De l’art avec du cochon

25 septembre 2016 à 13:12

Liste non-exhaustive de critères ne suffisant pas à déterminer si une série mérite ou non d’être regardée : son sujet, son titre, son cast, son pays d’origine, ou encore son manque de notoriété. Non, la seule raison valable pour tenter le coup avec une série, c’est : parce qu’elle existe. Et pour vous le démontrer, je vais vous parler aujourd’hui de Four in the morning.

De Four in the morning, vous n’avez probablement pas entendu grand’chose, et c’est assez normal puisqu’en pleine rentrée télévisuelle US, les autres pays ont tendance à être complètement oubliés. Encore plus que le reste de l’année, je veux dire… Cette dramédie canadienne a démarré fin août, et parle de quatre jeunes adultes vivant dans une grande ville (Toronto en l’occurrence) qui, comme l’indique le titre, sont généralement debout à 4h du matin. Ca n’a pas l’air captivant ? Ah mais le frère de Tatiana Maslany est au générique. Vous voyez, vous venez d’être déjà un peu plus intrigué.
Bref, vous vous êtes fait jusque là une opinion sur Four in the morning qui ne vous dit en réalité rien des raisons de son charme et de la capacité qu’elle possède à vous séduire.

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Ce qui frappe dans Four in the morning, c’est ce qui n’était pas indiqué sur l’emballage : la série a des dialogues épatants. D’une rapidité cinglante, débités avec un air dégagé, légèrement cynique, comme si à la fois rien n’avait d’importance mais rien n’avait plus d’importance que la conversation en cours. Car le contenu des conversations compte au moins autant que leur volume.

Ce soir-là, Bondurant et William sont dans un des diners nocturnes de la ville en train de discuter à table, tandis que Mitzi et Jamie sont en train de deviser dans les toilettes, au sous-sol de l’établissement. Bondurant révèle à grand renfort de gesticulations emphatiques à William qu’il est amoureux… de Jamie, la petite amie de William, et ce bien que Bondurant sorte avec Mitzi ; cette dernière s’est lancée quelques mètres plus bas dans une histoire passionnante sur les derniers mots qui lui a adressés son cochon domestique, Buzz, mais dont elle a appris par un shaman qu’il s’appelait en réalité Albert. Une fois revenues dans la salle du restaurant, les deux jeunes femmes interrompent leur conversation pour se pencher sur la déclaration de Bondurant, à laquelle William réagit de façon outrée, Jamie de manière intriguée, et Mitzi, pas du tout. Après que Jamie ait reconnu que oui, Bondurant est mignon et que dans une vie où elle n’aurait pas rencontré William, ou bien si celui-ci venait à décéder tragiquement, elle sortirait probablement avec son exubérant camarade, William envoie à sa compagne une pique de trop qui précipite la sortie de Jamie, Mitzi sur ses talons.
Le reste de l’épisode suit alors les échanges séparés des filles d’une part, qui rentrent à pied jusqu’à l’appartement de Mitzi, et des garçons d’autre part, qui après leur repas au diner se déplacent dans la ville. Petit-à-petit, il apparaît que la déclaration romanesque de Bondurant n’est pas aussi anodine qu’il y a paraissait initialement…

La rafale de mots de Four in the morning dévoile donc un million de choses à la minute, des plus futiles aux plus intimes. Encore faut-il les écouter vraiment. Ce qui sème le doute et ne permet pas toujours de distinguer les propos sérieux des plus légers, c’est que la série nous présente les personnages de façon très succincte : Bondurant, le clarinettiste passionné mais drama queen ; William, le psychorigide qui se veut raisonnable ; Jamie, l’esprit libre et ouvert ; Mitzi, la passionnée qui dit toujours ce qui lui passe par la tête… Mais peut-être que la raison pour laquelle Four in the morning ne s’appesantit pas sur les présentations est qu’en réalité, ces identités ne sont que des rôles que chacun joue dans la vie des autres. Peut-être que s’ils s’écoutaient parler les uns les autres, mais alors, s’ils écoutaient vraiment, ils comprendraient que leurs amis ne sont pas ceux qu’ils croient, qu’ils sont beaucoup plus complexes, qu’ils sont peut-être moins amicaux, même.
Le premier épisode de Four in the morning est absolument parfait mais il peut falloir un moment pour le réaliser. Les conversations ont un sujet et/ou un ton surréaliste et il peut être aisé, comme les personnages, de se laisser abuser par cela, de ne pas prendre la dramédie au sérieux tout de suite, ni ses protagonistes.

Pourtant lorsque s’achève l’épisode, il est très difficile de ne pas avoir un sourire satisfait tatoué sur les lèvres. Quel brio. L’épisode inaugural de Four in the morning a fait croire à la plaisanterie totale et a en fait accompli un sans faute sur le plan dramatique (en faisant parfaitement fonctionner un jeu de mot stupide, en plus). L’univers de Four in the morning bénéficie énormément du ton des dialogues, un peu enivrant… mais pas seulement. Dans cet apparent chaos, souvent très théâtral, fait de sarcasmes blasés, de remarques neutres, et de confessions viscérales, il se passe aussi autre chose qui mêle l’absurde au surnaturel, l’air de ne pas y toucher. Cette affaire de cochon qui parle, par exemple, devrait vous mettre la puce à l’oreille… mais en dire plus serait vous gâcher tout le plaisir.
Au terme de la vingtaine de minutes de son épisode introductif, Four in the morning a accompli l’impossible : créer une série qui parle de jeunes citadins, de leurs relations et de leurs vies, tout en créant quelque chose de totalement unique. Et, oui, bon, ok : il y a le frère de Tatiana Maslany au générique. Mais à regarder Four in the morning, on réalise combien même cela devient totalement secondaire.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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