Les pilleurs de sarcophages

28 septembre 2016 à 22:14

Envie d’une petite pause, histoire de souffler un peu pendant cette rentrée trépidante ? Laissez-moi vous parler aujourd’hui de Daomu Biji (The Lost Tomb de son titre anglophone), une série chinoise qui prend très à cœur sa mission de divertissement, et qui se passe totalement de prise de tête.

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Son histoire est assez classique, et d’ailleurs il ne faudra pas plus d’une minute à Daomu Biji pour la mettre en place, en ouverture de son pilote. La série tourne autour de Wu Xie, un jeune homme qui a hérité d’un étrange recueil de la part de son grand-père ; ce dernier était un pilleur de tombes qui a malheureusement dû se séparer de nombreuses reliques lorsque, par temps de guerre et de famine, il lui a fallu survivre par tous les moyens.

Sans transition, après cette minute d’exposition (montre en main) aussi brève que peu détaillée, Daomu Biji nous plonge dans le feu de l’action, alors que Wu Xie et son meilleur ami High Shao sont en Mongolie. Les voilà pourchassés à travers les plaines par d’étranges mercenaires qui semblent en avoir après un masque en forme de tête de bœuf, lequel se trouve en possession des deux amis. Et ils sont bien mieux équipés que ces derniers, qui plus est : là où Wu Xie et High Shao voyagent à bord d’une simple voiture de ville (apparemment depuis l’Allemagne, suite à une erreur de GPS !), les mercenaires les poursuivent en moto et en voiture à bord desquelles on trouve des individus armés jusqu’aux dents. Ces ennemis implacables et organisés sont dirigés par une étrange mercenaire en chef, qui obéit elle-même aux ordres d’un homme plus secret encore. En essayant d’échapper à ces mercenaires, le tandem fait la rencontre de Pangzi (« fatty« , nous informent les sous-titres), un type dont la mission essentielle est à partir de là de sauver les miches des deux héros, tout en jouant le comic relief.
La course-poursuite se déroule de façon quasiment ininterrompue pendant près d’un quart d’heure (soit un tiers d’épisode !), sans révéler le moindre élément supplémentaire de backstory. On voit bien que tout ce monde court après la tête de bœuf, mais pour quoi faire ? On sait pas. D’ailleurs qui sont tous ces gens ? On sait pas. Et au fait qu’est-ce qu’elle a de si spécial, cette tête de bœuf ? On sait pas. Par contre on a déjà assisté à trois scènes d’action différentes, dont l’une dans une yourte.

Ce n’est qu’après avoir été sauvés, in extremis, par un inconnu avare de paroles, que les deux amis peuvent enfin poursuivre leur route, qui les conduit directement au siège de l’Institut de Préservation et de Gestion des Reliques culturelles. Ils y déposent la tête de bœuf incognito (créant une belle pagaille parmi les administrateurs qui se demandent comment le masque est arrivé là), et repartent comme ils sont venus. On comprend alors grâce à un rapide dialogue que Wu Xie veut récupérer un maximum de reliques pour les restituer à son pays. C’est fort aimable de nous parler du fond de temps en temps, Daomu Biji.

Mais les comparses commencent à s’interroger. Les jours passent, et aucune annonce n’est faite dans la presse quand à la récupération providentielle de la tête de bœuf par l’Institut, comme si l’objet n’avait que peu de valeur. Or si c’était le cas, pourquoi les mercenaires semblaient-ils en avoir après le masque ? Et puis il y a le fait que, dans la doublure du tissu qui entourait la tête de bœuf, ils ont trouvé un manuscrit peint sur soie.
Ce n’est qu’alors (on approche dangereusement de la 25e minute de l’épisode) qu’on apprend que la famille de Wu Xie tient une boutique d’antiquités ; à ce titre, il possède quelques bases en étude d’artéfacts divers, ainsi qu’en langues anciennes. Grâce à ces atouts, Wu Xie va découvrir qu’en réalité, le manuscrit n’est qu’une moitié de document !

Les choses s’emballent quelque peu à partir de là : pile alors que Wu Xie planche sur les caractères anciens, il est approché par Chen Chengcheng, une jeune femme qui se dit héritière d’une archéologue célèbre et elle-même archéologue… et qui est en possession de l’autre moitié ! Mais même avec la totalité des informations sous les yeux, impossible de déchiffrer le message en langue ancienne. Après avoir eu recours à l’oncle de Wu Xie, qui semble connaître l’homme avare de paroles qui les a sauvés en Mongolie, il est (enfin !) révélé que le manuscrit est une carte conduisant à une tombe. Là reposent sûrement des artéfacts, vu qu’il n’y a aucune chance que quiconque ait pu déchiffrer les caractères anciens jusqu’à aujourd’hui. Toutefois, Wu Xie refuse d’en savoir plus, préférant remettre la carte en lieu sûr, à l’Institut.
A son retour de chez son oncle, Wu Xie découvre que Chen Chengcheng et High Shao ont été ligotés…et que la carte est loin. Peu de temps après, Chen Chengcheng est kidnappée. Wu Xie, son oncle, et High Shao, décident donc de partir en quête de la tombe ancienne, avec l’aide d’un fidèle homme de main, Pan Zi… et de l’homme avare de paroles qui leur a sauvé la mise en Mongolie.

A ce stade, je crois qu’on a tous compris vers quoi Daomu Biji se dirige, ce qui ne demande pas une imagination folle à partir du moment où la série daigne nous donner des éléments de contexte. Mais cet épisode introductif a surtout le mérite de nous dire non seulement de quoi parle la série, mais aussi, voire avant tout, de quoi elle est faite.

Sa façon de présenter les personnages non pas comme des personnes, mais comme des rôles (le héros, la méchante, l’expert…), nous informe sur la profondeur à attendre de la part des protagonistes. En cas de doute, se référer au temps consacré à de l’action et/ou du suspense pour comprendre la teneur réelle de Daomu Biji.
Cela ne signifie pas que la série s’annonce comme totalement creuse. Au contraire : il y a un passage bien senti pendant lequel Wu Xie s’interroge sur les reliques qu’il a vues pendant ses études d’archéologie en Allemagne ; pourquoi des artéfacts chinois sont-ils exposés dans des musées allemands ? C’est une excellente question, et le tourment qui semble l’animer est, ma foi, toujours passé sous silence dans les fictions de ce type. Mais il est très clair que le but de Daomu Biji n’est absolument pas de s’attarder sur les motivations ou émotions des uns et des autres. Le fait que la série soit très masculine (les deux personnages féminins ont un temps d’antenne extrêmement restreint dans ce pilote) joue peut-être aussi un rôle dans ce choix.

Je ne peux pas totalement en vouloir à la série. Elle est très claire sur ses intentions, son style et son contenu, et ne cherche pas à nous faire croire qu’on regarde un drama intellectuel ou émotionnel. On est ici clairement devant une fiction qui veut nous épater avec de l’action, de l’action, un peu de rires, de l’action, et quelques rebondissements pour vite fait justifier la prochaine scène d’action.
En outre, l’action promet d’augmenter en intensité et en originalité ; les courses-poursuites dans les plaines mongoles ne sont pas forcément épatantes, mais si le générique est un indice (et les génériques de séries chinoises sont souvent pleins d’indices !), le recours aux effets spéciaux devrait rendre l’aventure de plus en plus captivante. Du coup, les séries d’action ont beau ne pas être ma tasse de thé, je reconnais que dans le genre, ça a l’air de se tenir.
Le problème c’est surtout qu’en fait, Daomu Biji n’a pas toujours quelque chose à dire, mais surtout quelque chose à montrer. Or un épisode d’exposition est forcément un rite de passage difficile pour une série de ce type.

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Daomu Biji est une série qui a pour ambition de faire passer un bon moment… mais pas seulement. Elle a aussi marqué le coup d’envoi des hostilités de la part de la plateforme chinoise iQiyi, dédiée à la VOD.

En juin 2015, Daomu Biji est en effet devenue la première série chinoise dont une saison entière a été mise à disposition d’un seul tenant (« à la Netflix », quoi).
Après avoir eu accès à un épisode pilote (dans un pays où le pilote n’est pas la norme), les 5 millions d’abonnés ont pu découvrir les épisodes suivants sans avoir à patienter une semaine entre chaque volet, ce qui était jusqu’alors le mode de diffusion par défaut des plateformes chinoises. Le succès de cette saison produite à prix d’or (son budget est de 10 millions de yuan pour cette saison, soit 1,34 million d’euros environ) aurait, rapporte iQiyi, permis de transformer de nombreux utilisateurs ponctuels en abonnés permanents, puisque la plateforme propose également de regarder des videos sans abonnement (type pay-per-view). Avec l’apparition de cette première saison, iQiyi est devenue l’application mobile la plus populaire du pays et a enregistré un milliard de vues rien que pour les épisodes de Daomu Biji. Quant aux autres plateformes et services de VOD en Chine, ce succès les a convaincus désormais de revoir leurs pratiques… pour eux aussi commencer à sortir des séries par saisons entières !
Il faut préciser que Daomu Biji ne part pas de rien : la série arrivait avec une large fanbase. Il s’agit en effet de l’adaptation d’un roman éponyme paru en ligne, qui a trouvé un large succès auprès des jeunes générations, et qui a déjà réjouit les amateurs grâce à une adaptation sur les planches.
En fait, chose rare pour une série chinoise (…et en fait pour une série asiatique tout court), il est d’ores et déjà prévu de donner à Daomu Biji pas moins de 8 saisons avant de parvenir à son terme. Un choix qui explique au moins en partie le rythme du premier épisode, vous en conviendrez : quand on a tout le temps du monde pour raconter son histoire, on peut bien se permettre de commencer par un épisode fort en adrénaline, mais léger sur le contenu.

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Tout un univers a été créé autour de Daomu Biji, au-delà des 8 saisons planifiées. Ainsi cet été, un prequel du nom de Lao Jiu Men a été diffusé par iQiyi, ainsi que la chaîne de télévision Dragon TV (pour s’aligner sur la diffusion télévisée, Lao Jiu Men est sortie à un rythme bihebdomadaire sur iQiyi).
Dans cette série qui se déroule dans les années 40, on revient aux origines de l’histoire de Daomu Biji, en suivant les aventures de 9 familles de pilleurs de tombeaux. Parmi eux, on trouve le grand-père de Wu Xie, bien-sûr ; l’idée est de nous expliquer comment certaines reliques sont tombées entre ses mains… avant de lui échapper. Tout cela sur fond de conflits historiques, en particulier lorsque la découverte d’une ancienne mine permet aux protagonistes de mettre à jour une gigantesque conspiration fomentée par l’armée japonaise, à laquelle désormais il faut faire barrage, ce qui nécessitera à ces familles concurrentes de coopérer.
Lao Jiu Men n’est pas là à titre de bouche-trou : la fresque historique est constituée de 4 saisons de 12 épisodes chacune. Tout ça sous la plume d’un seul  scénariste, Bai Yicong. D’après les captures que j’ai vues, rien que pour les costumes ça a l’air de valoir le coup ; vous pouvez par exemple agrandir les posters individuels ci-contre pour y jeter un œil.

Le résultat c’est que les pilleurs de tombes, pendant les prochaines années, les téléphages chinois vont en bouffer. Et pourquoi pas, dans le fond ? Le sujet est pour le moins original et clairement, il a trouvé son public. Mais j’avoue que le traitement choisi par Daomu Biji m’a assez refroidie… peut-être les séquelles de traumatismes vécus devant la vacuité de Sydney Fox ? Comparativement je suis bien plus attirée par ce que j’ai pu apercevoir de son prequel Lao Jiu Men (j’ai vu pas mal de captures d’écran pendant que je m’informais à son sujet). Encore faut-il qu’il soit regardable indépendamment de la série-mère, ce qui est un autre problème encore !
En tous cas, vous avouerez que l’entreprise immense de cette franchise, et sa signification pour la VOD chinoise, justifiaient de passer un peu de temps dessus… quelle que soit mon opinion sur le résultat. Cette parenthèse étant refermée, revenons donc à notre rentrée…

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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