisir à voir ; les perspectives ouvertes par la télévision hispanophone laissent entrevoir de belles promesses pour ces chaînes qui s’adressent à une autre minorité culturelle des USA ! Sky’s the limit, et toute cette sorte de choses.
Alors dans tout cela, bien-sûr, tout ne plaira pas à tout le monde. Mais à mesure que ces séries vont s’atteler à différents thèmes, différents genres, différents tons aussi (voire surtout) au lieu de mariner dans le sitcom simpliste comme ça a longtemps été le cas, on va entrer dans un monde où un drama de niche ne sera pas qu’une série de HBO ou AMC mettant en scène des personnages blancs, mais aussi des séries s’intéressant aux différentes problématiques rencontrées par les Afro-américains, à leur histoire, à leurs histoires. Et ces niches-là vont parfois ne pas nous parler, à nous qui vivons de l’autre côté de l’Atlantique, et c’est parfaitement concevable, mais elles vont aussi participer à la richesse de la fiction comme jamais avant, et certainement pas à un tel degré. Saints & Sinners est peut-être caricaturale dans ses dialogues, mais elle propose à deux actrices ayant la cinquantaine d’interpréter un couple de lesbiennes vivant cachées dans une communauté noire très conservatrice : on peut difficilement citer 712 séries l’ayant fait avant elle.

Alors dans le fond, non, je n’ai pas absolument envie de vous dire qu’il FAUT regarder Saints & Sinners. D’ailleurs même si je le faisais, hein… rentre par une oreille… Mais elle a ses qualités. Et elle a des choses à dire : maladroitement, certes ; et il y a certaines choses dont je ne suis pas tout-à-fait convaincue qu’elle veuille tant en parler que simplement les utiliser pour faire rebondir ses intrigues, mais qu’importe. Elle arrive avec quelque chose qui lui est propre, un mélange qui ne fonctionne pas toujours de façon parfaitement fluide (c’est la première série de son créateur Ty Scott, après tout), un ton qui ne plaira potentiellement qu’à ceux qui aiment le primetime soap, une intrigue policière qui ne révolutionnera pas la face du monde, et ainsi de suite. Vous ne me verrez pas le contester.

Mais à chaque Saints & Sinners qui naît aux USA, et qui bat un record dans son coin, et qui tente quelque chose de nouveau… un téléphage gagne des ailes.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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